Le devenir de la maison d’Hitler en suspens

Après des années de controverse, le gouvernement autrichien envisage de détruire la maison natale du Führer

La maison natale d’Adolf Hitler à Braunau am Inn, en Autriche (photo credit: REUTERS)
La maison natale d’Adolf Hitler à Braunau am Inn, en Autriche
(photo credit: REUTERS)
La maison de Braunau – petite ville autrichienne proche de la frontière allemande – où Adolf Hitler a vu le jour, a connu un destin mouvementé. Acquise en 1938 par le régime national-socialiste allemand à titre de conservation du patrimoine, elle a entre-temps été restituée à ses anciens propriétaires, la famille Pommer. Depuis de nombreuses années, le site est devenu un lieu de pèlerinage pour les néonazis russes et européens, en particulier autour de la date anniversaire du Führer, le 20 avril. Les tentatives pour endiguer ce phénomène croissant ont provoqué un débat public sur l’avenir du bâtiment : faut-il le démolir complètement ? Le transformer en mémorial ? En supermarché ? Cette polémique, bien évidemment, ne manque pas de réveiller les démons du passé nazi autrichien. Et dans le contexte des élections à la présidence fédérale, le sujet est devenu particulièrement explosif.
Effacer la mémoire
Construite au XVIIe siècle, cette maison a connu divers usages suivant les époques. Elle a ainsi accueilli un institut financier et un restaurant avant de louer ses appartements, notamment aux parents d’Hitler. Né en 1889, celui-ci a passé ses premières années dans la bâtisse.
Le gouvernement autrichien loue le bâtiment depuis 1972. Pendant près de 35 ans, la maison a abrité un centre de soins de jour et un atelier à destination des personnes handicapées. Mais celui-ci a dû fermer il y a six ans, après que le propriétaire des lieux ait refusé de financer les mises aux normes de sécurité des lieux. Le gouvernement continue néanmoins de louer la maison afin de s’assurer qu’elle ne soit pas utilisée à mauvais escient.
Si l’avenir du bâtiment est devenu un sujet de débat, c’est parce qu’il attire des pèlerins néonazis de toute l’Europe ; pas exactement le genre de touristes que la tranquille petite ville de Braunau souhaite accueillir.
Ces indésirables cesseront-ils de visiter le lieu une fois la maison disparue ? « Démolir la maison ne fera pas disparaître les souvenirs », note Moshe Zimmermann, professeur d’études allemandes et germano-juives à l’Université hébraïque de Jérusalem. « Ce qui veut dire que tout nazi ou autre qui souhaiterait commémorer la mémoire d’Hitler pourra encore le faire, même si la maison n’existe plus physiquement. » Transformer le site en mémorial ou en centre éducatif pourrait certes dissuader l’intérêt des néonazis, reste à savoir s’il serait un lieu de commémoration approprié, dans la mesure où les victimes de la barbarie nazie n’ont pas réellement souffert à cet endroit proprement dit.
Regarder le passé en face
L’historien allemand Wieland Giebel, fondateur de l’exposition controversée « le Bunker du Führer » qui s’est ouverte à Berlin en octobre, compare la maison natale d’Hitler à son bunker de guerre, qui a été transformé en parking. Dans un article paru dans le journal viennois Kronen, Giebel avance que le site de l’ancien bunker n’attire pas les néonazis, mais plutôt ceux qui veulent en savoir plus sur l’histoire à proprement parler. C’est pourquoi l’historien recommande au gouvernement autrichien d’agir de même avec la maison du dictateur : dissiper le mythe et en faire un centre de documentation sur l’histoire du lieu et la période nazie.
Un groupe d’experts formé pour discuter de l’avenir de la maison d’Hitler, a conseillé, de son côté, que tous les vestiges de son ancienne apparence soient modifiés pour éviter les visites indésirables. Cependant, leur recommandation a apparemment été mal interprétée par le ministre de l’Intérieur autrichien Wolfgang Sobotka : celui-ci a pris cette déclaration comme une proposition de démolition, alors qu’en réalité les experts considèrent que faire une telle chose équivaudrait à un refus autrichien d’assumer toute responsabilité quant au passé.
La communauté juive de Vienne, pour sa part, soutient l’idée de la démolition de la maison, car elle considère que ce n’est pas un endroit approprié pour un mémorial. L’autre raison incitant la communauté à pencher en faveur de la destruction réside dans l’incertitude concernant les propriétaires futurs de la bâtisse, ainsi que les changements possibles sur la scène politique locale. Si le site disparaît, on est sûr, au moins, qu’il ne pourra être utilisé à mauvais escient par qui que ce soit. Cette appréhension est révélatrice : les juifs locaux semblent accorder peu de crédit à la capacité du gouvernement et du peuple autrichiens à affronter le passé de manière responsable.
« En ce qui concerne l’Autriche, la méfiance est de mise », confirme Moshe Zimmermann. « Les Autrichiens ont tenté, et tentent encore, de se décharger de leur responsabilité dans la Shoah. »
La mélodie du bonheur
Plus de 70 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Autriche continue en effet à refouler son passé. Les résultats du sondage publié par le journal autrichien Der Standard en 2013, révèlent que plus d’un tiers des personnes interrogées soutiennent l’affirmation selon laquelle tout n’était pas si mauvais sous le règne d’Hitler, tandis que 61 % d’entre elles souhaitent voir un « homme fort » au sommet de la hiérarchie autrichienne.
