Obama, faucon malgré lui

Quinze ans après les attentats du 11 septembre, Barack Obama n’a jamais rompu avec l’héritage Bush.

Les tours jumelles en feu le 11 septembre 2001 (photo credit: REUTERS)
Les tours jumelles en feu le 11 septembre 2001
(photo credit: REUTERS)
Le rêve du président Barack Obama de mettre un terme à la guerre contre le terrorisme, initiée par l’administration de son prédécesseur George Bush au lendemain du 11 septembre, est parti en fumée à cause d’un sous-vêtement. C’est une simplification grossière mais selon le livre, déjà un classique, Power Wars, du journaliste du New York Times Charlie Savage, la tentative d’attentat du 25 décembre 2009, qui a vu le nigérian Umar Farouk Abdulmutallab monter à bord du vol 253 de la Northwest Airlines avec des explosifs dissimulés dans son slip, a constitué un tournant, faisant surgir à la face d’un président qui n’avait pas encore fêté son premier anniversaire à la Maison-Blanche une dure réalité. Après cette tentative d’attentat, Barack Obama a dû modifier quelque peu sa vision de la lutte antiterroriste.
Si Obama le candidat affirmait vouloir revenir sur les politiques mises en place par l’administration de son prédécesseur, Obama le président, confronté à des menaces sécuritaires majeures, a fini par poursuivre sur la même voie. Israël, qui sous l’ère Bush avait bénéficié d’un blanc-seing pour sa propre guerre contre la terreur, a accueilli ce revirement politique avec un sentiment de soulagement : sa stratégie de lutte antiterroriste ne serait pas menacée, même si au cours de ses deux mandats, l’actuel locataire de la Maison Blanche a parfois tenté d’accorder sa vision libérale et sa politique sécuritaire, modifiant et amendant certaines lois.
A quelques mois du départ du 44e président des Etats-Unis, et à l’occasion du quinzième anniversaire des attentats du 11 septembre qui ont changé la face de l’Amérique et du monde, on peut se demander quels ont été les principaux apports de la présidence Obama en matière de sécurité ? Et en quoi cela a-t-il pu affecter l’Etat juif ? Dans un sens, cet article s’éloigne donc des débats habituels à propos du président américain sortant et de son rapport à Israël ou au Moyen-Orient, lors desquels il est généralement question de se déclarer simplement pour ou contre ses actions ou décisions, pour se concentrer sur l’analyse des mesures prises dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Eliminations ciblées, poursuite de la torture des prisonniers, tenue de procès militaires des terroristes détenus à Guantanamo, détention administrative, espionnage massif de données… Quel impact les politiques de sécurité nationale américaine sous l’ère Obama ont eu sur celles d’Israël entre 2009 et 2016 ?
La préférence aux éliminations ciblées
Il l’avait promis en 2008, et le répétait encore après sa réélection en 2012 : « une décennie de guerres prend fin ». Pourtant, si Obama a cessé d’utiliser l’expression « guerre contre le terrorisme », trop liée aux années Bush et mal vue à l’étranger, dans les faits, les Etats-Unis sont aujourd’hui directement impliqués dans plus de conflits qu’en 2009. En 2014, le président américain a annoncé que la guerre en Afghanistan était finie et qu’al-Qaïda ne représentait plus une menace pour les Etats-Unis, mais sur le terrain, les opérations militaires américaines se sont multipliées, principalement en Afghanistan, en Irak et en Syrie. Si la « guerre » n’est pas officiellement déclarée, elle a bien lieu.
Comment cela peut être légalement justifié sans une déclaration en bonne et due forme du Congrès ? Dans un discours d’avril 2015, l’avocat du département de la Défense américain Stephen Preston expliquait qu’une autorisation parlementaire datant de 2001 et permettant l’usage de la force contre al-Qaïda en Afghanistan, servait de base juridique au conflit armé ayant aujourd’hui cours contre l’Etat Islamique. Cette définition est cruciale. Cela signifie que la loi de la guerre, et non pas les droits de l’homme, détermine si l’usage de drones ou une intervention aérienne est légale ou proportionnée. La loi des conflits armés favorise l’usage de la force, à partir du moment où un minimum de précautions est pris afin de préserver la vie des civils, alors que les droits de l’homme se concentrent principalement sur la sécurité des populations. Obama a donc décidé de poursuivre sur la même voie que Bush, d’utiliser l’approche de l’administration précédente pour justifier l’assassinat ciblé de Ben Laden, les tirs de drones au Yémen et les raids aériens visant l’Etat islamique… Même si certaines limites ont été mises en place.
