En faisant votre plein d’essence, vous avez sans doute eu la bonne surprise de découvrir que le coût était tombé à un peu plus de sept shekels le litre (après rabais avec carte de fidélité), soit une baisse bienvenue de presque deux shekels par rapport à août 2012. Un tarif encore bien au-dessus de celui pratiqué aux Etats-Unis, quasiment du simple au triple.Les taxes représentent plus de 40 % du prix de l’essence à la pompe, en Israël. Comme le prix de l’essence au détail suit, avec un peu de retard, le prix du baril de pétrole, il devrait bientôt baisser à nouveau pour atteindre 6,27 shekels le litre, le tarif le plus bas en cinq ans.La Compagnie israélienne d’électricité a récemment annoncé une baisse de 9 % du prix du kilowatt, due à la baisse mondiale du prix du pétrole (et du gaz naturel). Elle produit de l’électricité en partie à partir du gaz naturel et paie un taux élevé de 6 dollars par million de BTU (British thermal unit – 1 BTU = 0,252 kCal), soit près du double du prix courant aux Etats-Unis. Il va nous falloir en examiner les raisons. Sur des montagnes russesLa fluctuation des prix du pétrole ressemble fort à des montagnes russes. De quoi donner le tournis aux cœurs les mieux accrochés ! Le prix du pétrole a atteint un sommet record de 145 dollars le baril en juillet 2008, l’un de ces fameux soi-disant « chocs pétroliers » qui ont fait leur apparition en 1973. Mais l’effondrement financier et économique mondial a fait chuter le prix du baril à 30,28 dollars en décembre 2008. Nouvelle montée en flèche en janvier 2011 pour atteindre 100 dollars le baril, conséquence de l’instabilité géopolitique au Moyen-Orient. En juin de cette année, le pétrole coûtait 115 dollars le baril. Pour retomber à moins de la moitié aujourd’hui, soit environ 55 dollars. Il s’agit également d’un choc pétrolier, mais cette fois-ci sous forme d’une baisse sympathique.Or le coût de la vie est en passe de devenir un sujet brûlant, capable de réveiller la campagne électorale actuelle. Selon la radio israélienne, ce serait même le dossier n° 1 pour les électeurs, devant la défense et la sécurité nationale.La réduction des coûts énergétiques est donc une bonne nouvelle pour le Likoud au pouvoir. Et également pour l’économie chancelante du pays. Les importations de fuel et de charbon au cours des dix premiers mois de 2014 ont atteint 24,3 milliards de shekels (6,2 milliards de dollars). Aussi la chute des prix du pétrole permet-elle de réduire les importations et de conserver des milliards de dollars de pouvoir d’achat domestique. En dépit des faibles prix, la fièvre du pétrole touche aussi Israël. Suite au rejet par la Cour suprême d’une pétition des écologistes pour tenter de bloquer le processus, Afek Oil and Gas va bientôt entamer les forages d’exploration de pétrole et de gaz dans les hauteurs du Golan.Les cheikhs et les schisteux Mais pour quelles raisons le prix mondial du pétrole brut est-il tombé si brusquement ? La réponse est simple : l’offre et la demande. Ou encore les cheikhs et le schiste.Les émirs du pétrole saoudiens ont refusé de réduire l’approvisionnement pour stabiliser les prix et les producteurs de schiste bitumeux américains, capables aujourd’hui d’extraire l’huile de schiste à travers un processus appelé fracturation, forent de façon très intensive. Parallèlement, la demande mondiale de pétrole a diminué proportionnellement à la hausse des carburants et sources d’énergie alternatifs, l’augmentation de l’efficacité énergétique et la stagnation de l’économie globale.Du côté de l’offre, les Etats-Unis sont devenus, de manière inattendue, le plus grand producteur de pétrole du monde, il importe donc beaucoup moins de matière première et réduit ainsi la demande mondiale.Selon le magazine britannique The Economist, les producteurs de pétrole américains ont achevé la construction de 20 000 nouveaux puits depuis 2010, soit dix fois plus que l’Arabie Saoudite sur la même période. La plupart de ces puits utilisent la technologie de la fracturation hydraulique, qui extrait l’huile et le gaz de roche et de sable autrefois inaccessibles, au moyen d’eau et de vapeur à haute pression.Les Etats-Unis produisent aujourd’hui plus de onze millions de barils de pétrole par jour, un million de plus que les Saoudiens, contre seulement environ cinq millions de barils par jour il y a six ans. En 2010, l’Amérique est également devenue le plus grand producteur de gaz naturel du monde.