La guerre souterraine

Les experts militaires sont engagés dans une course contre la montre pour venir à bout des tunnels terroristess

Nikiki Haley et Danny Danon examinent un tunnel du Hamas découvert  par Tsahal (photo credit: MATTY STERN/COURTESY OF U.S. EMBASSY TEL AVIV/VIA REUTERS)
Nikiki Haley et Danny Danon examinent un tunnel du Hamas découvert par Tsahal
(photo credit: MATTY STERN/COURTESY OF U.S. EMBASSY TEL AVIV/VIA REUTERS)
Daphné Richmond-Barak est une juriste spécialiste des conflits armés. A ce titre, elle ne partage pas l’optimisme de certains analystes qui estiment que l’armée israélienne est sur le point d’éliminer la menace des tunnels venant de Gaza. A ses yeux, les récents succès incontestables de Tsahal dans la détection et la destruction de souterrains montrent seulement qu’Israël a enfin commencé à agir, mais qu’on est encore loin de la résolution du problème.
Le porte-parole de Tsahal a notamment annoncé le 14 janvier que l’armée de l’air avait effectué la veille une frappe détruisant un tunnel terroriste de près d’un kilomètre de long, qui atteignait le territoire israélien sous le passage de Kerem Shalom par lequel transitent des convois de marchandises à destination de l’enclave palestinienne. C’est le quatrième souterrain d’attaque qu’Israël détruit sur son territoire depuis octobre dernier.
Retard rattrapé
Professeur de droit de la guerre au Centre interdisciplinaire d’Herzliya, Daphné Richmond-Barak vient de publier Underground Warfare (Guerre souterraine) aux Presses universitaires d’Oxford : dans cet ouvrage, elle décrit en détail les utilisations tactiques et stratégiques des tunnels dans les conflits modernes, ainsi que leurs aspects juridiques.
Tous les experts s’accordent à considérer que durant l’opération Bordure protectrice de l’été 2014, le Hamas avait exploité à différentes reprises l’impréparation de Tsahal face à cette menace. La question est de savoir si les succès de ces dernières semaines combinés à la construction d’une muraille souterraine et terrestre le long de la frontière avec la bande de Gaza – dont l’achèvement est prévu en 2019 pour un coût de 4 milliards de shekels –, permettent d’affirmer que l’armée a presque rattrapé son retard, ou bien si nous ne sommes qu’au commencement d’un jeu d’échecs souterrain.
L’ouvrage montre l’évolution de la guerre souterraine au cours de l’histoire, et la manière dont les armées ont modifié en conséquence leurs tactiques. Depuis Ezéchias, le roi de Juda, jusqu’au Hamas à Gaza et l’Etat islamique en Syrie et en Irak, en passant par les Grecs de l’Antiquité, la guerre de Sécession aux Etats-Unis, la Première Guerre mondiale et celle du Vietnam, des tunnels ont été utilisés aussi bien à des fins défensives qu’offensives. L’auteure donne différents exemples dont celui de l’armée britannique, parvenue en 1917 à surprendre et à tuer 10 000 soldats allemands au moyen d’un souterrain.
L’ancien chef d’état-major israélien Benny Gantz a jadis mis en garde contre l’éventualité de Palestiniens qui arriveraient à placer des explosifs sous un jardin d’enfants d’une localité israélienne située à proximité de la frontière avec la bande de Gaza. Ce scénario catastrophe ne peut malheureusement toujours pas être écarté.
Abondance de solutions et réponses partielles
Avant de débattre sur la question de savoir si Tsahal a éliminé la menace des tunnels ou a seulement commencé à établir une stratégie de défense, il faut expliquer le bien-fondé des méthodes actuellement utilisées. L’armée israélienne a mis des années à trouver des solutions après les échecs de 2014 en ce qui concerne les souterrains. Daphné Richmond-Barak estime que le « délai est peut-être dû à l’abondance d’options possibles. De nombreuses personnes se sont présentées avec “la” solution, et il se peut que l’on n’ait pas saisi tout de suite qu’aucune d’entre elles n’était en mesure de résoudre à elle seule le problème, dans toute sa complexité. Avant d’examiner toutes ces possibilités, il importe d’abord de comprendre dans lesquelles il convient d’investir, surtout lorsque vous risquez d’être confronté demain à de nouveaux défis », écrit l’experte.
