UNE HISTOIRE, DEUX VISIONS

À l'occasion de Yom Yeroushalayim, laissez vous guider à travers les quartiers controversés de la capitale.

Jerusalem long art vue ville (photo credit: © Marc Israël Sellem)
Jerusalem long art vue ville
(photo credit: © Marc Israël Sellem)
Des
deux côtés de l’échiquier politique, on s’accorde àpenser que l’installation de résidents juifs au cœur de quartiers arabes aurapour effet d’empêcher une division de la capitale lors d’un futur accord depaix. Nous voilà donc partis pour une visite sur le terrain, accompagnés dedeux guides, l’un de droite, l’autre de gauche.Les deux gardes, à l’entrée de Kidmat Zion,ne cachent pas leur surprise : ils n’ont pas l’habitude de voir surgir desvisiteurs inattendus à leur poste de contrôle. Quand je m’y présente,accompagnée de mon guide, chercheur au sein d’Ir Amim, une ONG qui défend ledroit des Palestiniens à vivre à Jérusalem-Est, et de Wallid, notre chauffeurarabe, nous avons aussitôt droit à un contrôle d’identité, tandis qu’on nousordonne de reculer. Il est formellement interdit de pénétrer dans la petiteenceinte.Puis on nous demande poliment, mais fermement, de nous en aller, puisque nousne sommes invités ni par l’un des résidents juifs ni par l’une des famillesarabes qui vivent ici.Kidmat Zion, dont l’entrée est, on le voit, très surveillée, est l’un desprojets “chauds” de la municipalité. Outre les deux bâtiments où habitent déjàsix familles juives, la construction de nouveaux logements est au programme.Initiée par l’organisation de droite Ateret Cohanim, elle est soutenue par lemaire Nir Barkat.Kidmat Zion surplombe le Mont du Temple etoffre une vue magnifique et peu commune depuis l’est.Obéissants, nous commençons à rebrousser chemin, prêts à revenir le lendemain,puisqu’une visite organisée est prévue. Au même instant, surgit Daniel Luria,représentant d’Ateret Cohanim, qui doit être mon guide le lendemain. Il nousfait rentrer. Nous voilà donc de l’autre côté de la barrière, à l’orée d’unétroit sentier qui offre une vue plongeante sur le village palestinien d’AbouDiss : deux Juifs appartenant à des organisations situées aux deux extrémitésdu spectre politique, une journaliste, deux gardes druzes et un chauffeurarabe, tous intéressés par ce minuscule endroit, mais pour différentes raisons.
Rêve ou cauchemar ?

Les points de vue respectifs des organisations de droite,qui encouragent les résidents juifs à s’installer à Jérusalem-Est, et desassociations de gauche, qui tentent de les en empêcher, illustrent deux façonsdiamétralement opposées d’envisager une même situation. A droite, on clame hautet fort qu’il faut accroître la population juive dans toutes les parties de laville, et surtout à Jérusalem-Est et près des lieux saints ; à gauche, onprésente les actions de ces militants de droite comme la pire menace contretoute chance de parvenir à une solution viable au conflit du Moyen-Orient. Là,rien n’est fait en cachette : au contraire, les organisations de droiteconsidèrent qu’il est dans leur intérêt d’informer le plus de monde possible deleurs activités. Et tandis qu’elles s’enorgueillissent de leursaccomplissements, les militants de gauche ne dissimulent pas leur inquiétude.Chaque organisation dispose d’une multitude d’informations sur les faits etgestes de ses rivaux : on connaît les quartiers concernés et les méthodes utilisées.De temps à autre, les médias révèlent une nouvelle installation de résidentsjuifs (qui fait généralement suite à l’expulsion de familles palestiniennes),la dernière en date étant la prise de possession par deux jeunes familles dedeux maisons situées dans la partie nord de Beit Hanina. Autant dire que lasituation gagne chaque jour en complexité. Et inutile de se lancer dans unebataille de chiffres : tout le monde est d’accord sur le fait qu’il estquestion d’environ 3 000 résidents juifs, répartis dans 48 lieux.Un rapide coup d’oeil à la carte donne une réponse claire et immédiate auxinquiétudes des organisations de gauche : les installations juives à Jérusalemsont disséminées à travers toute la ville, à l’intérieur des murailles commedans les quartiers excentrés, rendant quasi-irréalisable la division de laville en deux capitales, dans le cadre du principe de “deux pays pour deuxpeuples”.Que l’on envisage une telle situation comme un cauchemar ou comme un rêve, nulne conteste que cet habile programme d’installations juives est assez réussipour interdire toute division de la capitale. Toutefois, tandis que la droitevoit là le moyen de préserver la souveraineté israélienne, non seulement surces quartiers, mais sur toute la ville, y compris dans les zones acquises après1967, à gauche, il existe un consensus pour estimer que c’est précisément cequi empêche le monde de reconnaître le droit d’Israël à se maintenir dans desquartiers comme Guilo, Talpiot est, la Guiva Hatsarfatit ou Ramot.

