Tuer le cancer

Les scientifiques israéliens sont à l’avant-garde de la guerre contre « la pire des maladies». Tour d’horizon des dernières percées dans le domaine de la recherche

L'usine Teva à Jérusalem (photo credit: REUTERS)
L'usine Teva à Jérusalem
(photo credit: REUTERS)
Le cancer tue chaque année 8 millions de personnes à travers le monde. Il apporte douleur, chagrin et souffrances pour les malades et leurs proches. 14 millions de nouveaux cas se déclarent chaque année aux quatre coins du globe, et un décès sur 7 est dû au cancer. Selon les prévisions des professionnels de la santé, d’ici 20  ans, le nombre de malades du cancer devrait augmenter de 75 % et passer à 25 millions par an. Des chiffres qui font froid dans le dos…
En Israël, le cancer est devenu la première cause de mortalité, avec 40 000 décès par an, soit 50 % de plus que les maladies cardiaques.
Une femme israélienne sur 8 est atteinte d’un cancer du sein. Des chercheurs se penchent actuellement sur la possible existence de gènes favorisant le cancer chez les Israéliennes ashkénazes. Par ailleurs, le cancer est diagnostiqué chaque année chez 400 enfants ; dans la moitié des cas, il s’agit de leucémie.
Le mot cancer désigne un groupe de maladies, au nombre de 120 ou plus, qui se caractérisent toutes par une prolifération anormale de cellules. Les cellules cancéreuses se divisent de façon incontrôlée et, si elles ne sont pas enlevées ou détruites, elles entraînent le décès du patient. Sachant que la prolifération de cellules anormales a davantage tendance à survenir avec l’âge, le cancer frappe surtout une population âgée. 8 cancers sur 10 se déclarent ainsi après 65 ans. En outre, les maladies cardiaques étant mieux prévenues et soignées, la population vieillit. Elle se trouve donc plus exposée. On peut dire que le vieillissement de la population mondiale est en grande partie responsable de la progression du cancer. En Israël, l’espérance de vie est sensiblement supérieure à la moyenne mondiale : 84 ans pour les femmes, 80 ans pour les hommes. En 2030, le nombre d’Israéliens de plus de 75 ans aura augmenté de 50 %. En l’absence de nouvelles découvertes en matière de traitement, le nombre de décès par cancer augmentera donc lui aussi.
Mais le cancer n’est pas une fatalité : le taux de survie à la maladie est en légère augmentation et surtout la recherche avance, en grande partie grâce à de brillants scientifiques israéliens, qui, basés en Israël ou aux Etats-Unis, ont réalisé plusieurs percées prometteuses au cours des trois dernières années. En voici quelques-unes, parmi les plus importantes.
La médecine personnalisée
La médecine personnalisée est une nouvelle approche développée dans un lieu inattendu : au sein de la faculté d’ingénierie chimique du Technion de Haïfa. Plus que toute autre discipline scientifique, le génie chimique s’est totalement réinventé ces dernières années. Autrefois confiné aux industries chimique et pétrochimique, il s’attaque désormais à de nouveaux domaines comme l’industrie pharmaceutique et l’administration de médicaments dits « intelligents ».
Le professeur Avi Schroeder, diplômé de l’université Ben-Gourion à Beersheva, a effectué ses recherches de post-doctorat dans le célèbre laboratoire Langer du MIT de Cambridge (Massachusetts). Son idée ? Permettre de déterminer, pour chaque patient, le traitement qui se révélera efficace. Car il existe plus de 200 remèdes différents pour traiter le cancer. Certains fonctionnent chez certains patients et n’ont aucun effet sur d’autres. Administrer à un malade un médicament inopérant fait perdre un temps précieux, dans un processus qui s’apparente à une course contre la montre.
