Qui a peur de Jeremy Corbyn?

Sa victoire à la tête du parti travailliste britannique a semé la consternation au sein de la communauté juive

Jérémy Corbyn (à gauche) (photo credit: REUTERS)
Jérémy Corbyn (à gauche)
(photo credit: REUTERS)
C’est un choix qui a surpris l’ensemble de la classe politique britannique. L’élection de Jeremy Corbyn le 12 septembre dernier à la tête du parti travailliste a même fait grincer des dents au sein de sa propre formation, où une majorité d’élus le jugent bien trop à gauche. Mais cette victoire inquiète surtout la communauté juive et pro-israélienne du pays. Car Jeremy Corbyn, le pacifiste, l’outsider, est aussi un ardent défenseur de la cause palestinienne. Cela en fait-il un ennemi irrémédiable de l’Etat d’Israël ? La question reste ouverte. Certains veulent voir dans son accointance avec le Hamas et le Hezbollah la simple expression de sa conviction que seul le dialogue peut promouvoir la paix ; d’autres le soupçonnent de partager leur antipathie envers l’entreprise sioniste.
Parmi les 271 000 juifs de Grande-Bretagne, Corbyn semble bénéficier du soutien d’une petite poignée d’antisionistes de gauche. « Jeremy Corbyn n’a rien à se reprocher du fait de ses rencontres avec les représentants du Hamas et du Hezbollah », ont avancé ces derniers dans une lettre ouverte récemment publiée dans The Jewish Chronicle. Personne ne s’étonnera si, parmi les noms des signataires, figurent ceux de certains révisionnistes israéliens tels Ilan Pappé et Avi Shlaim. En amont de la course à la direction du parti travailliste, quelques socialistes, anarchistes, laïques, et opposants à l’« occupation » s’étaient réunis sous la bannière de « Jews for Jeremy » (Juifs pour Jeremy). Ils avaient recueilli quelque 500 likes sur leur page Facebook. A part ces quelques voix, au sein de la communauté juive, le nouveau chef de l’opposition cristallise les méfiances.
Le beau monde
Les liens de Corbyn avec Israël se bornent à sa longue association avec la Campagne de solidarité avec la Palestine (Palestine Solidarity Campaign, PSC), qui coordonne les activités antisionistes en Grande-Bretagne. Le symbole de la PSC est une carte de la « Palestine » qui s’étend de la Méditerranée au Jourdain. Le groupe prône le « droit au retour » des réfugiés de 1948 et de leurs descendants en Israël. D’ailleurs, Corbyn a déclaré au site anti-israélien, Electronic Intifada, que les descendants de réfugiés palestiniens du Liban doivent pouvoir rentrer « chez eux ». Qu’ils choisissent ou non d’exercer ce droit est, selon lui, de moindre importance.
S’il a affirmé avant son élection, devant un parterre de dirigeants juifs, son opposition à la mise à l’index des universités Israéliennes, Corbyn, comme beaucoup d’eurogauchistes, encourage en revanche le boycott des produits israéliens fabriqués au-delà de la Ligne verte. Il est en outre membre du comité de direction de la Stop the War Coalition, qui a fait pression pour que le Premier ministre Benjamin Netanyahu soit arrêté pour crimes de guerre lors de sa prochaine visite à Londres.
Retour en 2005. Après un voyage en « Palestine », le futur leader travailliste taxait la politique israélienne d’« inhumaine, immorale et illégale » et dénonçait en bloc l’« occupation », la barrière de sécurité, et les « colonies ». Il appelait également à la suspension des accords commerciaux entre l’Union européenne et Israël, à l’embargo sur les armes à destination de l’Etat juif, et indiquait avoir eu le « plaisir » de rencontrer l’espion nucléaire anti-israélien Mordechai Vanunu.
Pour sa défense, certains diront que ses positions sont tout à fait en phase avec celles de l’extrême gauche ; d’ailleurs, Corbyn prône également le désarmement nucléaire unilatéral de la Grande-Bretagne. D’autres en revanche, soutiendront qu’il est déjà allé trop loin, faisant référence à une interview accordée à la télévision iranienne. Le futur chef de file travailliste y regrettait le fait qu’Oussama ben Laden n’ait pas été traduit en justice, expliquant que l’« assassinat » du chef d’al-Qaïda n’avait fait qu’ajouter « tragédie sur tragédie ». Et de dresser un parallèle entre les attaques du 11 septembre et l’invasion américaine en Afghanistan. Lorsque le journaliste iranien, argumentant sur la peine de mort, affirme qu’Adolf Eichmann a été, lui aussi, victime d’une exécution sommaire par « l’Etat sioniste », Corbyn reste de marbre.
