Le monde en images

Scènes de vie ou de guerre. Paysages, portraits, exploits sportifs… L’exposition Edout mékomit évoque les temps forts de l’année écoulée. Le meilleur et le pire de 2015

Sauvetage de migrants en Méditerranée (photo credit: DR)
Sauvetage de migrants en Méditerranée
(photo credit: DR)
Les immenses clichés sont suspendus au plafond à une hauteur calculée au centimètre près, dans le but de capter le regard du visiteur. La mise en place est extrêmement soignée dans la section Rotschild Center du Musée Eretz Israël de Tel-Aviv, qui accueille la 12e édition de l’exposition annuelle de photographies de presse. Intitulé Edout mékomit, (Témoignage local), le palmarès des meilleurs clichés de 2015 a de quoi impressionner.
Sont présentées des photos prises en Israël, qui voisinent avec des scènes qui se sont déroulées aux quatre coins du monde, œuvres des nombreux reporters qui ont participé au concours organisé par la World Press Photo Foundation, basée aux Pays-Bas. Pour la première fois, images locales et internationales se mêlent. « L’actualité brûlante et les grands problèmes ont cessé d’être spécifiques à un lieu ou à un autre », explique la commissaire israélienne de l’exposition, Vardi Kahana. « Le terrorisme est mondial, le problème des réfugiés est mondial ; le dialogue entre les images prises en Israël et les autres, dans l’idiome photographique, se révèle donc familier. Il y a certes des dialectes différents, mais à la base, nous parlons tous le même langage photographique, que ce soit en Israël ou à l’étranger. »
Vardi Kahana est elle-même une spécialiste reconnue, lauréate en 2010 du prix Sokolow du journalisme, récompense israélienne très prisée. En compagnie d’un jury composé de professionnels hautement qualifiés, elle a passé en revue 7 000 clichés pris par quelque 300 photographes qui participaient cette année au concours Témoignage local. 250 seront sélectionnés, classés dans sept catégories : actualité, nature et environnement, religion, communautés, urbanisme et culture, sports, et histoire photographiée. Car les images d’ici et maintenant côtoient des témoignages d’événements historiques ; pour nous donner une idée de la façon dont nous sommes parvenus là où nous sommes.
Le palmarès ne fait pas l’unanimité
Règle d’or de la compétition : les images ne doivent pas avoir été manipulées. Rien ne doit altérer leur composition : il est interdit d’ajouter des éléments, de modifier, d’inverser, de déformer la réalité ou de retirer des personnages ou des détails du décor. Vardi Kahana insiste encore sur ce point lorsque l’un des journalistes assistant à une visite de l’exposition organisée pour la presse suggère que le vainqueur de cette année a retouché son cliché pour accroître son effet saisissant. Sur la photographie, prise par Menahem Kahana, de l’AFP (Agence France-Presse), trois Palestiniennes posent dans la maison brûlée de la famille Dawabsheh, à Douma, trois jours après l’incendie qui a coûté la vie à un bébé de 18 mois et à ses parents.
« Comme les trois sirènes de la mythologie, comme trois anges qui viennent constater le degré de cruauté des coupables, ces femmes sont là, frappées par l’horreur de ce qu’elles voient, par cette maison que les flammes ont totalement détruite », explique Vardi Kahana. « La photographie, sélectionnée à l’unanimité par le jury, a été prise trois jours après cet incendie criminel perpétré par des extrémistes juifs. Elle exprime non seulement le choc, le chagrin et la douleur, mais aussi l’horreur qu’inspirent cet acte et ses auteurs, dont les violences vont finir par pousser tout le monde dans le gouffre. »
Un choix teinté de politique ? Ce qui est sûr, c’est que le palmarès ne fait pas l’unanimité. De nombreux photographes reconnus sur la scène israélienne ont cette année décidé de ne pas participer au concours, convaincus de la partialité des membres du jury.
Violence à la pointe de l’actualité
Dans un monde digital bombardé d’images, la compétition est serrée. Par définition, l’objectif des photographes de presse est que leurs clichés soient publiés. Sortent du lot. Dans cette lutte constante pour occuper la une des supports médiatiques, les journalistes ne sont-ils pas conduits à vouloir composer des œuvres de plus en plus frappantes, choquantes, pour attirer l’attention du public ? Pendant que ce dernier, exposé à des images parfois insoutenables, est entraîné dans un processus de désensibilisation graduelle.
Laurens Korteweg, chef de projet pour World Press Photo, agence basée à Amsterdam, est venu début décembre en Israël présenter les images de l’exposition en provenance de l’étranger. Il s’est dit profondément conscient de ce problème.
