Pompiers sans frontières

Par-delà les murs d’incompréhension et les clivages idéologiques, des soldats du feu de tous horizons ont lutté main dans la main pour venir à bout de la dernière vague d’incendies

Un avion en action lors des derniers incendies (photo credit: REUTERS/Ronen Zvulun)
Un avion en action lors des derniers incendies
(photo credit: REUTERS/Ronen Zvulun)
L’allocution de remerciement des pompiers de Guivat Mordekhai, au sud-ouest de Jérusalem, a pris des allures de manifestation internationale, le dernier week-end de novembre. C’est en plusieurs langues que ces derniers ont exprimé leur gratitude à leurs homologues de Chypre, des Etats-Unis et de l’Autorité palestinienne, qui ont répondu présent pour combattre les flammes.
Ces soldats du feu (69 Chypriotes, 40 Palestiniens et 40 Américains) qui se sont battus au coude-à-coude avec leurs homologues israéliens malgré les différences de langue, et peut-être aussi les clivages politiques, étaient réunis dans la caserne de la capitale, la semaine qui a suivi les incendies. L’ambiance était particulièrement conviviale. Alors que les terribles heures de lutte étaient derrière eux, ces hommes goûtaient à un moment de détente bon enfant, les Israéliens et les Américains se régalant de glaces pendant que leurs collègues chypriotes prenaient des selfies. Voici les témoignages de quelques-uns de ces héros.
Les Israéliens
« C’était très dur. Il faisait froid, le vent soufflait extrêmement fort et ça n’en finissait pas », raconte Shai Drori, 29 ans. Le jeune homme n’a intégré que récemment les équipes de pompiers de Jérusalem. Il a d’abord travaillé pendant deux ans et demi dans les équipes de l’armée après avoir servi comme parachutiste. Il rêvait de faire ce métier depuis son plus jeune âge. Drori est extrêmement reconnaissant envers les Chypriotes et les Américains qui ont débarqué dans sa caserne : « Ce sont vraiment des amis. Ils sont venus pour nous aider car ils aiment Israël. Ça fait vraiment chaud au cœur de voir ça. »
Le jeune homme était sur la ligne de front avec les pompiers palestiniens pour éteindre les incendies qui faisaient rage à Neveh Ilan et Nataf, deux localités situées dans les collines de Jérusalem où le feu a dévasté un grand nombre de maisons. Ils sont finalement venus à bout des flammes, tous ensemble. « La politique n’avait pas sa place », dit-il, « c’était la lutte d’une équipe. Nous sommes allés éteindre le feu sans nous poser de questions, sans nous demander ni où ni pourquoi ça brûlait. »
Les Chypriotes
Nathaniel Benjamin Andreou, 35 ans, est pompier au département des forêts de Chypre. Il a choisi ce métier par amour pour les paysages de son pays. Après s’être envolé en Israël à bord d’un avion militaire C130, Andreou a découvert un paysage presque identique à celui de sa terre natale. « La végétation et la topographie de la région [à l’ouest de Jérusalem] où nous avons travaillé sont très similaires à celles de Chypre », affirme Andreou. « Je connaissais la plupart des plantes que je voyais autour de moi. L’odeur aussi m’était familière, parce que c’est le même type de végétation. »
Le pompier dit avoir quitté sans hésiter son épouse, légèrement nerveuse, et son enfant de neuf mois, pour aller combattre les flammes israéliennes. « La principale préoccupation de ma famille était de savoir dans quel secteur on allait nous dépêcher. Quand je leur ai dit que c’était Jérusalem, ils étaient très inquiets parce que c’est l’une des zones où le conflit est le plus exacerbé, comparativement à Tel-Aviv », relate Andreou, précisant qu’il ne partageait pas les craintes de ses proches.
En Israël, les Chypriotes se sont scindés en sept équipes. Celle d’Andreou a été chargée d’éteindre les « points chauds » dans les collines de Jérusalem. « La première nuit, nous sommes allés à la recherche des foyers et dès que nous avons repéré des flammes, nous avons foncé dessus avec nos tuyaux », raconte-t-il, toujours vêtu de sa combinaison orange et du bonnet qui porte le sigle de la National Geographic
de Chypre.