En outre, partir sur une fausse piste a également des conséquences sur le plan financier, puisque la plupart de ces remèdes sont extrêmement coûteux. Roche, le laboratoire pharmaceutique suisse leader sur le marché, vend chaque année l’équivalent de 31 milliards de dollars de traitements. Viennent ensuite Novartis (11,2 milliards), Amgen (6,8 milliards) et Celgene (5,5 milliards). Le géant israélien Teva figure lui aussi parmi les 10 principaux fournisseurs de remèdes anticancéreux. Pour chaque malade, le coût du traitement peut ainsi atteindre 150 000 dollars, voire plus. Avec le vieillissement de la population dans le monde occidental, il existe un risque de voir se développer une médecine à deux vitesses, les soins étant réservés aux plus riches.
Ces chiffres et ces craintes ont conduit le professeur Schroeder à choisir son domaine de recherche. « En tant qu’ingénieur », explique-t-il, « j’ai réfléchi à une approche technique visant à pré-analyser le potentiel de réussite de tel ou tel remède, individuellement pour chaque patient, avant d’entamer le traitement. » Car chaque individu réagit différemment à tel ou tel médicament en fonction de son patrimoine génétique et du type de cancer dont il souffre, voire de son sexe.
L’idée est simple et s’apparente à ce qui se pratique en allergologie, lorsqu’on prélève un peu de peau au patient pour y appliquer une infime quantité d’allergène. La méthode consiste à administrer au malade une série de médicaments à très petites doses, avant de vérifier lesquels ont atteint la tumeur, ont pénétré les cellules cancéreuses et les ont détruites. Schroeder crée pour cela des nanoparticules contenant le remède et leur adjoint un « code-barres » constitué d’ADN. Les nanoparticules ainsi équipées sont injectées au patient et circulent dans le sang. Dès qu’elles identifient une tumeur, elles pénètrent ses cellules par les microfissures qui caractérisent les cellules cancéreuses. Ainsi libéré dans les cellules concernées, le produit peut détruire la tumeur ou à l’inverse, n’avoir aucun effet sur elle. Une biopsie est alors pratiquée et les cellules prélevées sont examinées individuellement. Sur celles qui ont été détruites on pratique une sorte d’« autopsie », afin de déterminer la cause de leur décès. A ce stade, conclut le professeur Schroeder, « on détermine quel code-barres est le plus souvent associé aux cellules cancéreuses détruites ». Le produit auquel est associé le code-barres en question est alors sélectionné et constituera le traitement.
Pour le moment, la méthode n’en est encore qu’au stade préclinique, car Schroeder cherche des financements pour commercialiser son idée. L’avantage de cette pratique est qu’elle exploite des médicaments déjà existants. Grâce à elle, on ne fera plus appel à des remèdes coûteux en vain.
L’immunologie du cancer
Tôt ou tard, la chimiothérapie sera remplacée par l’immunothérapie, qui vise à utiliser le système immunologique du patient pour détruire les cellules cancéreuses. En d’autres termes, au lieu d’empoisonner le corps tout entier, l’idée est de parvenir à piéger uniquement les cellules cancéreuses. Pour le moment, ces dernières savent mettre en échec les lymphocytes T du corps, cette catégorie de leucocytes appartenant au système immunitaire qui détectent et détruisent virus et microbes. Mais les chercheurs ont déjà réussi à amener les lymphocytes T à tuer les cellules cancéreuses avant qu’elles ne créent des tumeurs, ou même après.
Métaphoriquement, la nouvelle approche consiste à entraîner les cellules « tueuses de cancer » à repérer la tumeur, puis à la détruire. Pour cela il faut leur apprendre à reconnaître l’ennemi et leur enseigner un « art martial » propre à l’anéantir. En 2012, cette méthode a reçu le titre de « découverte de l’année » par le magazine Science, célèbre publication de l’American Association for the Advancement of Science.
Parmi les travaux les plus avancés réalisés en immunologie du cancer, citons ceux du Pr Leah Eisenbach de l’Institut Weizman de Rehovot. En outre, une entreprise israélienne du nom de Compugen a mis au point des antigènes (générateurs d’anticorps) qui se sont révélés efficaces contre le cancer, et en a vendu deux à Bayer, géant pharmaceutique, pour plusieurs centaines de millions de dollars.
