En juin 1967, pendant la guerre des Six-Jours, IdoNehoushtan grimpe sur le toit de la maison de sa famille, à Jérusalem.L’emplacement idéal pour regarder les avions de chasse des Forces aériennes quisurvolent le territoire et bombardent des cibles jordaniennes, près deBethléem.
La vue des appareils et leur étonnante puissance submerge l’enfant, alors âgéde dix ans. Et signe son futur engagement dans l’aviation. Huit ans plus tard,Nehoushtan s’enrôle sous les drapeaux et entame sa carrière militaire. Ilgravit les échelons jusqu’à devenir le commandant de l’armée de l’air, soitl’un des postes les plus prestigieux de Tsahal.Près de 45 ans après avoir observé ces avions de combat au cours de l’une desplus marquantes guerres d’Israël, Nehoushtan a présenté sa démission et mis finà un parcours de 37 ans dans l’armée. Ce diplomate et pilote de chasse a foi en son pays, même si de nombreux sujetsauraient raison de l’inquiéter.“Personne ne s’interroge sur l’existence d’une autre nation, telle que l’Indepar exemple”, commente-t-il.“Mais notre droit d’exister est sans cesse remis en question, et certainsveulent nous faire disparaître. Ils vont jusqu’à exprimer ce désir en public !”“Je ne crois pas que cela arrivera”, nuance-t-il. “Mais nos ennemis doiventsavoir, que s’ils tentent de nous anéantir, ils devront d’abord venir à bout del’aviation israélienne !”
Dernières heures de vol
Notre journée avec Nehoushtandébute à 8 heures, à la base aérienne Palmahim. Il est venu y faire ses adieuxavant de quitter ses fonctions. Première étape : une conférence destinée auxofficiers de diverses unités - pilotes d’hélicoptère, contrôleurs desopérateurs de défense antimissile, commandos de l’unité d’élite Shaldag...
Puis Nehoushtan grimpe dans le cockpit d’un hélicoptère de combat, de typeCobra. Après environ 40 minutes de vol, il atterrit au milieu d’un champ prèsde Kiryat Gat et monte dans un hélicoptère de transport Faucon Noir pour unexercice de simulation : le secours d’un pilote blessé.Une des caractéristiques uniques de l’aviation israélienne : quel que soit legrade que vous arborez sur l’épaule, le commandant en mission a la suprématiedans les airs. Au cours de ses deux vols, Nehoushtan, un général de division,vole sous les ordres d’un commandant d’escadron et d’un lieutenant-colonel.Après l’atterrissage et le retour à la base, Nehustan inaugure un nouveauquartier-général pour l’un des escadrons de la base, construit en collaborationavec les ingénieurs de l’armée américaine. Il se dirige ensuite vers un simulateurd’hélicoptère situé à proximité, où les pilotes le surprennent : la missionconsiste en un vol au-dessus du camp d’extermination d’Auschwitz en Pologne.Sur l’image informatisée, on discerne aisément l’infâme entrée du camp, lesbaraquements et les fours crématoires.Sous les commandes du pilote, le simulateur peut survoler n’importe quelendroit du monde. Et Nehoushtan de rappeler comment, en 2003, il se tenait surces voies ferrées, à la tête d’une délégation militaire en Pologne, etobservait son successeur Amir Eshel, conduire un trio de F-15 en un volhistorique.Pour Nehoushtan, la simulation de vol est une preuve supplémentaire quel’aviation joue un rôle fondamental dans l’histoire de l’Etat d’Israël. “Nousévoluons dans une région pleine de dangers et je ne considère rien commeacquis”, affirme-t-il. “Nous devons être suffisamment forts pour nous protéger,car nous ne pouvons compter sur personne d’autre que sur nous-mêmes.”L’Iran, s’entraîner plutôt que parlerAu cours de ses quatre années à la têtedes Forces aériennes, Nehoushtan a dû faire face à un grand nombre de menaceset de défis majeurs. Il a dirigé l’opération Plomb durci dans la bande de Gaza en 2008, et investinombre de ressources et d’énergies pour tirer les leçons de la seconde guerredu Liban. Il s’est principalement efforcé d’améliorer la coopération entrel’Aviation et les forces terrestres de Tsahal.