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Ir Amim, côté gauche

Eran Tzidkyahou, membre de l’association Ir Amim, sera monguide pour la visite. Je le retrouve sur le parking du Liberty Bell Garden, d’où nous partonsvers Talpiot.Nous passons devant l’immeuble de deux étages de la rue Hamefaked (dans ce quiétait la partie arabe d’Abou Tor avant 1967), où habitent une vingtaine deJuifs, étudiants et familles. Eran Tzidkyahou a choisi de commencer la visitepar le complexe résidentiel Nof Zion, au bas des collines de Jebl Moukaber (encontrebas du quartier général de l’ONU et de la Promenade de Talpiot). Maisnous nous arrêtons d’abord sur la Promenade pour admirer le point de vue sur laville.Eran Tzidkyahou attire mon attention sur ce qu’Ir Amim considère comme lepremier abus vis-à-vis de la population arabe : la quasi-absence deconstructions neuves à l’est, comparé à l’ouest. Mieux que des chiffres,explique-t-il, cela démontre la terrible pénurie de logements dont souffrentles résidents arabes.Nous nous dirigeons ensuite vers les luxueux immeubles de Nof Zion, seul complexe immobilier juif dans unquartier arabe qui soit un projet totalement privé. “Ils n’arrivaient pas àvendre”, explique-t-il. “Les gens hésitaient à investir dans ce quartier. Sansles millions qu’Irving Moskowitz, le bienfaiteur des habitants desimplantations, a bien voulu y injecter, cela aurait été la faillite totale.”Mais c’est l’absence flagrante d’infrastructures dans le quartier qui révoltele plus mon guide. Sorti d’une étroite bande de terrain autour des immeublesjuifs, on ne trouve pas de trottoirs (les enfants qui rentrent de l’écoledoivent marcher sur la route) et pas d’aires de jeux (mais il y en a une àl’intérieur du complexe de Nof Zion).Le bord des rues est jonché d’ordures et, inutile de le préciser, il n’y a niarrêts de bus, ni bus. En revanche, Nof Zion dispose de trottoirs élégants,avec des arbres, des lampadaires et une propreté en contraste saisissant avecla négligence qui sévit alentour.

Le plus vaste et le plus réussi des complexes juifs

De Nof Zion, qui compteaujourd’hui 90 logements (la plupart déjà habités, une deuxième et unetroisième tranches prêtes pour la construction, soit, respectivement, 280 et 66appartements), nous partons pour A-Tour, sur le Mont des Oliviers. Là, noustrouvons deux complexes résidentiels déjà habités. Une vingtaine de personnesse répartissent dans les trois petits immeubles de Beit Hoshen.A quelques mètres sur la gauche, sur la route principale qui descend vers WadiJoz, Beit Orot est l’un des projets les plus anciens, avec 14 familles etenviron 80 étudiants de yeshiva. De nouveaux travaux de construction sontactuellement en cours.Nous continuons jusqu’à Ras el-Amoud, également appelé Maalé Hazeitim, le plusvaste et le plus réussi des complexes juifs situés en quartiers arabes àJérusalem. Plus de 250 personnes occupent la première tranche du projet, quisurplombe le Montdes Oliviers, et la prochaine (60 logements) est déjà en construction. Outredes synagogues, un mikvé et des jardins d’enfants, un country-club, une piscineet une bibliothèque sont également prévus.Quand nous descendons de voiture pour examiner les immeubles de plus près, ungroupe d’enfants sortant de l’école s’approche par un chemin non goudronné, encontrebas des maisons juives. Notre présence semble d’abord les surprendre,puis l’un d’eux ramasse une pierreet la lance d’un geste vague dans notre direction. Mon guide suggère que nousrepartions. Je regarde une dernière fois l’ancien poste de police qui fait faceaux immeubles modernes : il sera bientôt transformé en un nouveau complexe,Maalé David, prévu pour 104 familles juives. Un nouveau commissariat a étéréouvert, mi-avril, au sommet du Montdes Oliviers (voir article p. 15) Tzidkyahou me désigne deux constructions plusanciennes, installées en face, dans le quartier du cimetière.15 Juifs y habitent, me dit-il. Au-dessous du grand bâtiment de la police : unestation-service. D’après les informations dont dispose mon guide, elle a déjàété rachetée et sera bientôt transformée en un autre complexe résidentiel juif.

