Cracher dans la soupe

L’insupportable mépris de certains étudiants arabes au sein des universités israéliennes

Saad Eddin Ibrahim, sociologue égyptien défenseur des droits de l'homme (photo credit: DENIS BALIBOUSE / REUTERS)
Saad Eddin Ibrahim, sociologue égyptien défenseur des droits de l'homme
(photo credit: DENIS BALIBOUSE / REUTERS)
Il y avait foule dans l’auditorium de l’université de Tel-Aviv le 2 janvier pour la soirée inaugurale d’un symposium sur un siècle de bouleversements politiques en Egypte. Beaucoup étaient venus écouter Saad Eddin Ibrahim, l’illustre sociologue égyptien défenseur des droits de l’homme, rendu infirme par les longs mois passés dans les geôles du président Moubarak. Son crime ? Avoir porté atteinte à l’image de son pays à l’étranger. Trop faible pour se tenir debout derrière le podium, c’est assis qu’il a pris la parole, évoquant les cinq opérations chirurgicales qui avaient été nécessaires à sa sortie de prison pour lui permettre de reparler et lui rendre l’usage partiel de ses jambes.
C’est alors qu’un petit groupe au fond de la salle s’est levé et a commencé à vociférer en arabe. Morceaux choisis : « Vous avez abandonné votre nationalisme ; vous êtes un traître qui travaille pour la normalisation et vend le peuple égyptien et tout le monde arabe. C’est une honte. Le peuple égyptien vous rejette ainsi que tous les gens comme vous. » Il s’est alors produit un fait curieux. Un représentant de l’université leur a intimé de partir, en les menaçant de faire appel à la sécurité. On aurait pu s’attendre à ce qu’ils refusent, pour prolonger l’incident et, qui sait, bénéficier d’une couverture médiatique lors de leur expulsion manu militari. Il n’en a rien été et ils sont partis - en continuant à hurler évidemment.
Il faut les comprendre : comme des centaines d’autres Arabes israéliens, ils sont étudiants dans cet établissement et ne voulaient à aucun prix s’en attirer les foudres. D’ailleurs, ils avaient accompli ce qu’ils comptaient faire et leur provocation, filmée et enregistrée par l’un d’eux, avait déjà été transmise à des dizaines de sites en Egypte qui se sont empressés de la publier en l’assortissant de commentaires incendiaires à l’intention du « traître. » Plus tard, attablés dans l’un des cafés branchés de l’université, ils allaient pouvoir se vanter de leur exploit. Inutile de leur demander pourquoi, en tant qu’étudiants israéliens jouissant de tous leurs droits de citoyens, ils s’opposent à la normalisation entre l’Egypte et Israël, deux pays en paix depuis bientôt quarante ans. Pourquoi, aussi, ils protestent contre une initiative de l’université qui les accueille.
Pourraient-ils manifester si bruyamment en Egypte ? Savent-ils ce qu’il en est de la liberté d’expression là-bas ? Ont-ils conscience de la chance qui est la leur, celle de vivre dans un pays où ils peuvent se prétendre des héros à peu de frais pour être venus insulter un vrai patriote, un homme qui a pris des risques insensés par amour de son pays, et qui a payé de ce fait un lourd tribut ? Bien sûr que non. Ils vont poursuivre leurs études en continuant à attaquer et à dénigrer en toute occasion le pays qui leur en donne si généreusement les moyens. Quant au docteur Saad Eddin Ibrahim, il a repris le fil de son discours. Sous les applaudissements.
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