Bien qu’il soit issu d’un pays en proie à un conflit territorial permanent avec la Turquie, Andreou ne trouve pas pertinente la comparaison entre les divergences chyprio-turques et la question israélo-palestinienne. « Chacun des deux côtés du conflit [turco-chypriote] essaie de faire cette comparaison », pointe-t-il. « Nous avons des Palestiniens à Chypre, tout comme nous avons des Israéliens, donc j’ai entendu les deux parties ; je sais qu’il y a toujours deux points de vue dans une querelle. »
La venue de cette délégation de pompiers chypriotes est le fruit des accords de coopération israélo-chypriote en matière d’assistance en cas de catastrophe naturelle. En 2010, Nicosie avait déjà dépêché de l’aide pour combattre le féroce incendie qui avait ravagé le Carmel et, en juin, Israël avait envoyé des effectifs pour combattre les flammes à Chypre. « Nous avons eu le plus grand incendie de notre histoire. Nous avons perdu 19 kilomètres carrés. La forêt a brûlé pendant trois jours. Deux de nos hommes sont morts et un est toujours grièvement blessé », raconte Nathaniel Andreou.
Le pompier, qui avait déjà visité le pays, espère bien revenir. Pas pour avoir à combattre les flammes, mais plutôt pour relever un autre défi ; celui de parcourir les 1 100 km du Sentier national d’Israël. « Il y a quelques mois, des Israéliens sont venus randonner dans le parc national où je travaille. Ce sont eux qui m’ont parlé du Shvil Israël. J’aimerais bien le faire. »
Les Américains
Chris Balough, âgé de 45 ans, et Keith Copeman, 59 ans, comptabilisent à eux deux 58 années d’expérience de lutte contre les incendies. Ils font partie des pompiers vétérans qui se sont portés volontaires pour venir en Israël pendant cinq jours. Leurs manières de Texans un peu rustres ne les ont pas empêchés de nouer des liens de franche camaraderie avec leurs homologues israéliens.
« Ici ce n’est pas très différent des Etats-Unis », déclare Chris Balough. Comme partout, un tuyau est un tuyau, une buse est une buse, et il s’agit de verser de l’eau sur le feu. » « J’ai aussi remarqué que les pompiers israéliens font les mêmes plaisanteries que nous. Par exemple quand on choisit le “bleu” parmi les nouvelles recrues, celui auquel on va donner le sale boulot », lance-t-il en riant. « C’est exactement pareil ici », renchérit Keith Copeman. Leur plus grand défi aura peut-être été de retenir les prénoms locaux : « Nous avons encore du mal à nous souvenir des noms. Vous savez, ils ne sont pas aussi faciles à retenir que Chuck, Steve ou Todd. On a travaillé avec des gens que nous ne connaissions pas et nous avons dû nous débrouiller pour apprendre d’un coup les noms de tous ces nouveaux collègues. »
A peine 20 heures après avoir reçu un appel de l’EVP – le projet de volontaires d’urgence – Balough et Copeman sautaient dans un avion. L’EVP envoie des équipes d’urgence à l’étranger en cas de catastrophe naturelle. Mais c’était la première fois qu’ils se rendaient en Israël. Les deux hommes ont été frappés par la petite taille du pays, et celle de Jérusalem. « J’avais vu des photos de la Vieille Ville, mais je ne me rendais pas compte du nombre d’habitants », confie Balough.
Venant du Texas, une région plutôt plate, les deux hommes ont dû s’adapter aux collines escarpées de Jérusalem, bien qu’ils n’aient pas eu à lutter directement contre le feu sur le terrain. Leur travail de bénévole a consisté essentiellement à s’occuper de l’entretien du matériel, faire face aux éventuelles fuites de gaz et fournir une assistance en cas d’ascenseur bloqué ou d’autres problèmes logistiques dans la capitale. Ces soldats du feu reconnaissent avoir été un peu frustrés de ne pas être au cœur de l’action. « C’est pour ça qu’on est venus ici, c’est ce que nous avions envie de faire », dit Copeman. « Mais bon, l’important est d’être utile. On était là pour aider les Israéliens là où ils en avaient besoin, et leur permettre de souffler un peu », ajoute son collègue.