Le professeur Yosef Shiloh de l’université de Tel-Aviv a récemment remporté le prix de la fondation norvégienne Olav Thon pour ses recherches novatrices sur la génétique du cancer, qui ont révélé comment et pourquoi des cellules normales deviennent cancéreuses. Auparavant, le prix Nobel Avram Hershko, professeur au Technion, avait, avec son ancien élève Aaron Ciechanover, expliqué la façon dont la protéine « ubiquitine » fait mourir les cellules endommagées, mais non les cellules cancéreuses, conduisant à la mise au point du médicament anti-cancer Velcade, destiné au traitement du myélome multiple des os.
Aujourd’hui, Ciechanover préside la Société israélienne du cancer. Une équipe de chercheurs de son laboratoire a récemment découvert comment la protéine p50 qui, en temps normal, favorise le cancer, peut devenir une sorte de « Dr Jekyll et Mr Hyde ». A hautes doses, le p50 n’est plus le malfaisant Mr Hyde : elle devient le bienveillant Dr Jekyll, en suscitant la production d’autres protéines, elles-mêmes connues pour combattre le cancer. Les résultats de ces recherches ont été publiés dans la célèbre revue scientifique américaine Cell. Un nouveau médicament pourrait en découler, mais sa mise au point prendra plusieurs années.
Kite Pharma
En 2009, le Dr Arie Belldegrun, un Israélien formé à l’Institut Weizman, a fondé à Santa Monica, aux Etats-Unis, la compagnie bio-pharmaceutique Kite Pharma. Celle-ci élabore des thérapies à base de lymphocytes T, qui aident le corps humain à reconnaître et à détruire les tumeurs. En juin dernier, une première offre publique d’achat a permis de récolter 147 millions de dollars. Une seconde a permis d’apporter 217 millions supplémentaires. La technologie développée par Kite Pharma, appelée eACT, est en outre soutenue par le géant américain de la biotechnologie Amgen, partenaire stratégique de l’entreprise. Il faut dire que les essais cliniques des traitements de Kite ont donné des résultats spectaculaires.
Dans ce domaine, de nouvelles percées ont été réalisées par le professeur Zelig Eshhar, de l’Institut Weizmann lui aussi, en collaboration avec le Dr Steven Rosenberg, de l’US National Cancer Institute. Les deux chercheurs se sont attaqués à une des difficultés principales que pose le cancer à la médecine : contrairement aux virus ou aux microbes, les cellules cancéreuses font partie intégrante du corps humain et cela leur permet de contrer l’action des cellules T létales envoyées par le système immunitaire. Les deux chercheurs ont donc modifié génétiquement des cellules T pour leur permettre d’identifier une certaine protéine, qui existe sous forme concentrée sur la paroi cellulaire des cellules cancéreuses, mais un peu moins sur la paroi des cellules normales. Ces cellules T modifiées « ouvrent » alors les cellules cancéreuses comme une clé ouvre une porte, y pénètrent et les détruisent.
