Ce que cache l’attentat de Bir Al-Abed

Malgré la fin de de l’Etat islamique, les attaques terroristes menées par des éléments radicaux ne cessent pas

Vue de la mosquée de Rawda après l'attentat meurtrier du 24 novembre (photo credit: REUTERS)
Vue de la mosquée de Rawda après l'attentat meurtrier du 24 novembre
(photo credit: REUTERS)
Le 24 novembre, 305 fidèles ont été massacrés de sang-froid pendant les prières du vendredi dans la mosquée Rawda du village de Bir Al-Abed situé non loin d’El-Arish dans le nord de la péninsule du Sinaï. Ce n’était pas à cause de leur appartenance au courant soufi ou à la tribu Sawarka comme certains l’ont suggéré. Ils ont été tués par des gens qui étaient comme eux musulmans ; des militants de Daesh ou d’un autre groupe terroriste qui ont fait leur la doctrine de Sayed Qotob et de Hassan el-Banna, fondateurs de la confrérie des Frères musulmans. Une thèse à laquelle adhèrent toutes les organisations terroristes islamiques, d’al-Qaïda à el-Shabab, Boko Haram et autres. Un dogme qui repose sur les écrits des plus illustres penseurs de l’islam depuis l’aube de cette religion. Que disent-ils ? Si la société musulmane s’éloigne de la Charia, elle peut être jugée coupable de Takfir – d’apostasie – et l’usage du Djihad, de la force armée, est légitime pour la ramener dans le droit chemin. C’est dans ce but que des groupes extrémistes ont assassiné plus d’un million et demi d’individus, hommes, femmes et enfants, depuis les années 1980, non seulement dans les pays musulmans, mais encore en Afrique et en Occident. Il y a tout juste un mois, 350 personnes ont trouvé la mort dans un attentat d’al-Shabab à Mogadiscio. Bombay, Nairobi, Istamboul, Londres, Paris, Nice, Boston, Berlin : quelques noms seulement sur la longue liste d’attentats sanglants perpétrés par les islamistes. Il faut encore mentionner les guerres à base ethnique ou religieuse en Afghanistan, Irak, Syrie, Libye, et au Yémen dont on ne voit pas la fin.
Insuffisance du renseignement
Les terroristes du Nord-Sinaï qui ont prêté allégeance au califat éphémère de l’Etat islamique constituent une menace existentielle pour le président Abdel Fattah al-Sissi et l’ensemble de la région. Dès son élection en 2014, il a demandé l’aide de l’Amérique pour former son armée et élaborer une stratégie globale contre le terrorisme mondial. Bien que l’Egypte ait été depuis des décennies le fidèle allié des Etats-Unis et le leader du front pragmatique sunnite contre l’Iran, Obama a refusé et suspendu une partie de l’assistance militaire américaine. En désespoir de cause, le président égyptien s’est tourné vers la Russie, laquelle a immédiatement accepté de fournir équipements militaires et instructeurs. Mais la méthode russe n’est guère adaptée à la guérilla dans le désert. Poutine était venu à bout de l’insurrection en Tchétchénie par des bombardements massifs qui ont laissé la capitale, Grozny, en ruines. C’est une tout autre méthode qu’il faut au Sinaï. Sur le plan du renseignement, Le Caire bénéficie aussi d’une coopération efficace d’Israël, qui souhaite combattre les terroristes islamiques opérant si près de sa frontière, mais cette collaboration reste discrète compte tenu du contexte régional actuel.
L’attaque de Bir Al-Abed a mis en évidence les problèmes auxquels est confrontée l’armée égyptienne, au premier rang desquels, l’insuffisance du renseignement. Cinq véhicules tout-terrain chargés d’explosifs, d’armes et de militants auraient convergé vers la mosquée après avoir parcouru, sans être repérés, des dizaines, sinon des centaines de kilomètres à découvert à travers le désert. Il s’agit d’une invraisemblable faille sécuritaire. Le président Sissi avait pourtant nommé il y a 15 jours un nouveau chef d’état-major chargé de réorganiser les forces et services de sécurité pour mieux combattre les insurgés au Sinaï. Mais ce changement n’a pas encore porté ses fruits. Jadis les renseignements internes et la sécurité étaient réputés pour leur redoutable efficacité. Seulement ils ont été les premières victimes de la chute de Moubarak en 2011.
