"Nous voulons le mont du Temple"

Les perceptions changent et de plus en plus de Juifs souhaitent un complet contrôle d’Israël sur le site le plus saint du judaïsme.

Le Mont du Temple (photo credit: REUTERS)
Le Mont du Temple
(photo credit: REUTERS)

Porte de Jaffa, 6 mai 2014, jour de l’Indépendance, milieu de l’après-midi. Un groupe associé au Mouvement pour la reconstruction du Temple a appelé à une manifestation à travers la Vieille Ville et jusqu’au mont du Temple. Thème de cette marche : « Har Habayit Leyadenou », « Le mont du Temple entre nos mains ! », allusion à l’appel téléphonique du colonel Motta Gur sur le réseau de communications de Tsahal le 7 juin 1967, jour où ses parachutistes ont conquis le site.

La police est là quand la petite poignée de manifestants parvient à l’entrée du Quartier musulman. Plusieurs jeunes, avec kippas crochetées, papillotes et franges rituelles qui dépassent sous leurs chemises, sont interpellés sans motif apparent et soumis à interrogatoire. Un policier confisque une série d’affichettes qui appellent sans doute à la souveraineté du peuple juif sur le mont du Temple, mais sans prendre la peine de les dérouler pour vérifier de quoi il s’agit.
La manifestation a lieu malgré tout : ils ne sont guère plus de 20 à chanter en hébreu « Nous ne donnerons pas le Temple à un ennemi » et « Le peuple demande la libération du Mont ». On les empêche de pénétrer dans le souk arabe, qui conduit à l’entrée de l’esplanade par la Porte de la Chaîne, et on les dirige vers le Quartier arménien via le Quartier juif.
Plus tard, le groupe aura l’autorisation de retourner vers le Quartier musulman, mais sans pouvoir atteindre l’esplanade, car, entre-temps, la police a bloqué la partie basse de la rue. 30 minutes durant, c’est l’impasse. Des manifestants tentent de forcer le cordon de police et il y a quelques bagarres. Certains sont légèrement blessés, puis la police finit par obliger la procession à redescendre par une ruelle qui mène à l’esplanade du Mur occidental, devant le Quartier juif.
Si la police était là, c’était clairement pour prévenir tout acte de provocation dans une zone hautement sensible. Le site a été trop souvent le témoin d’explosions de violence entre Juifs et Arabes.
Zone de tensions
Avance rapide jusqu’au mois suivant : on se demande soudain si empêcher des Juifs « d’allure suspecte » de pénétrer sur le mont du Temple entrait vraiment dans le cadre de la politique sécuritaire. Le matin du 3 juin, veille de Shavouot, la police ferme l’esplanade des Mosquées aux Musulmans de moins de 50 ans et offre aux Juifs un accès libre au site.
400 visiteurs s’y rendent alors, dont quelques individus qui s’en étaient vus interdire l’accès pour avoir enfreint les règles de police s’appliquant aux non-musulmans : sur l’esplanade, il est interdit de prier, de se prosterner et de faire des « gestes nationalistes ». Le mont du Temple est de nouveau fermé aux Juifs le jour de Shavouot, puis rouvert plus longtemps que d’habitude, en l’absence de jeunes musulmans, le jour suivant. Deux cents visiteurs en profitent alors. Aucune des règles en vigueur sur le site n’a été modifiée ce jour-là.
« Les Juifs menacent Al-Aqsa ! » : tel est le puissant cri de ralliement des Palestiniens depuis près de 100 ans. En 1929, 85 Juifs étaient tués et 150 autres blessés dans des émeutes arabes à Safed et à Hébron : des rumeurs avaient laissé entendre que les Juifs s’apprêtaient à détruire la mosquée d’Al-Aqsa qui, avec le Dôme du Rocher, constitue le Haram al-Sharif, nom arabe du mont du Temple. En 1996, 17 soldats de Tsahal et 70 Palestiniens étaient tués dans des heurts sanglants suite à l’ouverture par Israël d’un tunnel archéologique partant de l’esplanade du Mur occidental et débouchant dans le Quartier musulman. En septembre 2000, une visite d’Ariel Sharon, alors chef de l’opposition à la Knesset avait provoqué l’étincelle qui avait allumé la flamme de la seconde intifada.

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Plus récemment, les Musulmans ont déclenché des affrontements sur le Mont tout au long du mois d’avril, et plusieurs autres fois depuis. Avant les fêtes de Pessah, la police a dû faire sortir un groupe d’enfants ultraorthodoxes que des Musulmans attaquaient avec des pierres. Pendant la semaine de Pessah, la violence est montée d’un cran quand les Arabes ont lancé sur les policiers pierres, bouteilles et briques qui avaient été entreposées dans la mosquée d’Al-Aqsa, zone non accessible aux forces de l’ordre israéliennes.