Les maisons des “Yahoud”

De Maalé Hazeitim, nous roulons jusqu’à Kidmat Zion,dont l’entrée est interdite. En chemin, nous voyons le quartier de Silwan. Aufond de la vallée, s’élève l’immeuble de sept étages que l’on appelle BeitYehonatan, et, un peu plus bas encore, Beit Hadvash.Malgré les arrêts répétés de la Cour suprême, selon lesquels la municipalitédoit l’évacuer, cette maison est encore habitée, mais, en revanche, on seprépare discrètement à expulser huit familles palestiniennes qui logent dans unbâtiment tout proche, qui était une synagogue avant 1948 et qui a déjà obtenuune décision de justice autorisant à le restituer aux mains des Juifs. De là,nous traversons Sheikh Jarrah jusqu’à Beit Hanina, où une nouvelle communautéjuive a été créée il y a deux semaines. En chemin, nous passons non loin duquartier de Shimon Hatzadik (Sheikh Jarrah), où vivent depuis quelques années 8familles juives et une vingtaine d’étudiants de yeshiva. Installés là suite àl’éviction de familles palestiniennes qui y habitaient depuis 1948. Uneéviction décidée par la Cour de justice, qui a établi que les maisons étaientd’anciennes propriétés juives.En amont, sur la colline, surplombant Shimon Hatzadik : le l’hôtel Shepherd,racheté par Moskowitz et destiné à devenir un autre complexe juif, avec 90logements, un jardin d’enfants et une synagogue. Ce projet a été approuvé en2009 par le comité de construction local. Le lendemain, Luria, de l’associationAteret Cohanim, déclarera que justice a été faite, puisque c’est dans cet hôtelque le grand mufti de Jérusalem, Haj Amin el-Husseini, avait reçu desdignitaires nazis.En arrivant à Beit Hanina, un quartier cossu (du moins, comparé à Rasel-Amoud), nous avons du mal à trouver les deux maisons où viennent d’emménagerde jeunes familles juives. Wallid, notre chauffeur, demande à des enfants s’ilsconnaissent les maisons où vivent les “Yahoud”, les Juifs.Sans hésitation, les enfants nous indiquent le chemin. Nous nous garons dans lacour et demandons la permission de pénétrer dans le domicile de Shira, une mèrede trois enfants qui n’a guère plus de 20 ans, et de son mari Daniel.Shira se trouve dans la grande pièce qui, il y a deux semaines, servait encorede salon à une famille palestinienne.Son bébé dort près d’elle et Daniel est occupé à des travaux de rénovation.Tous deux viennent de Kiryat Arba.“C’est un privilège de pouvoir habiter Jérusalem”, affirme Daniel avec un largesourire. Il refuse d’en dire davantage, parce qu’il ne sait rien de “toutes ceschoses”, expliquet- il, et nous invite à discuter avec le responsable, AryehKing. Ce dernier, directeur de l’Israel Land Fund (Fonds pour la terred’Israël), est malheureusement absent, aussi en profitons-nous pour faire letour de la maison.Tzidkyahou me fait remarquer qu’il y a encore des autocollants en arabe sur lesportes.