Nehoushtan évite toutefois d’évoquer l’une des questions qui a occupé unegrande part de son temps : l’Iran.Plus précisément, les préparatifs d’Israël pour bombarder les installationsnucléaires de la République islamique. Si le Premier ministre BinyaminNetanyahou et son ministre de la Défense Ehoud Barak parlent si ouvertementd’une option militaire viable pour Israël, c’est essentiellement le fruit desefforts de Nehoushtan.Ces dernières années, l’aviation a considérablement amélioré ses capacités pourêtre à même de réussir une attaque potentielle contre Téhéran. Si la clé detoute attaque contre l’Iran semblait être les avions de longue portée, tels queles F-16I et F-15I, l’armée a récemment remis au goût du jour certainsappareils plus anciens, qui eux aussi peuvent atteindre des cibles éloignées.Mais contrairement à d’autres officiers et politiciens, Nehoushtan se refuse àévoquer directement les enjeux d’une éventuelle opération militaire. Il secontente de livrer un message destiné à l’Iran et à l’ensemble de sesmandataires terroristes dans la région : “Je suis conscient des missionsauxquelles doit faire face l’armée de l’air ; nous avons fait notre possiblepour nous doter des capacités nécessaires pour y faire face”, assure-t-il.“L’aviation est prête. Je connais le rôle de l’armée de l’air pour assurer lasécurité de l’Etat d’Israël”, poursuit-il. “Il est important et indispensable.Et il exige de moi et de l’ensemble des forces d’être forts, formés etentraînés.”Nehoushtan se montre également quelque peu critique vis-à-vis de ses collèguesplus bavards. “Je pense que sur cette question précise - l’Iran - nous nedevrions pas nous exprimer. Je le dis avec toute la responsabilité que celaimplique. Je pense que les déclarations publiques sur le sujet sont dépourvuesdes éléments de base nécessaires pour rendre la discussion significative.”Les trois principes de l’aviationSi Nehoushtan utilise les mots avecparcimonie, on ne peut pas en dire autant de ses actions.
Pendant les quatre années où il en était aux commandes, l’aviation a enregistré650 000 heures de vol, dont 150 000 dans le cadre d’opérations où 7 000 ciblesont été bombardées. Les drones ont représenté près d’un tiers des vols.Il a également donné un coup de pouce technologique significatif à l’aviation.C’est lui qui a poussé à l’achat du premier escadron de chasseurs F-35, detransporteurs Hercules C-130, d’avions d’entraînement italiens avancés, desimulateurs de nouveaux drones comme le TP Héron, doté d’une envergure de 26mètres - la même que celledu Boeing 737. Et c’est lui, également, qui a supervisé le déploiement dusystème de défense Dôme de fer, qui a déjà intercepté plus de 90 roquettes detype Katioucha et Kassam, tirées depuis la bande de Gaza depuis sa mise enservice.Pour autant, il est inquiet. Devant les soulèvements continus qui agitent leMoyen-Orient, les nouveaux systèmes de missiles sol-air et l’arrivée d’avionsde pointe dans la région : des F-16 ont récemment été livrés à la Jordanie, etl’Irak a annoncé son intention d’acheter des avions de chasse. “Notresupériorité aérienne est plus menacée que jamais”, constate-t-il. “Aujourd’huil’aviation a les capacités nécessaires pour le combat et pour mener à bien sesmissions. Mais pour rester à ce niveau, nous devons investir convenablementdans cette ‘police d’assurance’”.Selon Nehoushtan, il existe trois principes que l’aviation sedoit de respecter pour conserver sa supériorité aérienne. En premier lieu, lanécessité de booster la force de dissuasion d’Israël, qui repose sur troiséléments distincts : que pensent les ennemis de l’Etat juif de ses capacités,que savent ses ennemis de ses capacités, et le pensent-ils suffisammentdéterminés pour en faire usage. C’est pour cette force de dissuasion queNehoushtan s’est battu pour obtenir du gouvernement l’acquisition de19 F-35. Unaccord de près de 3 milliards de dollars. “A l’image des F-15 dans les années1970, ils vont