Les violences se sont poursuivies en mai. Un militant du Hamas aurait révélé au cours d’un interrogatoire que son organisation payait des Palestiniens pour se poster devant Al-Aqsa et harceler les Juifs visitant le site. Des échauffourées ont éclaté lors de Yom Yeroushalayim, qui commémore la réunification de la ville en 1967, lors de la guerre des Six Jours, ainsi qu’en plusieurs autres occasions.
Permis aux Juifs
Depuis la création de l’Etat d’Israël, en 1948, et jusqu’en 1967, c’est-à-dire tant que Jérusalem était sous autorité jordanienne, les Juifs n’avaient pas le droit de se rendre sur le mont du Temple. Puis Israël a pris le contrôle de la Vieille Ville, mais la majorité des Juifs pratiquants se sont mis à affirmer que la loi juive leur interdisait de monter sur le site où s’élevait jadis le Temple tant que le Messie n’était pas arrivé. Autrement dit, le sujet n’intéressait personne, puisque l’idée même de visiter le mont du Temple restait théorique. Il n’en est plus ainsi. Dans les communautés orthodoxes et les yeshivot du monde entier, la question qui court sur toutes les lèvres est désormais : « Et toi, tu y es allé, au mont du Temple ? »
Alors qu’autrefois, les Juifs orthodoxes se souciaient comme d’une guigne de ne pouvoir monter sur l’esplanade, il est devenu aujourd’hui très difficile de trouver un rabbin du courant sioniste religieux pour affirmer que visiter l’endroit représente une violation de la loi juive. « En revanche, il y a quelques années, on ne trouvait aucune autorité rabbinique, mis à part Yaakov Ariel ou Meir Kahane, pour inciter les fidèles à y aller », indique le rabbin Yehouda Glick, militant de longue date en faveur du mont du Temple et guide sur le site. Dans le monde sioniste religieux, depuis les modérés comme les rabbins Shlomo Riskin ou Youval Cherlow, jusqu’au très intransigeant rabbin Dov Lior, de Kiryat Arba, tout le monde ou presque s’accorde à penser qu’il est permis de se rendre sur le mont du Temple. « Il est vrai qu’il reste une grande école de pensée, dirigée par le rabbin Shlomo Aviner, de la yeshiva Ateret Cohanim, qui estime encore qu’il est inapproprié pour les Juifs de fouler le sol de l’esplanade, mais c’est à peu près la seule opinion dans ce sens que l’on entend dans notre communauté aujourd’hui », précise-t-il.
Glick ajoute que, même chez les ultraorthodoxes, on commence à considérer le mont du Temple, non plus comme un sujet théorique pour les prières juives, mais plutôt comme une opportunité offerte au peuple juif en ce moment critique de l’histoire juive. « Prenez le rabbin Meïr Mazouz, chef de la communauté tunisienne en Israël. Tant que le grand rabbin séfarade Ovadia Yossef était en vie, il gardait le silence sur le problème, car Ovadia était à 100 % opposé à l’idée qu’un Juif monte au mont du Temple. Mais avec la disparition d’Ovadia, il est sorti de son mutisme pour plaider fortement en faveur de telles visites. Il est vrai que les hauts responsables harédim n’ont pas modifié publiquement leur position sur le sujet, mais les rabbins de niveau intermédiaire et les chefs de yeshivot déclarent en catimini que c’est possible », affirme Glick.
Comme au Caveau des patriarches ?
En conséquence, le nombre de Juifs visitant le mont du Temple a monté en flèche, passant à plus de 10 000 en 2013. Ce n’est certes pas grand-chose comparé aux 2,3 millions de visiteurs qui se sont rendus au Mur occidental (le mur ouest du mont du Temple, ou Kotel) la même année, mais ce nombre n’est toutefois pas dénué de sens, surtout connaissant la composition de la population qui va le visiter, et le message que cette population véhicule. La veille de Yom Yeroushalayim, le 28 mai dernier, 30 rabbins sionistes religieux y sont allés et ont promulgué une déclaration pour « exprimer le lien éternel et renouvelé entre le peuple juif et ce lieu saint qu’est le mont du Temple et se faire le porte-parole de la requête du public qui souhaite une souveraineté juive et une application de la loi juive sur le site ».
