La corne du bélier

Alors que le son du chofar s’élève dans toutes les synagogues du monde, posons un regard sur la symbolique et l’origine de cet instrument qui accompagne le peuple juif depuis le mont Sinaï

Atelier de fabrication de chofar (photo credit: DR)
Atelier de fabrication de chofar
(photo credit: DR)
A cette époque de l’année, les pavés de la vieille ville de Safed résonnent jour et nuit du pas des promeneurs venus pour les slihot. Les prières nocturnes ou matinales d’avant Roch Hachana sont censées éveiller la miséricorde divine. Ici et là, le son du chofar déchire la nuit de son cri strident.
L’origine de cet instrument remonte au sacrifice d’Itzhak, lorsqu’Abraham aperçoit un bélier dont les cornes sont prises dans les broussailles. « Chaque partie de cet animal a son importance », explique Amram Moyal, rabbin célèbre pour ses ateliers sur le rire et sur les mélodies hassidiques qui élèvent l’âme. « D’après le Midrash, ses cendres ont formé les fondations de l’autel intérieur dans le Temple de Jérusalem. Ses dix tendons ont servi à fabriquer les cordes de la harpe du roi David. Sa peau a donné la ceinture de cuir du prophète Elie. Enfin, ses deux cornes : on a sonné de la corne gauche au mont Sinaï quand la Torah nous a été donnée, et on sonnera de la corne droite, la plus grande, quand les juifs dispersés seront rassemblés de tous les coins de la terre. »
« Le chofar d’Eloul (mois qui précède Roch Hachana dans le calendrier hébreu) est comme une sirène qui vient nous réveiller pour nous sortir de notre torpeur spirituelle, nous reconnecter à notre source et réaffirmer notre mission divine dans ce monde », explique Amram. « Le mot chofar en hébreu est dérivé du mot shaprou, de l’expression shaprou maassei’hem (améliorez, corrigez vos actions), selon Maïmonide. Le chofar de Roch Hachana, c’est le couronnement du Roi. Celui de Yom Kippour, celui de la délivrance. »
Changement de trajectoire
« Le chofar est fabriqué à partir de la corne d’un animal casher, mais seulement d’une espèce dont la corne est naturellement creuse et remplie par un os », explique Yaacov Leiter, qui anime des ateliers de fabrication de chofar à Ascent, centre d’étude de la mystique juive à Safed. « Ce qui exclut tous les animaux cornus dont les cornes sont pleines, comme la vache, le bœuf, le buffle. Ces cornes nous rappelleraient le Veau d’or, ce qui ne s’accorde guère avec l’idée de Roch Hachana et Yom Kippour, où nos prières ont pour but d’invoquer la bienveillance divine. »
Yaacov a commencé à animer de tels ateliers lorsqu’il était étudiant de Yeshiva à New York. Dans les écoles, les camps de vacances, pendant tout un mois, chaque année. « On prend d’abord une corne de bélier. Les cornes de chèvres sont plus agréables à travailler, mais difficiles à trouver en Israël. On les achète en vrac, dans les abattoirs où ils les mettent de côté pour nous toute l’année. Il faut d’abord les nettoyer. On fait tremper les cornes dans de l’eau additionnée de produits chimiques pour les ramollir, afin d’enlever la moelle, qui vient en un seul morceau. Il reste alors toutes sortes de vers et d’asticots. On nettoie donc les cornes à l’aide d’un goupillon. Puis on les laisse sécher quelques jours. C’est la première étape. Seulement alors commence la fabrication du chofar. »
Ascent organise toute l’année des ateliers pratiques en rapport avec le calendrier des fêtes juives. Menorah pour Hanoucca, matsot pour Pessah, bougies de Shabbat, boîtes de tsedaka et en Eloul des chofars. « Les enfants font tout le travail. Ils coupent l’embout, ils creusent, ils poncent pour enlever la couche extérieure, ils polissent les cornes pour obtenir le fini lustré des chofars », poursuit Yaacov.
Pour être casher, le chofar ne doit posséder qu’un seul trou, ne pas présenter de fissures ou de craquelures.
Le chofar mehadrin doit être recourbé. « La courbe évoque le changement de direction de la techouva, le retour vers Dieu. Le chofar évoque également le don de la Torah, le premier son du chofar mentionné dans les cinq livres de Moïse, lorsque l’unité régnait au sein du peuple, une des conditions pour recevoir la Torah. C’est cette même unité qui permet de recevoir la brakha à Roch Hachana. »
Le son du silence
Comme instrument musical, le chofar est extrêmement limité. Il n’émet qu’une seule note, l’unique variation possible réside dans sa durée.