Selon le Daily Telegraph, le politicien entretiendrait des liens étroits avec des extrémistes anti-israéliens dont certains ont contribué financièrement à sa campagne. Parmi eux, Ibrahim Hamami du Centre d’Affaires palestinien pro- Hamas et le philosophe Ted Honderich, adversaire féroce de l’existence d’Israël. S’il en fallait plus, en 2012, Corbyn a organisé une réception à la Chambre des communes en l’honneur de Raed Saleh, chef de la « Branche nord » du Mouvement islamique. Il a rencontré des dirigeants du Hamas, dont Ismaïl Haniyeh, partagé une tribune avec Leila Khaled, pirate de l’air palestinienne, et accueilli, lors d’une rencontre, Moussa Abou Maria, membre du Djihad islamique. Le nouveau dirigeant travailliste a également soutenu les efforts pour libérer Jawad Botmeh et Samar Alami, condamnés pour tentative d’attentat à la bombe contre l’ambassade d’Israël à Londres.
Attendre et voir
« Son refus de réunir à une même table pro-israéliens et pro-palestiniens progressistes pour discuter de solutions » rend l’élection de Corbyn problématique pour les travaillistes juifs amis d’Israël, explique Colin Shindler, professeur émérite à l’université de Londres. Selon lui, le nouveau chef du parti apparaît clairement comme le porte-parole de la propagande palestinienne : son commentaire selon lequel la déclaration Balfour aurait été « une erreur historique » sous-entend implicitement la délégitimation d’Israël, insiste-t-il.
Refusant de suivre les appels au boycott de Corbyn, Jonathan Arkush, président du Conseil des députés juifs britanniques, tente une approche plus pragmatique. Pour lui, les dirigeants juifs se doivent de maintenir de bonnes relations avec les chefs de file des principaux partis, quels qu’ils soient, dans le but de défendre les intérêts de la communauté : lutte contre l’antisémitisme, soutien à la circoncision et aide gouvernementale aux écoles confessionnelles. Arkush estime donc qu’il est impératif que la communauté engage un dialogue constructif avec le nouveau leader travailliste. Le président du Conseil des députés juifs britanniques espère qu’à la lumière de ses nouvelles fonctions, Corbyn adoptera une approche plus nuancée que lorsqu’il siégeait comme simple député d’opposition. A défaut, promet-il, il n’hésitera pas à se montrer virulent envers le nouveau chef de l’opposition.
Quelles sont les positions de Corbyn en ce qui concerne la solution à deux Etats et le boycott d’Israël ? Le nouveau chef du Labour va-t-il soutenir la politique existante en matière de protection de la communauté juive contre le terrorisme ? Soutiendra-t-il le droit à l’existence de l’Etat hébreu ? Autant de questions qui restent floues. Dans une intervention de huit minutes, en présence de plus de 500 personnes réunies à l’initiative des Amis travaillistes d’Israël, en marge de la conférence du parti travailliste en septembre, Jeremy Corbyn a ostensiblement évité d’utiliser le mot « Israël ». Il a insisté sur la levée du « siège de Gaza », soutenu l’accord nucléaire iranien, et dénoncé l’antisémitisme et l’« islamophobie » dans le même souffle.
La communauté pro-israélienne britannique s’inquiète aussi de l’influence du chancelier de l’Echiquier du shadow cabinet, le gouvernement fantôme d’opposition, John McDonnell, en phase avec Corbyn, qui appelle à déchoir de la citoyenneté britannique toute personne servant dans l’armée israélienne.
Cependant, Israël possède encore quelques partisans dans les rangs travaillistes. Parmi eux, la députée Joan Ryan, présidente des Amis travaillistes d’Israël. Cette dernière ne cache pas sa déception face à Corbyn, qui n’a pas su saisir l’occasion de son allocution devant ses pairs pour apaiser les inquiétudes compréhensibles de nombre d’entre eux, quant à son engagement envers l’Etat d’Israël. « Je ne m’attends pas à ce que Jeremy devienne un ardent sioniste, mais j’espère le voir admettre cette vérité fondamentale », confie-t-elle.
Suite à l’élection de Corbyn, plusieurs élus du Labour à la Chambre des Lords ont quitté le parti. De nombreuses voix ont également appelé les travaillistes pro-israéliens à leur emboîter le pas, alors que d’autres plaident pour une approche plus pragmatique, arguant que leur départ laisserait Israël sans alliés au sein du parti pour défendre ses intérêts. De toute façon, notent les militants travaillistes, le gouvernement conservateur de David Cameron ne s’est pas montré particulièrement tendre vis-à-vis d’Israël dans l’arène diplomatique.
Le meilleur moyen d’évaluer l’approche de Corbyn envers l’Etat juif, déclare un militant, est de voir s’il choisit de mettre l’accent sur sa relation avec la campagne de rejet Solidarité Palestine ou avec le comité parlementaire des Amis de la Palestine, qui soutient une solution à deux Etats. En d’autres termes, le mot d’ordre est : attendre et voir…
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