« Bien sûr, les photographies soumises dans la catégorie actualité étaient toutes très explicites et très violentes. Mais, cette année, le contenu et la façon dont les événements sont présentés paraissent plus implicites. Comme si les photographes cherchaient à choquer moins, s’efforçant de présenter les choses selon un point de vue plus soutenable pour le spectateur. Il est difficile de savoir si cela reflète une véritable inflexion de la tendance dans cette profession. Peut-être les photographes de presse préfèrent-ils désormais tenter de toucher leur public d’une façon nouvelle. »
En un mot, Laurens Korteweg tend à croire que les photographes de presse ont pour objectif d’embarquer émotionnellement les spectateurs, pour les attirer avec eux au cœur du sujet. « Ceux qui nous critiquent nous reprochent d’être trop négatifs, trop explicites, trop sanglants, trop violents », confie-t-il. « Mais il me semble que les choses commencent à changer peu à peu. Je crois qu’il existe tant de façons créatives de présenter un événement que je peux parvenir à toucher mon public de manière encore plus efficace en m’abstenant de montrer du sang, des bombes, des guerres et des conflits… »
Emotion sans frontières
L’émotion est elle aussi au rendez-vous. La photographie d’Arash Khamooshi, arrivée troisième dans la catégorie faits divers, montre une incroyable exécution publique avortée en Iran. C’était le 15 avril dernier, dans la ville de Noor, au nord du pays : un jeune homme devait être pendu pour avoir tué son ami en le poignardant dans un combat de rue. La mère de la victime était censée participer activement à la pendaison en poussant la chaise qui se trouvait sous les pieds du condamné. Au dernier moment, au lieu de le faire, elle a giflé le garçon en un acte de pardon symbolique. Ce qui a mis un terme à l’exécution. (La famille de la victime n’a cependant pas eu son mot à dire quant à la peine de prison à laquelle a été ensuite condamné le coupable.) Khamooshi a pris un autre cliché : on y voit des fonctionnaires demander au public de garder son calme au moment où la mère de la victime quitte les lieux, suivie des yeux par la foule et par un agent de police. Une image d’une rare intensité dramatique…
L’immense photographie du Suédois Åsa Sjöström, de l’agence Moment de Stockholm, a le mérite de nous détourner un peu des tragédies et de la morosité, que suscitent l’actualité et le triste contexte socio-économique mondial. Sur le cliché, un jeune Moldave nommé Igor murmure quelque chose à l’oreille de son ami. La photo a été prise lors de la fête d’anniversaire d’Igor ; sa grand-mère lui avait donné des chocolats à distribuer à ses camarades de classe. La légende indique que la Moldavie est le pays le plus pauvre d’Europe. Là, un tiers de la population active est parti chercher du travail à l’étranger, de sorte que les enfants se retrouvent souvent sous la garde de leurs grands-parents, quand ils ne sont pas mis en pension dans des orphelinats.
Le problème des réfugiés est bien sûr abondamment traité dans la section presse mondiale de l’exposition. Mais contre toute attente, le cliché de l’Italien Massimo Sestini, qui a décroché le deuxième prix dans la catégorie actualités générales, ne dépeint pas la tristesse ou les tribulations que connaissent ceux qui fuient leur pays. Cette photographie aux couleurs vives présente, vue d’en haut, une embarcation pleine à craquer de réfugiés à quelque 25 km de la côte libyenne, juste avant son sauvetage par une frégate de la marine italienne. « En regardant avec attention, vous verrez que les réfugiés sourient, parce qu’ils savent qu’ils sont tirés d’affaire », explique Korteweg.
Plus proche de chez nous, Alex Libek, le célèbre photographe israélien, présente une œuvre pleine d’émotion : les vestiges, couverts de sable, des serres d’une entreprise agricole en faillite de l’Arava transmettent en termes clairs un message douloureux.
Sur un cliché pris sur le vif par Emil Salman, du journal Haaretz, Benjamin Netanyahou s’apprête à pénétrer dans la salle Harel, où il va tenir la conférence de presse annonçant sa décision de dissoudre son gouvernement, et d’organiser de nouvelles élections. L’expression de son visage et son langage corporel peuvent être interprétés de diverses façons : est-il plutôt prêt au combat ou rempli d’appréhension ?
Enfin, il y a l’œuvre plus sculpturale d’Avshalom Levi qui comprend une douzaine de portraits monochromes d’anciens dirigeants du mouvement des Black Panthers pour le changement social et politique des années 1970. Une photo qui interroge sur l’état des inégalités au sein de la société d’aujourd’hui. Seule question qui n’ait pas besoin d’être posée : cette année encore, Edout mékomit, est une exposition incontournable qui ne laissera personne indifférent. 
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