Mais quel est donc le message du chofar ? « Les mots sont des vecteurs pour traduire les sentiments. Mais plus l’émotion est profonde, moins elle s’exprime en paroles », explique Zalman Posner. « Les sentiments profonds ne peuvent se traduire par des mots. A Roch Hachana, l’individu vide son cœur. Les mots sont inadéquats. Le silence est éloquent. Le chofar exprime ce cri du cœur, il constitue le son du silence. »
Tekiah, Shevarim et Trouah sont les trois notes de la sonnerie du chofar. « La Tekiah est sonnée aussi longtemps que le souffle le permet. C’est une note joyeuse, triomphante, elle symbolise Israël en pleine gloire, “chaque homme bien établi sur sa vigne et sous son figuier”. C’est la paix, le calme et la sérénité. »
« La note cassée de Shevarim nous rappelle que, malgré une certaine brisure au sein du peuple juif, celui-ci perdure. Israël vit en exil, mais est toléré. Discriminé certes, mais la vie continue. L’observance des mitsvot passe au second plan, la fréquentation de la synagogue est réservée exclusivement aux grandes fêtes et anniversaires de deuil, l’étude de la Torah est négligée. Bref, dans l’ensemble, “on s’accommode, on se débrouille”. »
« La Trouah est un son dévastateur qui ébranle nos âmes et nous glace le cœur. Notre existence même est en jeu. C’est la Shoah, la destruction, la mort. La vie de chaque juif est en danger. Sur le plan spirituel, c’est l’assimilation, les mariages mixtes, les conversions. »
Et puis vient la Tekiah Gedolah, qui achève le service de Yom Kippour, la note de l’espoir ! Elle annonce le plus grand de tous les triomphes, la plus somptueuse de toutes les gloires ! La délivrance, le retour, le renouveau : l’arrivée du Messie, le Machiah. »
La plume de l’âme
Depuis quinze ans, Yaron Neeman sonne le chofar pour les grandes fêtes de Tichri dans l’antique synagogue du Tsemah Tsedek, dans la ville mystique de Safed. « Chaque année est spéciale », explique-t-il, « et suscite de nouvelles émotions. Le sentiment de responsabilité est de plus en plus fort. Chaque année s’intensifie l’espoir que la sonnerie du chofar va réveiller en Dieu le désir de hâter la délivrance finale. »
« Le chofar est l’expression du cri personnel de la communauté », ajoute David Turkoff, autre baal tokeah (sonneur de chofar) de Safed. « Il va permettre de faire descendre toute l’abondance de bénédictions pour l’année à venir. Aussi, celui qui fait résonner ce cri doit-il être empli de la crainte de Dieu et accepté par la congrégation qu’il représente. »
Le baal tokeah doit donc s’astreindre à de nombreux préparatifs tant spirituels que matériels. Il doit revoir toutes les lois qui ont trait à la sonnerie du chofar et s’entraîner pendant le mois d’Eloul, afin d’émettre un son pur pour exprimer le cri du cœur de la communauté. Le matin qui précède, il doit se rendre au mikvé (bain rituel).
« Le chofar n’est pas un trombone », insiste le Rav Neeman. « Certains pensent que c’est une trompette. Mais pour obtenir le son le plus pur et délicat possible, il faut pouvoir se repentir, s’emplir de la crainte de Dieu, prendre de bonnes décisions pour que la sonnerie s’élève vers les cieux. Un hassid étudiera un discours hassidique sur le son du chofar, la veille ou le matin, pour pouvoir être la plume de l’âme. »
« Le chofar est comme le cri d’un bébé », souligne le Rav Turkoff, lui-même père et grand-père d’une longue lignée d’enfants. « Avec ses différentes expressions de pleurs, du long gémissement aux sanglots, c’est un cri vers Dieu et Sa réponse, jusqu’aux pleurs du tréfonds de notre âme. Une invitation lancée au Créateur pour qu’Il renouvelle son alliance avec le monde, pas seulement avec le peuple juif mais avec l’univers tout entier. La sonnerie, à la fin de Yom Kippour, provoque l’élévation de la présence divine. Elle marque le renouvellement du contrat divin. C’est l’incarnation de notre cri individuel, de notre désir de nous reconnecter avec l’essence de notre âme. » En attendant le son du grand chofar de la délivrance finale ! 
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