C’est lemilieu de matinée dans l’une des plus grandes prisons d’Israël. Quelquesdizaines de juifs orthodoxes, dans leurs uniformes de détenus, se balancent dece mouvement caractéristique en étudiant la Torah, dans le silence le pluscomplet. De l’autre côté du couloir, la petite synagogue pénitentiaire estpleine à craquer de prisonniers de tous âges. Ils jouent de la darbouka, tapentdans leurs mains et chantent des hymnes de louanges.
La scène pourrait se dérouler dans n’importe quelle synagogue de l’Etat hébreu.Mais à une différence majeure.
« Ces hommes ne sont pas de simples voyous ; ils ont commis des crimes »,souligne gravement le rabbin Shlomi Cohen, rabbin-adjoint des Services deprison. Cette aile « torani » du centre pénitentiaire Rimonim, dans la régiondu Sharon, est réservée aux détenus qui observent les mitzvot : plusieursheures quotidiennes d’étude religieuse sont intégrées aux autres activités dela vie derrière les barreaux.
Le dispositif accueille 108 prisonniers et se divise en 3 niveaux. Le premierest destiné aux débutants, ceux qui se sont tournés vers la religion après leurincarcération.
Le second, qualifié d’intermédiaire, s’adresse aux détenus arrivés avec unbagage religieux. Enfin, le niveau « avancé » est réservé aux prisonniersorthodoxes, qui ont passé des années dans les yeshivot et kollels du mondeextérieur.
L’aile « torani » de Rimonim – qui accueille quelque 450 détenus de tout lepays – est l’une des six existant en Israël. Trois d’entre elles sontexclusivement réservées aux orthodoxes, tandis que les autres gèrent tous lesniveaux de pratique.
En dehors de ces bâtiments « torani », des classes d’études juives existentdans toutes les prisons israéliennes. Plus de 1 000 détenus (environ 10 % dutotal de la population carcérale) peuvent donc bénéficier d’une instructionreligieuse pendant leur incarcération.
Prison ou hôtel Plaza ?
Le programme torani est largement connu en Israël. Unepopularité qui s’explique par la médiatisation de certains de ses détenus, dontdes anciens politiciens. Comme par exemple l’ancien ministre du Travail et desAffaires sociales.
Shlomo Benizri (Shas) a passé 2 ans et demi derrière les barreaux de l’ailereligieuse de la prison Maasiyahou, où il a servi de compagnon de cellule àl’ancien président Moshé Katsav, qui purge 7 ans d’incarcération pour une sériede crimes à caractère sexuel.
Le programme n’est pas seulement connu pour sa capacité à réhabiliter descriminels, mais également pour la réputation qu’on lui prête de constituer unmoyen aisé pour les détenus de se rendre l’incarcération plus douce.
Cette idée se retrouve un peu partout dans le monde : ces hommes religieuxauraient trouvé Dieu derrière les barreaux, ou du moins en apparence, pourtromper les magistrats, les commissions de libération conditionnelle et lesépouses qui les attendent au foyer.
En Israël, le cliché voudrait que le condamné comparaisse à son audience levisage mangé par une fausse barbe et une kippa toute neuve. Pire encore : pluslarge serait la kippa, plus sérieux serait le crime. « Certains débarquent eneffet en s’imaginant qu’ici c’est l’hôtel Plaza, qu’ils ont juste à se visserune kippa sur la tête et voilà. Mais nous arrivons en général à les repérer,car il leur faut adhérer à un cadre de vie exigeant », explique le rabbinGabriel Ezra, rabbin en chef de la prison Rimonim.
Jeune homme de frêle stature, il déambule à travers l’aile torani tout enévoquant le programme avec l’enthousiasme d’un politicien – où plutôt, celuid’un prêcheur de prison. Il s’arrête sur le pas de la porte du cours d’étudeavancée qu’il loue pour « son haut niveau qui n’aurait rien à envier auxmeilleures yeshivot de Jérusalem ».
Un des étudiants lève les yeux de son livre de prières et déclare, enplaisantant, qu’Ezra est tellement taillé pour la politique qu’il ferait mieuxde quitter la prison et de rejoindre la Knesset.