Expulsés devant les caméras du monde entier

Guide diplômé, Tzidkyahou possèdeaussi un master en Etudes sur le Moyen-Orient. Il parle couramment l’arabe etse définit comme foncièrement sioniste. Pourtant, “ces installations juives”,explique-t-il, “représentent un grave obstacle sur la voie d’une solutionpacifique au conflit.”Il ajoute que, malgré les décisions de justice obtenues en toute légalité parles associations de droite, rien ne peut effacer le terrible spectacle de cesfamilles palestiniennes expulsées manu militari de ce qui a été leur maisonpendant des dizaines d’années, devant les caméras du monde entier.“Cela n’empêche pas seulement de trouver une solution au conflit, mais, même sil’on admet le point de vue de la droite, qui veut que cette ville ne soitjamais divisée, comment se fait-il que seuls les Juifs aient le droit deconstruire et de vivre là où ils veulent ? Les résidents arabes, eux, ne sontpas autorisés à bâtir des maisons, ils ne profitent pas de la qualité de vieofferte par la municipalité. Et quand les Juifs construisent quelque part, lesinfrastructures modernes s’arrêtent sur le pas de leurs portes.”Mais pourquoi empêcherait-on les Juifs de vivre là où ils le souhaitent, alorsqu’un nombre croissant d’Arabes s’installent dans des quartiers à prédominancejuive, comme la Guiva Hatsarfatit ou Pizgat Zeev ? Nous posons la question àYehoudit Oppenheimer, présidente d’Ir Amim. Pour elle, il s’agit là d’unequestion hypocrite.“Les Juifs qui s’implantent dans les quartiers arabes disent simplement vouloirrécupérer les biens ayant appartenu à des Juifs. Seulement, qu’en est-il desanciennes propriétés arabes de la partie occidentale de la ville, où habitentdésormais des Juifs ? Pourquoi est-ce toujours des familles palestiniennes quel’on expulse ? Le problème, c’est que les résidents juifs des quartiers arabesaffirment que les Arabes qui vont s’installer dans les quartiers juifs changentle caractère du lieu. Alors que dire des Juifs qui s’installent dans des zonesà prédominance arabe ? Est-ce qu’ils ne changent pas le caractère du lieu, euxaussi ? “Ne soyons pas naïfs : nous assistons ici à une tentative d’imposer unevision judéo-israélienne de la ville, une vision dont les habitants arabes sontexclus. En outre, cela sabote toutes les tentatives de parvenir à un accord depaix, dont nous savons tous qu’il devra inclure une division de la ville endeux capitales. Ces implantations au sein de Jérusalem- Est visent à empêchercela et, donc, à saboter nos chances de faire la paix un jour.”

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A propos d’Ir Amim

 L ’organisation Ir Amim (la Ville des Nations) a vu le jouren 2000. Elle s’est donné pour mission de faire de Jérusalem une ville plusvivable et plus égalitaire pour les habitants arabes, en se concentrantprincipalement sur la sauvegarde des lieux saints. Ir Amim s’efforce de trouverdes solutions en vue d’un avenir politique viable pour Jérusalem, résultat qui,selon ses fondateurs, passera nécessairement par un processus de négociationsentre Israéliens et Palestiniens.L’organisation veille à la défense des droits du citoyen et attire l’attentiondu public et des médias sur toute évolution de la situation qui, à ses yeux,pourrait nuire à l’égalité des citoyens, menacer la stabilité de Jérusalem etsaper les négociations (comme les implantations, ou l’expropriation de terrainsarabes).A Jérusalem, elle applique le terme d’“implantations” principalement à laconstruction de maisons juives au coeur de quartiers arabes, et seulement sices constructions ne sont pas le fruit d’une initiative directe et affirmée dugouvernement, notamment dans la Vieille Ville et les zones environnantes.L’organisation ne qualifie pas d’“implantations” les quartiers juifs deJérusalem au-delà de la Ligne verte.

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Ateret Cohanim, une autre histoire

 24heures plus tard, c’est au tour du deuxième guide dem’emmener avec lui. Il va me montrer les réalisations des organisations dedroite dans la Ville sainte. Daniel Luria est un haut responsable d’AteretCohanim et son porte-parole auprès des journalistes étrangers. Lui aussicommence la visite par la région de Talpiot est, mais s’arrête à Abou Tor,devant l’immeuble de la rue Hamefaked.Nous montons au troisième étage, où une vaste terrasse offre une vueépoustouflante en cette belle matinée de printemps. Je reçois des instructionssur ce que je suis autorisée à révéler concernant les mesures de sécuritépropres au bâtiment. Des mesures qui coûtent aux contribuables 74 millions deshekels par an (pour Jérusalem seulement). “Si cela ne tenait qu’à moi”,affirme Luria, “il n’y en aurait pas. Cela envoie un message de peur et de faiblesse.”Avant de commencer la visite, il tient à clarifier les choses : Ateret Cohanimn’est propriétaire d’aucun bâtiment et se contente d’établir le lien entre leslogements disponibles et les résidents potentiels. Des donateurs achètent lesmaisons et les habitants leur versent un loyer. Luria insiste sur le fait que,dans la plupart des cas, ce sont des résidents arabes qui s’adressent àl’organisation pour vendre leurs maisons, qui, ajoutet- il, appartenaientpresque toutes à des Juifs et ont été occupées par des familles arabes après1948. “C’est d’ailleurs la situation qui prévaut dans la rénovation de l’AncienQuartier juif [nom donné par Ateret Cohanim à l’actuel Quartier musulman de laVieille Ville], qui compte des centaines de propriétés juives.”Luria ajoute qu’en 1967, après la guerre des Six-Jours, le gouvernement n’a pasdemandé aux habitants arabes de les quitter, mais de s’acquitter simplement dupas-de-porte et de payer un loyer, faisant d’eux des locataires protégés, avectous les droits et obligations attenants, conformément à la loi.