« La lutte que se livrent les cheikhs et les “schisteux” a fait basculer le monde d’une pénurie de pétrole à un excédent », soutient The Economist. Et le chroniqueur du New York Times, Joseph Nocera, ajoute : « … Les Saoudiens ne sont pas disposés à abandonner des parts de marché à d’autres pays, et ils ont les moyens de résister à la baisse des prix beaucoup plus longtemps que n’importe quel autre pays exportateur de pétrole ». Les cheikhs saoudiens jouent toujours un rôle clé dans la fixation des prix du pétrole. Comme le coût marginal est très faible en Arabie Saoudite (5 ou 6 dollars le baril), par le passé, les cheikhs saoudiens contrôlaient l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) en réduisant la production, ou au contraire en la stimulant, afin de stabiliser les prix. Et ce sans la moindre difficulté et grâce à une pression fiscale minimale.Mais lors d’une réunion de l’OPEP le 27 novembre dernier, les cheikhs saoudiens et leurs alliés des pays du Golfe, les Emirats arabes unis et le Qatar, ont refusé de se jeter sur les barbelés. L’Arabie Saoudite possède 900 milliards de dollars en réserves de trésorerie, tandis que l’effondrement des prix du pétrole affecte ses ennemis comme l’Iran et la Russie. Par ailleurs, si le prix du pétrole est bas, l’ardeur des Américains à accélérer la fracturation s’en trouve refroidie et cela freine d’autant plus les investissements auprès des principaux rivaux de l’Arabie Saoudite.Les experts notent, cependant, que le pétrole saoudien est « moyen et lourd », tandis que l’huile de schiste est « légère », de sorte qu’ils sont complémentaires plutôt que concurrents. Le véritable rival du brut lourd saoudien est le pétrole irakien et iranien, deux pays pas très amis de l’Arabie Saoudite.Des pétrodollars bien au chaudL’actuelle baisse du prix du pétrole va-t-elle se maintenir, ou se dirige-t-on vers une nouvelle flambée ? « Le monde ne verra peut-être plus jamais le baril à 100 dollars », prédit Ali al-Naïmi, ministre du pétrole saoudien. « Que la baisse atteigne 20, 40, 50 ou 60 dollars n’a pas d’importance », annonce-t-il.La dernière fois que les Saoudiens ont sabré la production de près des trois quarts pour stabiliser les prix, au milieu des années 1980, ils ont cédé des parts de marché à leurs concurrents. Ils sont déterminés cette fois-ci à ne pas retomber dans le même schéma.Avec un baril à 115 dollars, l’Arabie Saoudite gagne 360 milliards de dollars par an en exportations. A 55 dollars, ses résultats représentent moins de la moitié. Si elle réduisait la production, ses gains seraient encore inférieurs.Dans les années 1980, rappellent les experts, l’Arabie Saoudite a stimulé la production, ce qui a entraîné la chute des prix du pétrole, et porté un coup dur à l’économie soviétique, dépendante du pétrole. Cela a peut-être contribué à l’effondrement de l’URSS en décembre 1991. Une théorie du complot attribue ce résultat au président américain Reagan, qui aurait supplié les Saoudiens de l’aider à vaincre la Russie, « l’Empire du mal ».L’histoire pourrait bien se répéter.Sous la présidence de Boris Eltsine, la Russie n’a pas honoré sa dette extérieure en août 1998 en raison de la baisse des prix du pétrole. Aujourd’hui, l’économie russe est doublement mise à mal par les sanctions européennes et américaines, suite à l’occupation de la Crimée, et par la chute des prix du pétrole. Le rouble s’est effondré et l’économie russe est en récession. C’est la troisième fois que la baisse des prix du pétrole plonge la Russie dans la crise.Mais cette baisse contribue largement à stimuler l’économie de la planète, par l’ajout