S’il n’a pas totalement renié l’héritage de Bush en la matière, Obama a ajouté sa « touche personnelle » privilégiant les éliminations ciblées, qui sont devenues la principale tactique américaine de lutte contre le terrorisme islamiste. Un choix stratégique qui n’est pas sans rappeler celui fait par Israël, qui confronté à une menace constante sur de multiples fronts, favorise cette politique depuis des décennies. L’accent mis par un président démocrate sur ce genre d’opérations ciblées a donc agréablement surpris l’establishment militaire israélien. Une vision militariste s’est peu à peu imposée sur la scène internationale, et la légalité des éliminations ciblées ou des raids aériens comme ceux menés par Israël lors des dernières guerres n’a pas été mise en cause sous l’ère Obama, si ce n’est par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, la Cour pénale internationale ou certaines ONG.
Halte au water-boarding
C’est sur la question de la torture et des différentes techniques d’interrogatoire que l’administration Obama s’est le plus démarquée de celle de son prédécesseur. Depuis son arrivée en poste, le nouveau président a formellement interdit le water-boarding (simulation de noyade) et autres formes d’interrogatoires musclés. Aux Etats-Unis aujourd’hui, le sentiment général est que ces techniques ne marchent pas ou ne valent pas la peine d’être mise en place. En novembre 2015, le Congrès, bien que majoritairement républicain, a fait passer une loi interdisant l’utilisation de telles méthodes. C’est l’un des rares points sur lesquels on peut considérer qu’Obama est resté fidèle à ses engagements préélectoraux. En Israël, cette évolution n’a pas été bien accueillie. En effet, les responsables sécuritaires et une majorité de la population jugent que dans certains cas, des méthodes d’interrogatoires musclées sont indispensables pour empêcher des attaques terroristes imminentes.
Seule consolation pour l’Etat juif : le président américain a en revanche refusé de poursuivre des agents du département de la justice ou de la CIA pour la mise en place de ces pratiques. Bien qu’il y ait eu quelques procès, ils ont à chaque fois débouché sur des non-lieux.
Le casse-tête Guantanamo
C’est l’épine dans le pied du président américain. Barack Obama a en effet été confronté à un triple problème. Un dilemme posé par l’héritage de centaines de prisonniers de guerre étrangers détenus sur l’île de Cuba. Le nouveau président s’était engagé à fermer le centre de détention militaire de Guantanamo, mais que faire avec les procès en cours ? Et que faire des terroristes que les principaux responsables sécuritaires considéraient comme trop dangereux pour être libérés, mais qu’il aurait été presque impossible de traduire devant un tribunal civil ?
Les critiques se sont concentrées sur ce que Guantanamo représentait, c’est-à-dire des procédures extraordinaires qui ne respectaient pas le droit de tout un chacun à un procès juste et équitable. L’une des premières actions d’Obama en tant que président a donc été d’ordonner le processus de fermeture de la prison, et de transférer tous les prisonniers dans des établissements pénitenciaires civils. Il a également mis en place un moratoire sur chaque arrivée de prisonnier à Guantanamo. Des décisions totalement dans l’esprit de sa campagne électorale.
Mais alors qu’Obama avait décidé de faire traduire  en justice à New York, Khaled Sheikh Muhammad, un des cerveaux présumés des attentats du 11 septembre, le Congrès a réalisé qu’il pouvait ralentir le processus, empêchant pendant des années la remise en liberté des détenus. Même en prenant en compte les obstacles mis en place par le Congrès, les électeurs d’Obama se sont sentis une nouvelle fois trahis par le fait qu’il n’ait finalement pas fermé le centre de détention, et qu’il ait mis des années à transférer les prisonniers, même si le nombre de détenus est passé d’environ 240 en 2009 à 61 aujourd’hui, dont 20 seront d’ailleurs bientôt transférés.