Ce n’était pas la première fois, ces derniers mois, que des Israéliens très en vue émettaient le vœu de reconsidérer le statu quo sur le site. En février, le député Likoud Moshé Feiglin lançait à la Knesset un débat sur « la perte de la souveraineté israélienne sur le mont du Temple ». Son initiative allait pousser certains membres du parlement jordanien à appeler à l’abrogation du traité de paix de 1994 avec Israël.
Plus récemment, les députés Miri Regev (Likoud) et Hilik Bar (Travailliste) ont proposé une législation qui allouerait des tranches horaires officielles de prière pour les Juifs et pour les Musulmans sur le mont du Temple. Cet arrangement serait copié sur le modèle qui prévaut au Caveau des patriarches, important lieu saint, tant pour les Juifs que pour les Musulmans, à Hébron.
Par la suite, Bar a retiré son soutien à la proposition, mais non sans affirmer que l’absence de droits civiques de base sur le lieu saint allait continuer à poser problème et qu’il faudrait y remédier.
Colère parlementaire
De son côté cependant, le Premier ministre Binyamin Netanyahou a clairement fait savoir aux Palestiniens, aux Jordaniens et aux activistes du mont du Temple appartenant à son propre parti qu’Israël ne modifierait pas sa politique. Actuellement, celle-ci est claire : le site est ouvert aux non-musulmans à certains horaires bien précis de la journée (du dimanche au jeudi de 7 h 30 à 11 heures et de 13 h 30 à 14 h 30). Les non-musulmans ne sont pas autorisés à y prier et les gestes nationalistes israéliens, comme brandir un drapeau frappé de l’étoile de David, sont interdits. Il s’agit là d’une réglementation que la Cour suprême a jugée discriminatoire, mais que la police soutient dur comme fer en arguant que ses avantages pour la sécurité publique compensent de loin le problème d’atteinte aux droits civiques.
Un argument que les électeurs de droite n’approuvent pas. « Si nous nous mettons à avoir peur des émeutes, nous pouvons fermer boutique tout de suite », s’indigne Miri Regev. « Chaque fois que les Arabes ne sont pas contents, ils nous menacent d’une nouvelle intifada. Qu’ils se révoltent, je n’ai pas peur de cela ! Ce dont j’ai peur, en revanche, c’est de céder notre démocratie aux extrémistes ; ce dont j’ai peur, c’est d’avoir à décider de mon plein gré que certains droits démocratiques ne s’appliqueront pas ici ou là ! »
La députée souligne en outre que visiter le mont du Temple ne l’intéresse pas particulièrement, mais elle compare cette situation à un autre problème de liberté de culte qui se pose dans un site tout proche : le droit des Femmes du Mur de prier librement au Mur occidental. « Il est absolument scandaleux », affirme-t-elle, « que les droits fondamentaux de l’homme et du citoyen soient bafoués dans un pays démocratique. Je n’accepte pas ce statu quo. Il est scandaleux que nous cédions le contrôle du mont du Temple au Waqf musulman et aux Jordaniens. Qui est le pouvoir souverain ici ? Il est inconcevable que, dans un pays démocratique, les Arabes jouissent de la liberté de religion, mais pas les Juifs. Chaque fois que les Arabes causent des troubles, la police ferme le mont du Temple aux Juifs… Et cela, sachant qu’aucun Juif n’est autorisé à y prier ! Et il ne s’agit pas de Juifs qui s’en prennent violemment à la mosquée d’Al-Aqsa ou au Dôme du Rocher ! Non, c’est seulement la vue de Juifs sur l’esplanade qui les importune ! Ce qu’il faudrait faire chaque fois que les Arabes causent des troubles, c’est fermer le site aux Musulmans, pas aux Juifs. Ils comprendront vite qu’ils n’ont pas intérêt à attaquer les Juifs », conclut-elle.
Le mouvement qui part de la base
Pour expliquer cet intérêt soudain pour le mont du Temple chez les Juifs orthodoxes, il faut comprendre deux phénomènes qui ont affecté le monde religieux ces dernières décennies.
Le premier est politique. Durant les négociations des accords d’Oslo, dans les années 1990, les sionistes religieux clamaient haut et fort que ce processus serait un cauchemar sécuritaire et qu’il mettrait en péril le processus messianique enclenché par le mouvement sioniste. Ils prédisaient également qu’un retrait unilatéral de territoires appartenant à la Terre historique d’Israël aurait pour effet de pousser la communauté internationale à ne plus soutenir l’Etat hébreu pour son contrôle sur d’autres parties du pays.