Livrés à la vindicte publique, attaqués dans la rue par une population en colère, abandonnés par le régime et ne recevant aucun soutien d’une police elle-même dénoncée, nombre d’agents se sont enfuis. C’est ce qui s’est passé au Sinaï et le terrorisme islamique a profité de cette absence pour se développer. Des groupes djihadistes ont tenté d’établir des émirats islamiques à El-Arish et à Sheikh Zuweid que l’armée n’a réussi à éliminer qu’au prix de durs combats. Les forces militaires se sont montrées incapables de protéger le gazoduc conduisant le gaz naturel égyptien vers Israël qui a été plastiqué tant de fois que l’exportation du gaz a été définitivement interrompue. Naguère, l’armée disposait d’informateurs dans chaque maison ou tente, mais cela appartient au passé, malgré les efforts du président pour rétablir la situation. Les Bédouins se montrent peu disposés à venir en aide à un régime qui les ignore et ne fait rien pour créer les infrastructures dont ils ont tant besoin. Le parlement égyptien a bien pris conscience du problème, mais les décisions prises pour développer la péninsule ne sont pas mises en application par manque de fonds.
Des armes en provenance de Libye
L’armée n’arrive pas non plus à stopper l’approvisionnement de Daesh en véhicules, explosifs, équipements de pointe et même missiles antichars de type Cornet, provenant des énormes stocks de Kadhafi et qui arrivent de Libye depuis sa chute. L’armée nationale libyenne du général Haftar coopère étroitement avec l’Egypte pour sécuriser leur longue frontière commune, avec un succès relatif. Des convois apportant des renforts en hommes et en armements aux rebelles de Daesh sont parfois découverts et éliminés en route, mais d’autres passent en toute impunité, réussissant même à traverser le canal de Suez en achetant la complicité des fonctionnaires.
Le président Sissi qui a fait serment de venger le massacre de Bir Al-Abed a lancé l’armée de l’air à la poursuite des terroristes. Deux des véhicules utilisés ont été détruits avec leurs occupants ; des viviers de terroristes auraient été bombardés. Un élan nouveau va peut-être donner de l’énergie au combat contre les insurgés. A l’Occident de prendre conscience qu’il est temps de venir en aide à l’Egypte dans ce combat.
Discrétion des voix courageuses
Il ne faut cependant pas occulter l’aspect le plus préoccupant de ce massacre de sang-froid de fidèles en prière. Comme toutes les autres organisations islamiques terroristes, les militants de Daesh affirment, textes à l’appui, que leurs actions sont en tout point conformes à la Charia – Coran, Sunna et hagiographie du prophète. Une affirmation que les plus hautes autorités religieuses de l’islam peinent à réfuter. Ils ont eu beau condamner l’attaque de la mosquée dans les termes les plus vifs, ils ne peuvent se résoudre à traiter d’infidèles les auteurs de ces crimes, tant que ces derniers continuent à croire au Dieu unique, au Coran et aux principes de l’islam. C’est en vain qu’on attend une voix assez courageuse pour dire que les actes barbares qui étaient la norme au Moyen Age ne devraient plus être acceptés aujourd’hui. On sait qu’il y a un début de débat entre les autorités religieuses sur cette question, mais c’est à huis clos qu’il se tient. En attendant, aucun changement n’est intervenu dans l’enseignement de la Charia dispensé dans les écoles et les établissements d’enseignement supérieur à travers le monde arabe ; seul le président Sissi a pris des mesures pour éliminer les textes les plus violents des livres de classe. Ses efforts pour convaincre les sages d’al-Azhar de se joindre à lui sont restés vains jusqu’ici.
Il faut souligner que si la plupart des commentateurs ont souligné l’échec de l’armée dans la prévention de l’attaque de la mosquée, ajoutant que les premiers soldats n’étaient arrivés que près d’une demi-heure après le début de l’assaut, ils se sont bien gardés d’évoquer le problème de fond. Il ne faut pas se faire d’illusion. L’Etat islamique a sans doute été battu, mais l’islam radical n’est pas près de disparaître.
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