Un débat a alors fait rage au sein de l’administration : fallait-il oui ou non maintenir les tribunaux militaires de l’ère Bush ou bien transférer les détenus vers les tribunaux civils ? A moins de prolonger indéfiniment leur détention, et ce sans procès ? Obama a déçu ses soutiens de la première heure en choisissant de réformer les tribunaux militaires extraordinaires plutôt que de simplement les supprimer, et en décidant que certains prisonniers n’auraient pas de procès
et seraient détenus de manière permanente comme prisonniers de guerre. Dans une perspective israélienne, même s’il y a des différences majeures, ces politiques ne sont pas sans rappeler l’usage des tribunaux militaires et de la détention administrative.
Espionnage ou vie privée
A la lumière des débats qui ont suivi les révélations d’Edward Snowden sur les pratiques de la NSA espionnant les téléphones ou les ordinateurs des citoyens américains, Obama a une nouvelle fois trahi les espoirs placés en lui.
En Israël, cette question ne se pose pratiquement pas. Si l’Etat juif possède des Lois fondamentales, il n’a pas de Constitution. Et si les Lois fondamentales offrent une certaine protection aux citoyens, elles sont loin de s’approcher du Quatrième Amendement protégeant la vie privée des Américains. Le concept de vie privée existe certes en Israël, mais il ne pèse pas au regard de la sécurité nationale. Différentes lois votées ces dernières années autorisent les services de sécurité, notamment le Shin Bet, à surveiller les communications. Les Israéliens, conscients des dangers qui pèsent sur le pays, considèrent les questions relatives à la sécurité nationale comme de première importance. Ce qui est moins le cas aux Etats-Unis.
En Israël, la guerre sans fin contre le terrorisme, les éliminations ciblées, les techniques d’interrogatoire parfois violentes, les tribunaux militaires, les détentions administratives et l’espionnage des communications sont des pratiques acceptées par une grande partie de la population. Un consensus qui va de la droite à la gauche, du Likoud à l’Union Sioniste. Si le petit parti de gauche Meretz, la Liste Arabe Unie et certaines ONG dénoncent ces politiques, cela n’a presque pas d’impact, sauf lorsqu’ils arrivent à convaincre la Cour Suprême d’intervenir.
Si c’était à refaire…
Dans Power Wars, Charlie Savage suppose que si Barack Obama pouvait remonter le temps il agirait différemment. Il fermerait peut-être Guantanamo plus vite sans donner au Congrès le temps de s’opposer à sa politique.
Si son ambition de rompre avec les méthodes expéditives de Bush s’est heurtée à la réalité, la particularité du mandat d’Obama aura été de donner une certaine rigueur ou justification juridique à la kill list, par l’embauche de juristes chargés de rédiger de longs mémorandums justifiant la poursuite de la politique de son prédécesseur. Pour Obama et ses défenseurs, si la critique est acceptable, c’est le processus qui mène à la politique mise en place qui fait la différence. Pour eux, le travail de justification légale de la politique d’Obama par son administration permet de mieux faire accepter certaines méthodes controversées et de les mettre en adéquation avec les principes de la Constitution américaine. Obama sera peut-être finalement vu comme celui qui aura permis aux Etats-Unis de retrouver une certaine tradition d’Etat de droit qui avait pâti des excès de l’époque Bush. Et ce, même s’il a dû faire l’impasse sur quelques principes de libertés civiles du XXe siècle pour affronter les réalités du XXIème.
En Israël, on se souviendra surtout de l’accord nucléaire iranien, des relations tendues avec Netanyahou et d’une gestion déficiente d’un Moyen-Orient en ébullition. Mais si l’on se concentre un instant sur l’image d’un président démocrate qui, in fine, est intervenu plusieurs fois dans les conflits armés de la région, a ordonné des éliminations ciblées, a plus ou moins laissé ses services de sécurité utiliser des techniques d’interrogation non autorisées par la loi et a permis la détention permanente de terroristes, on pourra comprendre pourquoi l’establishment sécuritaire israélien finira peut-être par le regretter.
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