Autre cause de cet intérêt subit des orthodoxes pour le mont du Temple : le fait que le sionisme ait suscité un retour à des sujets halakhiques restés en sommeil pendant des milliers d’années. Pour la première fois en 2000 ans, la Terre d’Israël n’était plus un idéal théorique et spirituel, mais un organisme vivant que l’on devait construire et entretenir. Ainsi, des thèmes oubliés, comme la shmita – 7e année du cycle agricole de 7 ans – redevenaient d’actualité.
« Quand j’étais étudiant et que je fréquentais les milieux sionistes religieux, aucun de nous ne songeait à se rendre au mont du Temple », raconte le rabbin Elchanan Lewis, diplômé des yeshivot Merkaz Harav et Bel El, actuel rabbin de la communauté Tiferet Avot, à Efrat, dans le Goush Etsion, dans le sud de la Judée-Samarie.
Avant le début des années 1990, ajoute-t-il, l’idée de visiter le mont du Temple n’entrait pas dans les discussions des élèves des yeshivot sionistes. Certes, quelques grands noms, comme le grand rabbin Mordekhaï Eliahou ou Shlomo Goren, souhaitaient que l’on construise une synagogue sur le mont du Temple, mais cette idée était rejetée par presque toutes les autorités halakhiques.
Toutefois, quand des problèmes jadis purement théoriques ont commencé à prendre une dimension pratique, de plus en plus de Juifs orthodoxes et de leaders spirituels se sont mis à poser des questions que l’on n’avait pas posées pendant des siècles. Certains ont pris l’initiative, parfois contre l’avis de leurs professeurs, de se rendre à titre individuel sur le mont du Temple.
« C’est l’exemple classique du mouvement qui part de la base », commente Yehouda Glick. « Dans les décennies qui ont suivi la guerre des Six Jours, le mont du Temple était un « non-sujet » pour la grande majorité des autorités rabbiniques, mais peu à peu, les gens ordinaires ont commencé à se demander si le mont du Temple faisait partie d’Israël ou non. Cela a conduit un petit nombre d’entre eux à monter sur le site, obligeant alors les rabbins à se pencher sérieusement sur le sujet.
Il faudra du temps
« Je peux dire que le directeur de ma yeshiva, le rabbin Zalman Melamed, n’était pas enthousiasmé par l’idée quand je lui ai posé la question, dans les années 1990 », ajoute Lewis. « Mais il ne m’a pas dit que c’était interdit. Alors j’y suis allé. En outre, quand l’intifada a éclaté, les gens ont commencé à comprendre que celui qui a le contrôle sur le mont du Temple a le contrôle sur Jérusalem et sur toute la terre d’Israël. Il est devenu clair pour beaucoup de gens que rétablir notre souveraineté sur le mont du Temple était l’étape actuelle dans la mitsva de la conquête de la terre. »
Pour Lewis, il ne fait aucun doute que le moment est venu de reconstruire le Temple. « Nous n’avons pas besoin d’attendre la venue du messie. C’est une mitsva collective, qui incombe à tout le peuple juif. Il faut donc un fort consensus pour l’accomplir. Nous n’y sommes pas encore. C’est tout un processus, mais ironiquement, il faudra que cela émane de l’Israël laïc, et non des pratiquants. Comme pour le retour sur la terre d’Israël : si le monde religieux avait été le principal support du sionisme, il y aurait eu un schisme entre pratiquants et laïcs. Mais quand les sionistes laïcs ont posé les bases, nous avons pu embrasser le projet en y mettant toutes nos forces. »
En fin de compte, il n’y a pratiquement aucune chance que le gouvernement israélien revienne dans un avenir proche sur le statu quo qui existe au mont du Temple. De l’avis des autorités policières et sécuritaires du pays, le conflit potentiel que cela susciterait, du moins avec le monde arabe, pourrait bien entraîner un raz-de-marée de protestations et Israël aurait toutes les peines du monde à les endiguer. Et même dans les cercles orthodoxes, la volonté de se rendre au mont du Temple reste limitée et les individus qui songent à reconstruire le Temple se comptent sur les doigts d’une main.
Mais le rabbin Glick, lui, n’en démord pas.
« Si je crois que nous gagnerons ce combat demain, ou après-demain ? Non, je ne le crois pas. Mais je ne suis pas inquiet. Cela prendra une ou deux générations. Ou cinq. Le mont du Temple est le cœur et l’âme de notre nation et du monde entier, même si les gens ne s’en rendent pas compte. Alors il faudra du temps. Mais vous savez ce que l’on dit ? Une longue route n’effraie pas le peuple éternel… » 

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