"Sur l'amour du peuple juif, je suis intransigeant."
Avant la présentation en avant-première de Peshmerga en Israël, Bernard-Henri Lévy nous a accordé un entretien exclusif.
By NOEMIE BENCHIMOLBernard-Henri Lévy avec un combattant kurde(photo credit: DR)De toute l’histoire de la sélection officielle du festival de Cannes, il est le seul film à avoir été ajouté en dernière minute, comme s’il y avait urgence, comme si ce documentaire, parce qu’il est une archéologie du présent, devait être montré. Aujourd’hui et pas demain. Dans Peshmerga, Bernard-Henri Lévy nous révèle ce qui est soustrait à nos regards pourtant inondés d’images : la guerre au sol que les combattants kurdes mènent face à Daech le long de la frontière irakienne.Vous venez présenter en Israël ce film qui est plus qu’un film, presque un tombeau, au sens poétique, à la gloire des soldats kurdes qui mènent contre le Califat islamique la seule guerre au sol. Le montrer ici, cela représente quoi ? Un acte d’affection, comme un privilège qu’on réserve à un ami cher, ou un acte politique ?Les deux. Un acte d’amitié d’abord. J’ai l’habitude depuis très longtemps de venir présenter mes livres et mes films en Israël. Je suis très fier et très ému de montrer Peshmerga ici, avant New York, avant Londres, avant Berlin. Mais c’est un acte politique aussi. Car il y a quelque chose de Tsahal dans cette armée kurde, et je pense qu’il y a une proximité entre ces deux histoires, l’histoire des Kurdes et l’histoire juive, il y a une proximité entre la culture militaire israélienne et la culture militaire du Kurdistan irakien. Cette affinité, je la fais apparaître dans le film, et je ne suis pas sûr que les Israéliens en soient toujours aussi conscients qu’ils le devraient.Vous voulez dire que vous aimeriez encourager une prise de conscience israélienne sur l’aide à apporter aux Kurdes ?Les aider, je ne sais pas, en tout cas, ce qui me semble certain, c’est que dans un Proche-Orient idéal, il y aurait Israël et il y aurait un Kurdistan indépendant, qui seraient des pôles de stabilité, des pôles de démocratie.Vous avez traversé ces mille kilomètres de frontières, caméra au poing et drones dans les airs, vous avez filmé le temps long de la guerre, ses accélérations aussi, la mort, son côté très géographique. Pourquoi avoir tant travaillé sur la notion de territoire alors qu’on a l’impression, nous, que la guerre est généralisée, que le terrorisme est un cercle dont la circonférence est partout et le centre nulle part, que le territoire importe peu ?Parce que Daech le voit ainsi. Daech pense en termes de territoire. En termes de Califat. Et ça me paraît très important de reprendre ce territoire à ce prétendu Califat. Et puis, on a beau dire, la guerre n’est jamais dématérialisée. Et ce ne sont pas les robots tueurs ou les drones qui y changeront quelque chose. Ils ne réduiront pas cette dimension physique et archaïque de la guerre. J’ai voulu montrer cela dans tous mes films et dans celui-là en particulier. On y voit des hommes et des femmes se battre pour cent mètres de territoire. Ces cent mètres paraissent peut-être dérisoires mais ils charrient néanmoins, chaque fois, une part de l’essentiel. Je voulais aussi montrer que toutes les guerres sont hideuses. Je ne crois pas à la moralité de la guerre. Je crois qu’il existe des guerres justes. Elles peuvent être justes et hideuses. Elles peuvent être justes et abaisser l’homme. Quiconque a vu la guerre de près ne peut pas penser autrement. Il y a ce mot d’Apollinaire « Dieu que la guerre est jolie ! » Moi je le renverse : « Dieu que la guerre est laide. » Mais, malgré cette laideur, je dis, comme le martelait Elie Wiesel, que la neutralité n’est pas une option, qu’elle est trop souvent le masque de la lâcheté. Il y a des circonstances, des moments, où la guerre est inévitable.Apollinaire a écrit dans une correspondance : « C’est épatant d’être militaire, et je crois que c’est le vrai métier pour un poète. » Est-ce le vrai métier pour un philosophe ?Non. Je le fais, je l’ai fait souvent, mais je n’aime pas cela. En même temps, si on prend la politique au sérieux, c’est-à-dire l’affrontement contre le pire, l’affrontement du moindre mal contre le pire, on ne peut pas en faire l’économie. Quand une guerre vous est déclarée, il faut la livrer. Et il faut en témoigner. C’est ce que j’ai fait dans ce film. Je l’ai fait car personne ne l’avait fait. Toutes les images de Peshmerga sont inédites.Comment on évite l’esthétisation, la fascination, la romantisation ? Comment faire un film qui ne soit pas un parti pris kitsch ?