Tsahal n’a rendu publiques qu’une petite fraction des méthodes utilisées dans la lutte contre les tunnels ; elle a publié entre autres des reportages mettant en scène différents types de robots ou des chiens dressés spécialement pour pénétrer dans des souterrains une fois ceux-ci découverts. L’armée a également annoncé la construction d’une muraille de 6 mètres de haut et de plusieurs dizaines de mètres de profondeur le long de la frontière avec Gaza, ainsi qu’un système utilisant des capteurs sophistiqués, des aérostats et d’autres instruments destinés à localiser des souterrains. Il existe cependant des tactiques capables de tromper tout type de capteur, et le Hamas a, par le passé, déjà réussi à creuser un tunnel en direction de l’Egypte malgré une muraille, certes moins profonde. En dépit de leur sophistication, la barrière israélienne et les systèmes de détection ne sont pas infaillibles.
Le Jerusalem Post a demandé à l’ancien chef du Conseil de sécurité nationale, le général Yaakov Amidror, si le Hamas était en mesure de creuser plus profondément que ses tunnels actuels, dont la plupart se situent à environ 30 mètres sous le niveau du sol. Cet expert considère que cela est difficile étant donné que le territoire de Gaza est proche de la mer et qu’à une certaine profondeur les hommes se retrouveraient dans l’eau. Il estime également que malgré tous les progrès réalisés par Tsahal pour contrer la menace, le Hamas s’adaptera à la nouvelle situation et qu’Israël devra continuer à innover et adapter sa stratégie.
Daphné Richmond-Barak dresse une liste impressionnante d’options qui ont été utilisées ou étudiées par tel ou tel pays afin de détecter, surveiller et détruire des tunnels ennemis. Selon elle, l’Etat juif n’aura pas donc besoin d’investir d’énormes ressources pour cet effort de recherche. Chacune des technologies ne fournit qu’une réponse partielle au défi, qu’il s’agisse de magnétomètres, de l’induction électromagnétique, de la résistivité électrique, de l’imagerie thermique, ou des senseurs de gravité. La plupart de ces méthodes sont soit susceptibles de donner des résultats erronés, soit ne conviennent pas au sol israélien ou doivent être assorties de moyens complémentaires.
Les radars à pénétration de sol
La spécialiste ne recommande pas d’option spécifique. Elle pense au contraire qu’il convient d’utiliser un éventail de technologies et de méthodes. D’autant que les différences de terrains au sud et au nord d’Israël requièrent des tactiques totalement différentes face aux menaces provenant du Hamas et du Hezbollah.
Pour la détection et la cartographie des tunnels après que certains tronçons aient été découverts, elle préconise les radars à pénétration de sol (RPS) et l’imagerie satellite. Dans le cas du Hamas, ces technologies devront être accompagnées de zones tampon et de barrières souterraines afin de limiter les risques d’infiltration en territoire israélien. Sur ce front, Daphné Richmond-Barak estime la technologie des RPS prometteuse. « Je pense que Tsahal l’utilise peut-être pour trouver d’autres tunnels. »
Ces radars « détectent des espaces creux dans le sous-sol », espaces qui sont ensuite inspectés par des soldats, des robots ou des animaux afin de déterminer s’il s’agit bien de tunnels. En 2006, Dan Blumenthal, de l’université Ben-Gourion du Néguev, avait utilisé ce type de méthode pour chercher des cavités susceptibles de contenir des nappes d’eau dans le sol désertique. Mais les radars à pénétration de sol ont leurs limites. Leur efficacité peut se trouver réduite à partir d’une certaine profondeur, en raison de sols de natures différentes, de résultats erronés dus à des réservoirs d’eau, ou parce que leur utilisation sans avoir délimité préalablement la surface à étudier « revient à chercher une aiguille dans une botte de foin ». De plus, cette technologie n’est pas adaptée aux types de terrain sur le front nord, souligne Daphné Richmond-Barak.
