Israël, le mal-aimé

Si plusieurs gouvernements arabes coopèrent avec l’Etat juif, les populations, elles, font de la résistance

Les funérailles de Mohammad Jawawdah; qui a attaqué l'agent de sécurité de l'Ambassade d'Israël en Jordanie (photo credit: REUTERS)
Les funérailles de Mohammad Jawawdah; qui a attaqué l'agent de sécurité de l'Ambassade d'Israël en Jordanie
(photo credit: REUTERS)
L’incident de l’ambassade d’Israël à Amman est révélateur de la situation de l’Etat juif au Moyen-Orient. Les gouvernements des pays voisins – du moins certains d’entre eux – ont besoin d’Israël. Ils sont intéressés par sa coopération dans les domaines de la sécurité et du renseignement, et apprécient même la lutte que notre pays mène contre les grandes menaces régionales que sont l’Iran et le terrorisme islamiste. Leurs populations, en revanche, haïssent l’Etat juif.
Deux versants d’une même équation
La première partie de cette équation explique pourquoi le roi Abdallah II de Jordanie a laissé partir l’agent de sécurité de l’ambassade, en dépit de sa réaction d’autodéfense qui l’a mené, après qu’il ait été poignardé, à tuer son agresseur ainsi qu’une tierce personne de manière accidentelle.
La seconde partie de l’équation éclaire la réaction déchaînée de la population jordanienne à la libération du garde. Si elle peut s’expliquer partiellement par le fait que deux Jordaniens ont été
tués – dont l’un qui de toute évidence n’était pas impliqué –, il y avait dans cette colère bien plus qu’un désir de justice ou même de vengeance. Elle reflète l’hostilité profonde envers Israël de la part de nombreux Jordaniens. Preuve en est le vibrant hommage rendu par le parlement jordanien aux trois Arabes israéliens ayant assassiné deux policiers israéliens le 14 juillet. « Qu’Allah ait pitié de nos martyrs, qui ont semé et arrosé la terre pure. C’est grâce aux sacrifices des jeunes Palestiniens qui continuent à combattre au nom de la nation que nous relèverons la tête », a dit le président de l’assemblée pour les terroristes abattus. Preuve en est également, les manifestations de colère à Amman et dans d’autres villes du pays contre l’installation des détecteurs de métaux aux entrées du mont du Temple, au cri de « Qu’il est bon de tuer des soldats à Jérusalem ».
Le souverain a laissé l’agent de sécurité rentrer en Israël parce qu’il sait l’importance d’une bonne coopération entre les deux pays, aussi bien dans le domaine militaire que du renseignement ou des ressources en eau et en gaz. L’Etat juif joue ainsi un rôle crucial dans la survie du royaume hachémite, de même que les Etats-Unis et l’Arabie saoudite. Le roi le sait, mais le peuple moins, pour la bonne raison qu’Abdallah se garde bien de le crier sur les toits. S’il est vrai que la Jordanie a également une importance stratégique pour Israël en tant que zone tampon à sa frontière orientale, la relation des deux voisins n’est pas symétrique.
Entre le marteau et l’enclume
Abdallah II veut de cette relation avec Israël et a besoin qu’elle se poursuive. Dans le même temps, il est sensible à l’opinion de la rue. Face à son peuple en colère, il a dû jouer des muscles, ce qui explique son emportement contre Netanyahou en rentrant de l’étranger le 27 juillet. Cela explique aussi la menace jordanienne de ne pas autoriser la réouverture de l’ambassade israélienne tant que le garde ne sera pas passé en jugement.
Malgré ces considérations, le roi a fait de son mieux pour essayer de résoudre les deux crises. La question du garde a été résolue en 30 heures ; celle du mont du Temple a été plus épineuse, en grande partie parce que la Jordanie s’est évertuée à apaiser les tensions que d’autres – du Hamas à l’Autorité palestinienne, en passant par la branche nord du Mouvement islamique en Israël et le président turc Recep Tayyip Erdogan – s’évertuent à attiser. Le fait qu’Abdallah se soit tellement impliqué pour résoudre les deux crises témoigne de la solidité des liens d’Israël avec la Jordanie. Du moins avec le pouvoir, à défaut de sa population. Idem en ce qui concerne l’Egypte. Ces gouvernements sont conscients du caractère crucial de leurs relations avec l’Etat juif, mais ce sentiment ne passe pas auprès de l’opinion publique. Ici se situe l’ambivalence du statut d’Israël.