de près d’un billion de dollars de nouvelles dépenses au produit intérieur brut mondial. La raison ? Les pétrodollars restent bien au chaud dans les poches des émirs du pétrole, alors que les consommateurs occidentaux et asiatiques les dépensent quand les prix du pétrole sont bas. Selon le Fonds monétaire international, une baisse de 10 % des prix du pétrole stimule l’économie mondiale de 0,2 %.La Chine tire ainsi de grands bénéfices de cette baisse. Deuxième au rang des importateurs mondiaux de pétrole, l’Empire du milieu épargne 60 milliards de dollars par an en importations de carburant. Si cela renforce l’économie chinoise, au ralenti ces dernières années, cela profite aussi à celle du Japon, en récession.Gilo, l’empêcheur d’exploiter en rondDans ce contexte de chute des prix du pétrole, une nouvelle polémique éclate en Israël à propos du gaz naturel.Le commissaire de l’autorité israélienne de la concurrence, David Gilo, a annoncé en décembre qu’il résiliait l’accord conclu en mars dernier entre Noble Energy et le groupe Delek – la joint-venture qui développe les champs de gaz offshore Tamar et Léviathan. Selon cet accord, Noble et Delek contrôleraient plus de 90 % des réserves de gaz israéliennes, ce qui constitue un quasi-monopole. Tardivement, et sous la pression de l’opinion publique, Gilo a décidé de casser ce monopole, de stimuler la concurrence et de réduire le prix du gaz naturel.Ce volte-face de Gilo fait suite à une lettre d’Orit Farkash-Hacohen, présidente de la Commission de l’électricité, adressée au Premier ministre Benjamin Netanyahou, lui demandant d’intervenir pour s’attaquer au problème du monopole gazier, ainsi qu’aux déclarations vigoureuses du procureur général adjoint, Avi Licht.Farkash-Hacohen avait auparavant commandé une étude réalisée par l’expert italien de l’énergie Sergio Ascari, qui constate que les foreurs et développeurs de gaz offshore en Israël gagnent le double de ce que gagnent ailleurs des organismes similaires.Il note également que la Compagnie israélienne d’Electricité et les autres fournisseurs d’énergie se sont fixé un budget de dépenses en gaz de quelque 200 milliards de shekels (51 milliards de dollars) d’ici 2030, ce qui ailleurs ne dépasserait pas 100 milliards de shekels. Au consommateur israélien, bien entendu, de payer la facture.En plus de Noble, qui détient un peu plus de 39 % du projet Léviathan, Delek (contrôlé par le magnat Itzhak Techouva) détient 23 %, Avner Oil & Gas détient 23 %, et Ratio Oil Exploration, 15 %.La riposte furieuse de Noble, une société énergétique américaine indépendante avec plus de 5 milliards de dollars de revenus annuels, ne s’est pas fait attendre. Binyamin Zommer, le représentant israélien de la firme, a déclaré que la compagnie avait investi plus de 6 milliards de dollars dans le développement des champs gaziers israéliens, sur la base d’un accord passé avec le gouvernement. Il a laissé entendre que la décision de Gilo équivaut à changer les règles du jeu de façon unilatérale, en dépit des sommes considérables consacrées à ce projet par Noble et Delek. Noble est la seule compagnie à avoir osé prendre le risque d’investir dans le développement du gaz au large des côtes israéliennes, dans le contexte d’instabilité notoire du Moyen-Orient, affirme-t-il.La volte-face de Gilo pourrait conduire à des années de litiges et retarder l’arrivée du gaz Léviathan à terre de plusieurs années. Ce qui entraînerait des pertes importantes non seulement pour Noble et Delek, mais aussi pour les caisses du gouvernement.Comment briser le monopoleIl existe un certain nombre de solutions alternatives à la suppression du monopole Noble-Delek. La première consiste à trouver un autre partenaire prêt à entrer dans le marché. Mais comme le fait remarquer le Pr Eitan Sheshinski, de l’Université hébraïque, un duopole ne peut prétendre générer une concurrence suffisante, selon la théorie économique. Sheshinski a présidé antérieurement deux comités, qui ont fortement augmenté les paiements de redevances sur le