En revanche, les volontaires américains ont été plutôt réticents à s’engager sur le terrain de la politique, disant qu’ils en avaient discuté « un peu » avec leurs homologues israéliens, mais pas plus que ça. « Ils ont leurs opinions et on les écoute, mais on ne discute pas beaucoup de ça avec eux, parce que c’est leur pays après tout », souligne Copeman.
Passer du temps à la caserne a donné aux bénévoles texans assez de temps pour se renseigner sur les us et coutumes des pompiers israéliens et se familiariser avec leurs bizarreries. « Ils aiment bien manger ici, et c’est fou comme ils aiment les glaces ! Le congélateur est tout le temps plein ! », plaisante Keith Copeman. « Et comme tous les pompiers du monde, ils aiment aussi les bonbons ! », ajoute-t-il.
Les Palestiniens
Majd al-Qadri, un pompier palestinien de 27 ans, et son homologue arabe israélien ont approché le cœur d’un incendie qui faisait rage près d’Abou Ghosh, un village dans la banlieue de Jérusalem. C’était un vendredi juste avant minuit. « Ça a été l’expérience la plus difficile de toute ma carrière en tant que membre de la Défense civile », confie Qadri au quartier général de la Défense civile de l’Autorité palestinienne à Ramallah. « J’ai vraiment cru que j’allais mourir quand j’ai vu ces murs de feu autour de moi. Mais mon collègue m’a donné confiance, et il m’a aidé à progresser au cœur de l’incendie pour venir à bout des flammes. »
Quand la Défense civile a cherché des volontaires pour aider à combattre les incendies en Israël, Qadri, qui vient de la Vieille Ville de Ramallah, s’est immédiatement proposé même s’il était sur le point, à ce moment-là, de prendre une semaine de vacances. « Quand j’ai entendu parler de la mission, j’ai immédiatement levé la main », raconte le pompier. « J’avais entendu parler des incendies aux infos et je voulais aider à les éteindre. »
La défense civile de l’Autorité palestinienne a mobilisé huit camions de pompiers le jeudi 24 novembre au soir : quatre se sont rendus dans les contreforts de Jérusalem et quatre autres à Haïfa et ses environs. La défense civile était déjà intervenue en Israël pour éteindre le feu du mont Carmel en 2010. Les équipes israéliennes, de leur côté, sont également fréquemment appelées en Judée-Samarie pour combattre les incendies avec leurs homologues palestiniens.
Qadri précise qu’éteindre des feux en Israël ou ailleurs ne fait aucune différence pour lui. « Dans la défense civile, notre mission est humanitaire ; nous devons préserver la vie quelle qu’elle soit », explique-t-il. « Nous ne faisons pas de différence entre les gens, ce sont tous des êtres humains. Nous avons le devoir d’aider ceux qui réclament notre aide, indépendamment de leur citoyenneté ou de leur religion. » Le jeune homme ajoute que ses collègues israéliens l’ont traité avec le plus grand respect. « Ils se sont comportés de façon formidable », assure-t-il. « Nous n’avons eu aucun problème avec qui que ce soit, ni avec les pompiers, ni avec l’armée, ni avec le peuple. Tout le monde s’assurait constamment que nous avions tout ce qu’il nous fallait. » Et de pointer : « Le feu ne fait pas de différence entre les Palestiniens et les juifs, et mon but, en tant que membre de la défense civile, est de les aider au mieux. » Maintenant que la mission des pompiers palestiniens est achevée, Qadri va pouvoir profiter de sa semaine de vacances, mais il se dit prêt à revenir à tout moment pour lutter contre les incendies si besoin.
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