Le pays n’aurait pas encore pleinement accepté la perte de sa puissance et de son influence depuis la fin de la Première Guerre mondiale, et la chute de l’Empire austro-hongrois en 1918. Ce sont également quelques-uns des facteurs qui ont rendu l’Autriche perméable aux visées impérialistes de l’Allemagne nazie.
Après la Seconde Guerre mondiale, les tribunaux autrichiens ont jugé plusieurs criminels de guerre. Cependant, la plupart d’entre eux ont simplement été condamnés pour leur appartenance au parti nazi allemand entre 1933 et 1938, illégal à cette époque, et non pour les exactions commises entre 1938 et 1945. C’est ainsi que la mémoire collective du pays a rapidement oublié ces procès, et que de nombreux criminels ont été amnistiés dans les années 1950.
Jusqu’à la fin des années 1980, l’Autriche a bénéficié de sa position pivot dans la sphère géopolitique. Pris dans la guerre froide, les Alliés se préoccupaient plus de la neutralité de Vienne vis-à-vis de l’Allemagne ou de l’Europe de l’Est, que des reliquats de l’idéologie nazie dans la société autrichienne. A l’étranger, l’Autriche était associée à la famille des Habsbourg, la Gemütlichkeit (confort, en allemand) et la valse viennoise. L’image du pays doit beaucoup au film La mélodie du bonheur sorti en 1965.
Persona non grata
La vie a donc suivi son cours dans la république alpine, et les murs du silence sont devenus aussi hauts que les montagnes du pays.
Cet état de fait a duré jusqu’en 1986, date à laquelle Kurt Waldheim, ancien ministre des Affaires étrangères et ex-secrétaire général de l’ONU, s’est présenté comme candidat aux présidentielles de la république fédérale autrichienne. Malgré la popularité de cet homme politique internationalement reconnu et respecté, l’incohérence de son passé a provoqué la plus grande crise identitaire que l’Autriche ait connue depuis 1945.
A l’époque, le New York Times et d’autres médias internationaux, ont porté à la connaissance du public des documents soumis par le Congrès juif mondial remettant en question la biographie officielle du candidat : ces archives pointaient son appartenance à des organisations nationales socialistes pendant la guerre, ainsi que sa participation aux crimes de guerre dans les Balkans. Face à ces accusations, Waldheim s’est défendu en déclarant qu’il n’avait fait que son devoir de soldat et qu’il ne se souvenait pas de tous les détails. Bien que son implication dans des crimes de guerre n’ait pu être entièrement prouvée, cette polémique a néanmoins marqué le début d’une prise de conscience de l’Autriche vis-à-vis de son passé.
Waldheim était l’archétype de l’Autrichien typique qui n’avait rien vu, rien entendu ou rien su des crimes nazis. Cette attitude a été celle de beaucoup d’anciens soldats de la Wehrmacht – un important groupe électoral favorable à Waldheim –- également prompts à affirmer qu’ils n’avaient fait que suivre les ordres, et rejetant toute forme de responsabilité personnelle.
Malgré la controverse entourant le passé de Waldheim, celui-ci a été élu président en 1986. La plupart des pays lui ont néanmoins tourné le dos, refusant d’entretenir des liens diplomatiques avec un possible criminel de guerre. Les Etats-Unis sont allés jusqu’à le mettre sur leur liste noire pour crimes de guerre présumés, ce qui a largement entravé ses déplacements. Au cours de sa présidence, Waldheim n’a donc établi de relations qu’avec le Vatican et les dictateurs antisionistes du Moyen-Orient. Son isolement sur la scène internationale a empêché Kurt Waldheim de briguer un nouveau mandat. Mais sa mise en lumière aura eu le mérite de changer le rapport de l’Autriche à son passé.
Les pendules à l’heure
« L’affaire Waldheim illustre le révisionnisme de l’inconscient collectif : les Autrichiens ont réussi à se poser en victimes jusqu’en 1986. Or tout à coup, il est clairement apparu aux yeux de tous que l’Autriche avait joué un rôle bien différent entre 1938 et 1945 », explique Moshe Zimmermann.
Depuis lors, l’enseignement public et les médias accordent une plus grande attention à la responsabilité des Autrichiens et aux leçons du passé nazi. Mais cette révision de l’histoire intervient très tard et reste insuffisante : aucun dialogue véritable sur la question n’a encore été mis en place dans le pays.
Malheureusement, il semble que l’affaire Waldheim ne soit pas un cas isolé. Aux cours des dernières élections présidentielles ce mois-ci, les citoyens autrichiens avaient à choisir entre un membre du Parti vert, Alexander Van der Bellen, et Norbert Hofer, le candidat du Parti de la liberté soi-disant « populaire », mais qui peine à se démarquer de l’idéologie populiste d’extrême-droite. Si Van der Bellen a remporté la victoire, beaucoup estiment qu’Hofer n’est pas passé loin de la succession au siège occupé en son temps par Waldheim, ce qui est révélateur de la puissance de son mouvement dans le pays.
Van der Bellen est attendu au tournant : c’est la première fois qu’un gouvernement autrichien se trouve en mesure d’influer sur la politique de commémoration nationale, et de faire voler en éclats la propagande du mythe de la victime. Reste à voir comment cette nouvelle approche se mettra en place. La maison d’Hitler constitue, en cela, un véritable test.
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