gaz naturel et les produits chimiques de la mer Morte.La meilleure solution est susceptible de créer un « monopsone » (acheteur unique), dirigé par le gouvernement, pour acheter le gaz du fournisseur monopolistique afin de maintenir des prix raisonnables. Ceci offrirait suffisamment de profits à Noble et Delek pour justifier leurs investissements considérables et en même temps éviterait que les consommateurs israéliens ne soient lésés. Alternativement, le prix du gaz naturel payé à Noble pourrait être étroitement lié au prix du gaz comparable ailleurs, établi par une réglementation et une législation en conformité.David Rosenberg note, dans TheMarker, que Gilo, ancien professeur de droit, n’a pas encore expliqué « comment il entend corriger son erreur et briser le monopole gazier ».A l’heure actuelle, le champ gazier Tamar fournit à lui seul 60 % des besoins énergétiques du pays. Tamar est entré en service à point nommé, après que l’Egypte ait interrompu ses livraisons de gaz à Israël en 2011. Mais le gaz de Tamar va finir par s’épuiser et celui de Léviathan, censé entrer en service en 2017, est crucial pour le remplacer. Mais Noble menace de suspendre le développement du champ gazier, en attendant la résolution du différend avec Gilo. Et, pour compliquer les choses, le ministère de l’Energie s’en est mêlé, fustigeant Gilo pour ne pas l’avoir consulté avant d’annoncer son changement d’attitude. Netanyahou a demandé à son conseiller économique, le Pr Eugene Kandel, d’enquêter sur la question.Le gaz : la meilleure alternativeLe Dr Gilead Fortuna, de l’Institut Neaman, directeur du Centre d’excellence industriel et ancien cadre supérieur dans de grandes entreprises israéliennes, a une autre explication sur ce qui pousse les Saoudiens à imposer une fluctuation cyclique des prix du pétrole brut.Le gaz naturel peut être converti en l’équivalent de pétrole brut. La plus grande usine du monde sur ce modèle a été construite par Shell au Qatar. Le produit coûte très cher : entre 60 et 80 dollars le baril, et exige d’énormes investissements. D’après Fortuna, c’est ce qu’Israël devrait faire avec son gaz, plutôt que de se contenter de l’exportation ou de l’utilisation pour produire de l’électricité.Cependant, si le rendement à long terme sur l’investissement de transformation de gaz en pétrole est excellent et peut atteindre des prix supérieurs à 60-80 dollars, sa stabilité demeure cruciale pour les investisseurs. En maintenant le pétrole brut dans une fluctuation cyclique qui peut tomber sous la barre des 60 dollars le baril, les Saoudiens rendent le processus de liquéfaction du gaz trop risqué pour les investissements à grande échelle et assurent ainsi leur suprématie face à un concurrent majeur. Même si le prix du pétrole augmente, l’incertitude cyclique peut empêcher les grandes compagnies pétrolières d’investir dans ce processus.Le prix actuel payé par la Compagnie israélienne d’électricité au monopole gazier pour son gaz naturel est peut-être exorbitant. Nous ne pouvons l’affirmer avec certitude car Noble n’est pas tenu légalement de révéler ses coûts. Mais si le monopole est reconnu officiellement, il va devoir ouvrir ses livres de comptes et nous en saurons alors beaucoup plus.Malgré tout, la cherté du gaz naturel vaut probablement mieux que son alternative : le charbon et son taux de pollution élevé et le pétrole brut. Reste à souhaiter que Kandel finisse par trouver un compromis raisonnable pour permettre au gaz de s’écouler à des prix équitables.En attendant, malgré la baisse des prix de l’essence, ma femme et moi avons acheté une voiture hybride dont la consommation ne devrait pas dépasser les 3,03 litres aux 100 km, d’après la pub. Il nous semble en effet plus prudent de partir du principe que les chocs pétroliers risquent de se reproduire et de ne se fier ni aux cheikhs ni au schiste. L’auteur est chercheur principal à l’Institut S. Neaman, au Technion.Retrouvez son blog sur www.timnovate.wordpress.com© Jerusalem Post Edition Française – Reproduction interdite