Quelque chose ne va pas. Betty Moller, jeune étudiante enarts, observe son buste de David Ben Gourion, mécontente. Et le verdict tombe :“Il faut que je le voie”, se dit-elle. Elle fait donc le voyage entre Tel-Avivet la Knesset pour le rencontrer dans son bureau. “Lorsqu’il m’a adressé la parole”,se souvient-elle aujourd’hui, “je n’ai pas pu me concentrer sur ce qu’ildisait. A la place, j’entendais la chanson de Me’al Pisgat Har Hatzofim, un airqui raconte le désir juif de retrouver Jérusalem et de la reconstruire”.
Sa sculpture du premier dirigeant israélien, front plissé et regard au loin,est aujourd’hui exposée au musée de Tel- Aviv.L’élégante sculptrice de 87 ans s’est spécialisée dans les figures de bronze,souvent tirées de la Bible. Plusieurs de ses oeuvres sont présentées dans lecadre de l’exposition en plein air “Muse”, au centre Alrov Mamilla deJérusalem, jusqu’à décembre prochain. On peut y admirer un sombre etgigantesque Goliath, un portrait saisissant d’Abraham tenant deux mondes entreses mains, Ismaël et Isaac, ou encore une femme en forme de violoncelle, dontle visage lui rappelle sa mère. Beaucoup des créations de Moller représententla force juive, la survie du peuple et son héritage. Le Pentateuque lui sertd’inspiration artistique. Non pas en tant que texte religieux, explique-t-elle,mais plutôt du fait de son historicité. Tout ne s’est peut-être pas passé comme il est écrit, admet-elle, mais cespersonnages ont existé. De cela, elle est sûre. Parlant du premier Juif del’Histoire, elle raconte : “Il est enterré pas très loin de Mamilla. Ilreprésente notre passé, c’est notre père. J’aime beaucoup le Tanakh. Je ne suispas religieuse dans les faits, mais je le suis à l’intérieur, vraiment”.Le stoïcisme d’une mèreLe parcours de Moller a commencé par l’Institut Avni deTel-Aviv, avant de continuer par les Beaux-Arts à Paris, puis la Art StudentLeague (la Ligue des étudiants d’art) à New York.
Pour la sculptrice, il existe une continuité de la vie juive, depuis l’époquede la Bible jusqu’à la fondation de l’Etat d’Israël et les temps actuels. Ellesalue surtout cette détermination israélienne à créer et prospérer. Assise au café Amélia, pas très loin de chez elle au nord de Tel-Aviv, elleexplique : “Les Juifs ne perdent pas leur temps à haïr, détruire ou tuer”. Etd’ajouter : “Notre énergie est intérieure, nous l’utilisons pour créer, pourfaire, pour croire en nous-mêmes”.Et l’octogénaire a la même approche dans son travail. Lorsqu’une idée luivient, elle prend le temps d’imaginer le produit réalisé, de rêver. “Jecommence à travailler à quelque chose”, dit-elle, “je décide que c’est ce quej’ai envie de voir, ce que j’ai envie de créer. Si j’en ai décidé, alors celadoit être fait”.Son but : tisser un lien entre son art et le spectateur, mais aussi entre elle-mêmeet l’oeuvre.Parmi ses projets, elle rêve de faire les sculptures de rois David et Shaoul.L’amour d’Israël fait également partie de la vie personnelle de l’artiste. Elleest ainsi retournée de New York pour mettre au monde son fils, Guilad, aujourd’huimusicien. “C’est un grand privilège qu’il soit né ici”, dit-elle, ajoutantavoir ressenti le besoin d’accoucher en Israël, car le peuple juif a rêvé de cepays pendant plus de 2 000 ans.Née en Perse, Moller a fait son aliya à l’âge de 5 ans, en compagnie de sasoeur et de sa mère, d’origine russe.Son père, resté au pays pour son affaire de fourrure, rejoindra la famille 20ans plus tard. Elle se souvient que, dans son enfance, certains Juifs iraniensprétendaient être musulmans en public et pratiquaient le judaïsme en secret.“Ma mère ne voulait pas élever ses enfants ainsi”. La vie de nouveaux immigrésn’a pas été simple pour autant, avec peu d’argent et la difficulté d’apprendrela langue.“Je pense que ma mère a beaucoup souffert”, dit-elle, ajoutant qu’elle restaitcependant toujours fière et respirait la dignité. Elle a travaillé dur pourélever ses enfants seule, cousant leurs vêtements, fabriquant des petitespoupées à ses filles et ne se plaignant jamais.De l’ordre du divinPeu avant la guerre d’Indépendance, sa mère finit partomber malade et envoie ses deux filles dans des familles d’accueil. Lafillette de la famille qui reçoit Betty étudie l’art. Un jour, elle rapporteune motte de glaise et Moller se met à jouer avec jusqu’à ce qu’un personnageémerge.
“J’ai eu très peur”, se souvient-elle, “je me suis dit, j’ai pris son matériel,cela va faire des problèmes”.Mais la famille d’accueil remarque son talent et l’inscrit aux cours d’art. “Jene sais sic’est moi, si c’est eux, ou si c’est Dieu qui en a décidé ainsi”, commente-elleau sujet de son entrée dans le monde artistique. “Je n’en sais rien. Mais quoi qu’il en soit j’en suisheureuse”.C’est à New Yorkqu’elle rencontre son mari, l’artiste Isadore Grossman. Ils s’attelleront ensembleà la délicate et pénible tâche de la restauration d’art pour de riches clients,tels que Johnson&Johnson, ou des galeries. Aujourd’hui, Betty continue dele faire de temps en temps pour le compte d’acquéreurs étrangers et de musées.Les projets vont de la sculpture égyptienne à des oeuvres mexicaines, ce quilui a permis d’étudier l’histoire de l’art. “J’adore les puzzles”, dit-elle ausujet de ce travail fastidieux et gratifiant à la fois.Mais l’industrie de l’art ne l’a jamais beaucoup intéressée : “l’argent, c’estl’argent, et l’art, c’est l’art”.Elle est heureuse de pouvoir se consacrer à la sculpture. “C’est presque del’ordre du divin”, ditelle de l’énergie créatrice.“C’est Dieu qui m’a fait ce don. Et parce que je l’ai, je dois travailler, jedois en faire quelque chose”.