Une autre méthode de détection est l’imagerie satellite. « Si vous possédez des photographies montrant l’aspect d’une zone à une certaine date, et que tout d’un coup vous constatez une légère modification de la hauteur d’une surface ou une colline, cela peut soulever des questions », explique l’experte.
Il est crucial de former correctement des soldats capables de noter le moindre changement et d’enseigner aux troupes sur le terrain ce qu’il faut explorer. Le livre mentionne à titre d’exemple neuf signes que les détecteurs de tunnels américains devaient rechercher au Vietnam. L’intelligence humaine est ainsi primordiale pour réduire la zone de recherche.
Toutes ces tactiques doivent être adaptées si l’on souhaite les appliquer au contexte urbain plus bruyant et dynamique des villes de la bande de Gaza, par opposition aux régions frontalières non habitées.
Comment détruire les tunnels
Lors de l’opération Bordure protectrice de 2014, Tsahal a réalisé que les frappes aériennes n’avaient qu’une efficacité limitée dans la destruction de tunnels. De plus, elles empêchaient de recueillir des renseignements sur leur construction.
Des Etats totalitaires ont parfois utilisé des gaz toxiques, des lance-flammes ou des inondations pour détruire des tunnels, mais une armée respectueuse de la loi internationale comme Tsahal, ne peut pas utiliser ces techniques, qui entameraient sa légitimité, indique Daphné Richmond-Barak.
Des armes thermobariques, comme de puissantes bombes guidées par un laser avec une mèche à retardement qui allume des particules à une haute température sur un certain temps, ont été utilisées par les Etats-Unis dans la lutte contre les forces d’Oussama ben Laden au Pakistan et en Afghanistan. Mais elles sont moins efficaces sur le sol de Gaza, et leur force destructive écarte leur utilisation dans le contexte urbain de l’enclave palestinienne.
La Corée du Sud a utilisé des forages aléatoires contre les tunnels de la Corée du Nord et nous savons qu’Israël creuse profondément le sol afin d’installer sa barrière souterraine. Mais les forages aléatoires prennent trop de temps et exigent trop de ressources pour être une stratégie à long terme, indique la spécialiste.
Il semble que l’armée israélienne s’appuie sur des explosifs liquides, d’autres explosifs contrôlés, et sur du ciment, lequel requiert de hauts niveaux d’expertise pour être manipulé rapidement avant qu’il ne durcisse. Ces méthodes peuvent être efficaces une fois que les tunnels sont détectés, et réduisent le risque de mettre en danger les soldats qui se trouvent à proximité. Enfumer les tunnels est également une option bon marché évoquée par l’experte.
Même doté d’un tel éventail de solutions, Tsahal n’en a pas terminé avec la menace des tunnels : « Nous avons certes fait des progrès en trois ans, mais ne nous leurrons pas : le camp adverse s’est aussi perfectionné. Les tunnels sont très versatiles, vous pouvez les utiliser pour différents usages. Pendant l’opération Bordure protectrice, le Hamas les a utilisés de façons différentes que par le passé », précise Daphné Richmond-Barak. Et d’ajouter que Tsahal devra en permanence s’adapter aux nouvelles tactiques du Hamas. « Parfois, même si nous savons où se situe un tunnel, nous ignorons ce qu’ils ont l’intention d’en faire. »
Inspiration à double sens
Daphné Richmond-Barak note que les terroristes de l’Etat islamique en Syrie et en Irak ont reconnu s’être inspirés des tactiques du Hamas pour construire et exploiter des souterrains. Mais, ajoute-t-elle, c’est maintenant « la scène syrienne qui risque de devenir une source d’inspiration du Hamas », notamment avec des tunnels explosifs et d’autres tactiques utilisées par Daesh.
En conclusion, Israël a rattrapé son retard par rapport aux tactiques de tunnels utilisées par le Hamas lors du conflit précédent. Mais il faut d’ores et déjà prévoir les tactiques que le Hamas et le Hezbollah risquent d’utiliser lors de prochaines guerres.
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