venir renforcer la force de dissuasion israélienne”,explique-t-il avec confiance. “ Deuxième principe : la nécessité durenseignement, aussi précis que possible. Comme celui obtenu à la veille dePlomb durci, et qui allait permettre de donner le feu vert à l’opérationOiseaux de Proie, salve d’ouverture du conflit, où 100 avions de frappe ethélicoptères ont survolé l’enclave palestinienne dans un va-et-vient continu.Résultat : plus de 100 tonnes d’explosifs larguées sur 100 ciblesprédéterminées, en une poignée de minutes.Enfin, le dernier principe concerne la défense.Car l’aviation joue un rôle-clé dans le développement et la mise en place desdivers systèmes antimissile actuellement en fonction dans tout Israël, commeArrow, Patriot et Dôme de fer. En 2015, son arsenal multicouches s’étofferaencore, avec le déploiement de Arrow 3 et du système Fronde de David. IdoNehoushtan se désigne lui-même comme “un client pour Dôme de fer”, pour habiterà Yavné.Mais dans un premier temps, explique-t-il, Tsahal envisagerait de déployer unebatterie dans les environs d’Eilat, pour intercepter les roquettes qui menacentde pleuvoir de la péninsule du Sinaï. Au total, 14 batteries pourraient êtrenécessaires pour parer le territoire d’Israël contre toute attaque de missilesde courte portée.Privé de ses ailes
Qu’adviendrait-il si, en Egypte, un régime résolumentantiisraélien prenait les rennesdu pays ? A l’évocation de cette probable menace, Nehoushtan recommande laprudence.
“Je ne pense pas que nous devons nous précipiter à renier les acquis avec LeCaire, comme le traité de paix”, estime-t- il. “Le traité est très important etconstitue l’un des plus grands succès stratégiques obtenus par Israël depuis sacréation.L’Egypte est un vaste pays, et un membre clé du monde arabe. C’est aussi notrevoisin : trois raisons qui doivent nous encourager à tout faire pour préservernos liens.”Mais rien n’est jamais acquis. Et à la question de savoir si l’aviation et Tsahalsauront faire face à un éventuel défi militaire en provenance d’Egypte,Nehoushtan reconnaît que parfois, dans la vie, certaines choses “ne sont passous contrôle”.“L’armée et l’aviation sont là pour faire face à de tels scénarios”,précise-t-il. “Et l’aviation est l’un des outils à la disposition d’Israël pourparer à toute éventualité.”Autre source d’inquiétude pour Nehoushtan : le Front nord, en particulier auregard du transfert d’armes qui s’opère de la Syrie vers le Liban.Israël est particulièrement concerné par la situation en Syrie : le Hezbollahprofiterait de l’instabilité pour faire passer des armes sophistiquées au Liban- missiles Scud de longue portée et systèmes de défense aériens de pointe.Certains rapports ont même fait savoir qu’Israël pourrait attaquer de telsconvois, dans le cas où ils transporteraient des munitions censées porteratteinte à l’équilibre sécuritaire, comme des armes chimiques syriennes. “Il nefait aucun doute que, d’un point de vue géostratégique et militaire, lesdéveloppements sur ce front retiennent toute notre attention. Nous devons êtreprêts à tout.”Mais c’est justement ce panel de menaces qui rend l’aviation israélienne uniquepar rapport aux autres forces aériennes du monde, estime Nehoushtan. Car ici,les pilotes peuvent voler le matin vers l’Iran, l’après-midi vers le Liban, etla nuit à Gaza.Et sur les trois fronts, ils seront confrontés à des dangers différents”,poursuit-il.“Mais cela exige de l’aviation d’être toujours opérationnelle, d’être endétention d’informations sur les caractéristiques de chaque front et surtout des’entraîner”, souligne-t-il.Ce qui manquera le plus à Nehoushtan ? Ne plus voler.Un renoncement qu’il compare à l’amputation d’un membre. Après 37 ans enuniforme, il ne lui sera pas facile de tirer sa révérence. Mais pour l’heure,on lui a demandé de se tenir à disposition de l’armée pour l’année à venir.Avec les menaces qui pointent à horizon, le pays pourrait bien avoir besoin deconseils avisés.