Electrocuter le cancer
Dans certains Etats des Etats-Unis, les condamnés à mort sont exécutés par électrocution. Le professeur Yoram Palti, chercheur à la faculté de médecine du Technion, a imaginé infliger le même sort aux cellules cancéreuses, une utilisation bien plus humaine de l’électricité…
Il y a quelques années, il expliquait comment lui était venue cette idée originale. « Pendant plus de 30 ans, j’ai collé à la science classique, en particulier pour comprendre les mécanismes biophysiques responsables des fonctions nerveuse et musculaire. Après avoir dirigé dix ans l’institut Rappaport [institut indépendant de biomédecine lié au Technion], j’ai décidé de changer d’orientation et de m’attaquer aux problèmes médicaux graves. J’ai donc cherché un traitement contre le cancer fondé sur la biophysique plutôt que sur la pharmacologie, puisque c’est ce que je connais le mieux. La solution potentielle m’est apparue en relisant ma thèse de doctorat, pour laquelle j’avais étudié la distribution des champs électriques dans les tissus vivants. Aux environs de l’année 2000, l’idée m’est venue de créer des champs électriques susceptibles d’endommager les cellules cancéreuses en plein processus de division (grâce à la forme en triangles inversés qu’elles ont alors), sans affecter les cellules normales. J’ai commencé le Novocure dans ma cave. »
Le procédé mis au point par Palti, appelé « Optune », consiste à placer un champ électromagnétique autour du cerveau (avec un bonnet) ou autour des poumons (avec une veste) afin de stopper les tumeurs dans leur progression en faisant exploser la partie fine de la cellule chaque fois qu’elle tente de se diviser et de proliférer. Novocure a récolté plus de 250 millions de dollars d’investissements et compte 150 centres de traitements à travers le monde. De façon étonnante, les essais cliniques ont été interrompus prématurément au niveau 3, chose rare, non parce qu’ils avaient échoué, mais au contraire parce que leur succès avait dépassé toutes les espérances. Empêcher les métastases permet de sauver un très grand nombre de vies. Ainsi, le procédé Novocure est capable de stopper des glioblastomes (tumeurs du cerveau) jusque-là incurables et s’est révélé efficace pour freiner les cancers du poumon, difficiles à traiter.
Yoram Palti a dépassé ses 70 printemps depuis longtemps. Or les start-up créées par des seniors sont extrêmement rares. Son secret ? Il explique : « Avec l’âge, il est vrai qu’on perd certaines capacités, mais on peut utiliser la sagesse et les connaissances approfondies que l’on a acquises pour agir avec plus d’efficacité. Ce qu’il faut, c’est s’en rendre compte, en profiter et… continuer à avancer ! »
Cancer plaqué or 
Le Dr Amal Ayoub, une Arabe israélienne de Nazareth, a créé Metallo Therapy, une start-up biomédicale qui travaille à introduire des nanoparticules d’or dans les tumeurs cancéreuses. Selon le Dr Ayoub, cette invention aide à affiner le diagnostic et à évaluer l’état d’avancement du cancer, afin de mieux cibler la radiothérapie ou de mieux adapter le traitement médicamenteux ou la chimiothérapie. Cette découverte est le fruit de dix années de travail sur la radiothérapie contre le cancer. Pour financer ses recherches, le Dr Ayoub a déjà obtenu 1,2 million de dollars du bureau gouvernemental pour la Science, de la société israélienne Arkin Holdings et d’un incubateur de projets arabe israélien.
Amal Ayoub achève actuellement la phase des recherches sur les animaux et espère commencer bientôt les essais cliniques. Selon le quotidien Haaretz, elle aimerait que le monde arabe, fort de 400 millions d’âmes, dont la très riche Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis, s’intéresse à sa technologie.
Une grande partie de la recherche sur le cancer est financée par le National Cancer Institute (NCI) américain. De 2005 à 2014, son budget annuel avoisinait les 5 milliards de dollars. Certains chercheurs israéliens ont pu bénéficier de cette manne et il est évident que les aides fournies par cet institut ont permis de sauver des vies.
Toutefois, à la lumière des sommes considérables qui sont investies, les paroles de l’ancien maire de la ville brésilienne de Curitiba, Jaime Lerner, me reviennent en mémoire : « Si vous voulez vraiment de la créativité », disait-il, « retirez deux zéros à votre budget ! » Jaime Lerner avait pris en main une ville en faillite et, sans argent, était parvenu à nettoyer ses parcs et ses rues et à revitaliser son centre-ville à l’aide d’idées originales.
A quelques rares exceptions près, les chercheurs israéliens ont très peu de zéros à leur budget. C’est peut-être ce qui les oblige à faire preuve de créativité et à sortir des sentiers battus. Dès lors, n’ont-ils pas toutes les chances de parvenir un jour à donner au monde les moyens de vaincre le cancer et de sauver la vie de millions de personnes ?
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