Un fait établi
Après pratiquement 70 ans d’existence, Israël a imposé sa présence dans la région. Cependant comme le signalait l’ancien président égyptien Hosni Moubarak dans une interview au magazine allemand Der Spiegel au milieu des années 1990, l’Etat hébreu n’est rien moins qu’« un couteau planté dans le cœur des nations de cette région ». Là se trouve la différence entre reconnaître Israël comme un fait établi – comme l’a fait Yasser Arafat dans une lettre envoyée à Yitzhak Rabin en 1993 – et le refus perpétuel de l’ancien chef de l’Autorité palestinienne de reconnaître Israël comme l’Etat-nation du peuple juif. Ce qui reviendrait, en effet, à reconnaître le droit de ce dernier à exister. Un fait établi est une chose que vous pouvez imaginer voir disparaître, mais un droit légitime est une chose dont vous devez vous accommoder.
Les gouvernements égyptien et jordanien sont parvenus à la conclusion qu’Israël était une donnée inamovible dans la région, et qu’il peut, de surcroît, leur être d’une aide précieuse. C’est pourquoi ils coopèrent. Les populations, en revanche, ont une autre approche, nourrie depuis des décennies par l’idée qu’Israël est un oppresseur, un usurpateur, un instrument de l’Occident colonialiste et un épisode passager dans l’histoire de la région. Un paradoxe qui a engendré une énorme anomalie dans les relations de l’ancien président égyptien Hosni Moubarak avec Israël.
D’un côté, le Rais a scrupuleusement respecté l’accord de paix, et de l’autre, il a laissé se développer une presse violemment anti-israélienne et même antisémite. Une contradiction certes, mais qui servait les intérêts de Moubarak : le pays profitait, d’un point de vue stratégique, de la paix avec Israël, tandis que le fait d’entretenir la haine contre lui offrait l’occasion à Moubarak de détourner l’attention du public de ses abus de pouvoir, et des véritables problèmes du pays ayant abouti aux événements de 2011, et à sa destitution.
L’ambiguïté permanente
Selon certaines sources, l’Arabie saoudite et Israël entretiennent actuellement une étroite coopération sécuritaire en raison des menaces communes représentées par l’Iran et le terrorisme djihadiste, qu’il soit d’obédience chiite ou sunnite. Les Saoudiens, cependant, ne peuvent reconnaître publiquement cette coopération. Au lieu de cela, ils retirent des rayons des supermarchés les fruits d’origine israélienne et bloquent l’accès aux sites Internet évoquant une certaine normalisation avec l’Etat juif. Cela se comprend très bien. Après avoir expliqué à leur population pendant 70 ans qu’Israël était l’incarnation du mal et un cauchemar passager pour le monde musulman, les dirigeants du royaume ne peuvent se réveiller un beau matin en annonçant : « Notre ennemi n’est finalement pas si terrible que ça. Signons un accord avec lui. »
Tout cela montre les limites de l’idée de Benjamin Netanyahou de transformer la coopération d’Israël avec des Etats sunnites, tels l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, le Bahreïn, le Koweït, la Jordanie et l’Egypte, en un partenariat régional facilitant l’aboutissement d’une paix avec les Palestiniens. Les masses arabes n’ont montré aucune propension à accepter une paix avec Israël, au moins tant que la question palestinienne n’est pas résolue. Et les gouvernants n’invoqueront jamais la légitimité d’Israël devant leurs citoyens, de crainte que ceux-ci ne remettent en cause leur propre légitimité.
Dans la situation actuelle, l’Etat juif coopère discrètement avec les régimes sunnites, ce qui est profitable aux deux parties, mais sans recevoir en retour ce dont il a besoin : le message qu’il n’est pas le diable.
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