“Mouhamad vend, Yankel achète”

La politique d’Ateret Cohanim n’est pasd’intenter des procès (sauf dans le cas de Sheikh Jarrah). “Ce que nous faisonsest très simple”, explique-t-il. “Mouhamad vend, Yankel achète. C’est tout.”Reste à savoir comment l’association peut s’assurer que les vendeurs n’aurontpas à subir les conséquences de leur initiative, sachant qu’une loipalestinienne exige la peine de mort pour tout Arabe vendant un bien à un Juif.Luria secoue la tête : il n’y a eu qu’un seul drame de ce genre, et il s’estproduit il y a des années. Depuis, aucun des Arabes qui ont contacté AteretCohanim n’a eu à en souffrir.Autre problème, le résultat auquel vont aboutir les activités d’Ateret Cohanim :une intrication des populations qui interdira tout partage de la ville. Laréponse de Luria est pleine d’amertume : 3 000 résidents arabes sont déjà venuss’installer dans des quartiers essentiellement juifs, comme la GuivaHatsarfatit, Ramat Eshkol et Pizgat Zeev.“Et personne, dans le monde, n’en dit mot... Par contre, quand c’est un Juifqui achète une maison, dans une ville sur laquelle nous régnons ? Cela me methors de moi d’entendre un président noir dire que les Juifs n’ont pas le droitde s’installer dans tel ou tel bâtiment, comme Obama l’a affirmé à l’occasionde l’incident du Shepherd Hotel. Ce bâtiment est un symbole du nazisme ! Est-ceque l’on peut imaginer qu’aujourd’hui, en Amérique, on interdise aux Noirs ouaux Juifs de s’installer dans certains quartiers ? Les Juifs et les Arabesdoivent être capables de vivre ensemble, mais sous souveraineté juive.”Six familles habitent le complexe de la rue Hamefaked. Luria explique qu’ellesne sont en aucun cas installées là en “représailles” d’une action politique dugouvernement. “Les Juifs veulent vivre ici, à Jérusalem, près du mont du Temple,dans la Vieille Ville. Les Juifs veulent s’approcher au plus près de laprésence divine.”

La mission d’Avishag

Luria désigne ensuite Silwan, qu’il appelle “KfarHateimanim, Beit Yehonatan et Beit Hadvash”. Il évoque quelques autres lieuxqui viennent d’être achetés, en refusant toutefois de révéler leur emplacementexact. “Il y a deux choses dont je ne peux pas parler”, se justifie-t- il : “lebudget d’Ateret Cohanim et ses activités en cours.”Nous prenons la route qui contourne le Montdes Oliviers et découvrons Maalé Hazeitim sur notre droite.En continuant vers l’est, la route passe près de la barrière de sécurité,au-dessous de l’ancienne route de Jéricho, puis atteint enfin l’entrée deKidmat Zion.Cette fois, les gardes nous laissent poliment entrer et nous rencontronsAvishag, mère de triplés d’un an, installée là depuis 8 ans. “C’est unvéritable rêve d’habiter ici !”, s’exclame-t-elle en désignant le dôme doré du Mont du Temple,tout proche de sa cour. Luria indique qu’il y a ici beaucoup de terrains quipermettraient d’agrandir le complexe et ajoute que ce serait la solution idéalepour remplacer feu le plan Safdie pour le développement de Jérusalem-Ouest.Là encore, il s’agit de terrains juifs qui ont été rachetés, mais Luria précisepar ailleurs que 70 % des terres juives de la région se trouvent au-delà de labarrière de sécurité, sous contrôle palestinien.Du coin de l’oeil, Avishag surveille ses enfants, qui jouent dans la courpavée. Son mari et elle habitaient Kiryat Moshé avant d’emménager à KidmatZion. “Nous sommes venus ici parce que nous ne recherchions pas une vie faciledénuée de sens profond : nous voulions réaliser quelque chose d’important, mêmesi ce n’est pas facile : ici, c’est petit, et assez loin des facilités qu’offrele centre ville.”“Notre seul vrai problème”, poursuit-elle, “c’est que nous ne sommes pastoujours sûrs d’avoir un minyan le Shabbat. Mais avec les étudiants de yeshivaqui vivent à côté, nous y arrivons presque toujours.” Pour Avishag, il s’agitd’une terre juive. Elle ajoute : “Si nous n’étions pas prêts à venir vivre ici,les autres [elle parle des Arabes] se réapproprieraient la terre : alors vousvoyez, nous sommes en  mission !”