Comme Dieu l’a demandé
A l’extérieur du cours pour débutants, le rabbin pointedu doigt l’emploi du temps épinglé au mur. La journée commence avec la prièrede 6 h 15 du matin et s’achève à 21 heures, après 7 heures d’enseignementl’après-midi. A ses dires, le cours fournit un cadre de vie rigoureux pour deshommes qui ont souvent vécu dans le chaos et le désarroi et ont manqué delimites claires et définies.
Le rabbin Cohen, qui a rejoint le Service des prisons il y a 26 ans, aprèsavoir été officier dans la marine, lui fait écho.
Dans l’étude de la Torah, dit-il, « l’idée est de se demander : “Qu’ai-jeappris qui pourra me rendre meilleur ?” ». Et d’expliquer que la majorité desclasses se focalise sur les enseignements du Lévitique, quant aux mitzvot del’homme envers son prochain.
« Le message principal que nous essayons de faire passer, est que le monden’est pas une forêt sauvage et qu’il faut se conduire comme Dieu nous l’acommandé », conclut le rav.
Hanan Ashtamker est un détenu de 42 ans, sa taille et ses mains impressionnent,mais son visage a tout du chérubin.
Voilà 3 ans et demi qu’il se trouve dans l’aile torani, suite à une peine de 6ans pour des violences conjugales envers son ex-femme sur lesquelles il nesouhaite pas s’étendre.
Ashtamker a d’abord continué de se montrer agressif au sein du systèmecarcéral, mais l’étude de la Torah, dit-il, lui a ouvert de nouvelles voies. «Ce que j’ai compris, c’est que gérer sa violence est la même chose qu’avecd’autres questions : on transpose simplement les leçons de la Torah ».
Le détenu n’a aucune relation avec sa fille de 8 ans. Selon ses dires, l’étudethoraïque lui a permis de trouver un sens qu’il ne ressentait pas auparavant.Il affirme avoir « appliqué les leçons apprises en classe aux relationspersonnelles et aux erreurs commises avec ma femme. Je sais que n’aurais pasfait ce que j’ai fait si j’avais été dans une structure de ce genre à l’époque».
Moins de récidive
Le sujet est des plus familiers pour le Dr Ouri Timor,enseignant au Collège académique d’Ashkelon et à l’université Bar-Ilan, quis’intéresse depuis très longtemps à la réhabilitation de la populationcarcérale. Dans une étude de 1998, il a montré des taux de récidiveremarquablement bas pour des anciens détenus qui avaient bénéficié d’unprogramme d’études religieuses et continué d’étudier après leur libération.
Pour Timor, en plus de contribuer à les réhabiliter, les cours fournissent unenvironnement apaisant pour les prisonniers, les occupent et les maintiennentéloignés de la violence et des stupéfiants. Sur les 517 détenus interrogés pourl’étude, seuls 50 sont retournés en prison. Un chiffre bien plus bas que letaux de 43,5 % de récidive de la population carcérale générale, selon lesdonnées du service des statistiques.
Selon le professeur, des résultats similaires seraient escomptables avec desprogrammes similaires pour les 48 % de prisonniers qui ne sont pas juifs. Maisses suggestions ont été rejetées par les autorités pénitentiaires qui craignentde voir fleurir un islam radical en leurs murs. « “Mais vous êtes fou !Voulez-vous donc créer une branche du Hamas en prison ?” C’est la réponse debase que je reçois », se désole Timor.
En découle donc une regrettable absence d’une structure dont certains ontpourtant tant besoin. « Quand on parle aux détenus », pointe-il, « le motqu’ils utilisent le plus souvent, c’est “balagan” (bazar). Ils décrivent leurvie comme un grand bazar, comme le chaos ». Avec les études religieuses, ils nesont plus seuls à gérer leurs existences et ils reçoivent en échange lesentiment que les choses s’ordonnent. Mais la clef du succès reste la poursuitedes études après la sortie de prison.
« Lorsqu’ils sortent et qu’ils retournent aux mêmes quartiers et aux mêmesamis, leurs chances sont minces. Il est très important qu’ils demeurent dans cecadre une fois de retour dans la société. Ils ont alors bien plus de chances des’en sortir ».