La guerre pour Jérusalem

Avishag et son mariont une trentaine d’années. Ce sont eux qui ont pris l’initiative de contacterAteret Cohanim en demandant à emménager dans un nouveau projet deJérusalem-Est. Le loyer est moins cher que dans le reste de la ville, maisAvishag affirme qu’ils ont en revanche beaucoup de frais.Ateret Cohanim attend une autorisation pour son nouveau projet. Celle-cidevrait arriver bientôt : alors, le quartier s’agrandira, avec non moins de 260logements.De Kidmat Zion, nous traversons Jérusalem-Est et passons la Porte d’Hérode,face à la poste centrale de Jérusalem-Est. Nous nous dirigeons à pied vers leQuartier musulman (ou l’Ancien Quartier juif, comme l’appelle mon guide) pourvisiter quelques-uns des 30 complexes, maisons, synagogues et yeshivot situés àl’emplacement d’anciennes propriétés juives. Tous sont équipés de dispositifsde sécurité très sophistiqués, dont des caméras reliées à une salle decontrôle, elle-même en liaison constante avec le Smartphone de Luria.Ce dernier a pour sa part les clés de toutes les maisons.La majorité de celles-ci abritent plus d’une famille et partagent une courcommune. Dans l’une d’elles, qui est en travaux, une famille arabe loge encoreau deuxième étage. Selon Luria, les relations de voisinage sont polies, voirecordiales. Lors de notre venue, la famille en question n’était pas présentepour le confirmer.Nous passons ensuite à la Maison du Photographe, un bâtiment de quatre étagesdoté d’un vaste toit-terrasse donnant sur le Mont du Temple et le Dôme duRocher, qui se dressent au sud, incroyablement proches. Puis ce sont d’autresmaisons que nous visitons ensuite, toutes habitées par deux familles ou plus,avec ou sans cour, entourées de caméras et de systèmes de surveillance, maisaussi de synagogues et de yeshivot.“Pour le moment”, explique Luria, “il ne manque pas d’Arabes qui souhaitentvendre, de Juifs qui souhaitent vivre ici et d’autres Juifs prêts à financerces projets.”Il ajoute que c’est d’ailleurs la même chose de l’autre côté : “Les Arabessavent aussi que, s’ils veulent avoir des chances d’obtenir une partie deJérusalem, ils doivent pouvoir baser leurs revendications sur des faits, dansla Vieille Ville. Ils ne manquent pas de financement et ont un programme bienprécis pour renforcer leurs racinesau cœur de Jérusalem, afin de diviser la ville. C’est une vraie guerre qui sejoue là, une guerre pour le contrôle de Jérusalem.”

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Ateret Cohanim

A l’origine de cette organisation : uneyeshiva sioniste religieuse installée dans le Quartier musulman de la VieilleVille depuis 1978. Ateret Cohanim a déjà fait emménager 3 000 Juifs dans desmaisons rachetées à des Arabes. Elle a encouragé l’acquisition de plus de 70bâtiments situés en zones arabes, soit une valeur totale d’environ 10 millionsde dollars.Ces propriétés comprennent la yeshiva Shouvou Banim, l’immeuble qui l’abrite,plusieurs dortoirs, un musée et une cinquantaine d’appartements. Une partied’entre eux ont jadis appartenu à des Juifs qui vivaient dans le Quartiermusulman avant d’en être chassés par les pogroms de 1929 et 1936.Les responsables d’Ateret Cohanim estiment le rachat du reste des bâtiments à100 millions de dollars, auxquels s’ajouteront 100 autres millions de travauxde rénovation. L’organisation est dirigée par Mati Dan.