Le visage des victimes

Nadia Murad est une survivante du génocide yazidi. Elle a récemment témoigné de son expérience d'otage de l'Etat islamique

La députée Ksenia Svetlova reçoit à la Knesset Nadia Murad, survivante yazidie venue temoigner (photo credit: DR)
La députée Ksenia Svetlova reçoit à la Knesset Nadia Murad, survivante yazidie venue temoigner
(photo credit: DR)
Nul besoin de connaître le kurde pour déceler la profonde tristesse de Nadia Murad. En août 2014, des membres de l’Etat islamique ont pénétré dans son village de Kocho en Irak : ils ont assassiné sa mère et six de ses frères, puis ont capturé la jeune femme pour la vendre comme esclave sexuelle. Retenue en captivité pendant plusieurs mois, elle a finalement réussi à s’enfuir et à rejoindre un camp de réfugiés. Elle fait aujourd’hui partie du millier de Yazidis ayant reçu le statut de réfugié en Allemagne.
Un lien particulier
Armée d’un incroyable courage, Nadia parcourt aujourd’hui le globe pour raconter son histoire. Désignée l’année dernière comme ambassadrice de bonne volonté des Nations unies pour être la voix de son peuple, elle s’acharne depuis à expliquer au monde que les crimes de Daesh ne peuvent pas rester impunis. Grâce à l’organisation IsraAID – jugée par Nadia comme « plus efficace que la plupart des gouvernements –,  et au soutien de la députée Ksenia Svetlova, la jeune femme s’est rendue en Israël le 24 juillet pour s’exprimer à la Knesset. Une escale qui lui tenait particulièrement à cœur : lorsqu’elle s’exprime, Nadia établit en effet souvent un parallèle entre la tragédie vécue par les Yazidis, et les souffrances du peuple juif en Europe il y a 70 ans. « Nous pensons que notre histoire ressemble à celle vécue par les juifs lors de la Shoah », dit-elle. « Les juifs sont les mieux placés pour comprendre ce que nous vivons. Nous nous sommes rendus dans de nombreux pays pour solliciter de l’aide, mais il nous était particulièrement important de venir en Israël. »
Nadia a donc parcouru le pays dans l’espoir de sensibiliser l’opinion à sa cause. Son périple l’a notamment menée à Yad Vashem et à Beit Hatfoutsot, le musée du peuple juif de Tel-Aviv. Nadia affirme que la résilience juive suite à la Shoah constitue une source d’espoir et d’inspiration pour son peuple. La jeune femme espère apprendre d’Israël comment se reconstruire. « Avant que nous ne soyons nous-mêmes victimes d’un génocide, je connaissais très peu de chose sur l’Holocauste et je ne connaissais pas du tout la communauté juive. Jusqu’à ce que je m’aperçoive de son soutien à travers différentes campagnes. » Elle se souvient notamment d’une rencontre décisive en Australie avec une survivante de la Shoah. « C’est à travers elle que j’ai pris conscience de la résilience du peuple juif, et de la façon dont il a su se relever. La capacité des juifs à rester forts et à maintenir leur culture est un exemple », affirme la jeune femme.
Yotam Polizer, codirecteur général de IsraAID, confirme les propos de Nadia. Il raconte avoir travaillé dans des camps de réfugiés en Grèce, où les Yazidis lui disaient souvent que le premier pays où ils désiraient se rendre était Israël. Il a d’abord pensé qu’ils étaient attirés par un éventuel soutien financier, avant de prendre conscience qu’il s’agissait de bien autre chose : « Nous ne voulons pas de votre argent, nous voulons que vous nous guidiez », disaient ces Yazidis. Il est alors devenu naturel pour IsraAID de soutenir l’initiative de Nadia, et de la faire venir en Israël. « Nous ne sommes pas un organisme religieux, mais nous basons note action sur les valeurs juives, et nous sentons ce lien particulier qui unit la communauté yazidi avec le peuple juif », relate Yotam Polizer.
Après avoir passé les deux dernières années à donner des conférences, Nadia, tout comme beaucoup de ses camarades, aspire à rentrer chez elle, en Allemagne désormais. « Beaucoup de membres de mon peuple se trouvent toujours dans des camps de réfugiés. Nous gardons espoir, même si nous savons que toutes les demandes d’asile ne seront pas acceptées », dit-elle.
En toute impunité
Pour quelle raison aucun membre de l’Etat islamique n’a-t-il été poursuivi pour le génocide yazidi ? Le 16 juin 2014, les combattants de Daesh ont atteint Tal Afar dans le nord de l’Irak. La ville de 200 000 habitants était alors divisée selon des frontières sectaires entre musulmans chiites et sunnites, et beaucoup de ses résidents faisaient aussi partie de la minorité turkmène. Les sunnites ont accueilli Daesh avec des tirs de joie, tandis que les chiites ont fui pour sauver leur vie. Plusieurs milliers ont été tués. Si Navi Pillay, Haut Commissaire pour les droits de l’homme aux Nation unies, a déclaré que les exécutions systématiques s’apparentent à des crimes de guerre, force est de constater que presque rien n’a été fait pour protéger les Yazidis de la catastrophe qui s’est abattue sur eux quelques jours plus tard. « Depuis cette tragédie, nous n’avons plus été capables d’envisager l’avenir. Nous ne connaissons pas la situation sur place, et beaucoup de gens sont encore captifs », dit Nadia qui porte le deuil, après avoir appris il y a une semaine que sa nièce avait été tuée. « Ma belle-sœur et mon neveu ont été enlevés par l’EI, et il se peut que j’apprenne d’ici peu qu’ils ont été assassinés ou victimes des bombes », dit-elle.
Le 1er juin dernier, Nadia a pu retourner dans son ancien village, libéré depuis par les membres des unités de mobilisation populaire, une force paramilitaire à majorité chiite affiliée au gouvernement irakien. « Depuis trois ans, je ne rêvais que de retourner dans mon village », raconte la jeune femme. Mais elle n’y a trouvé que des ruines : la moitié des maisons étaient détruites, et les meubles brûlés ou volés. En marchant à travers les décombres, elle a dû faire attention aux explosifs et aux mines que les djihadistes laissent souvent derrière eux pour faire le plus de dégâts possibles.
Nadia explique que les centaines de milliers de Yazidis vivant dans des camps de personnes déplacées doivent maintenant prendre la décision de quitter l’Irak, ou de retourner dans leurs villages dévastés, hantés par les scènes de génocide et par la perte des êtres chers. En outre, les zones qu’ils habitaient autrefois sont maintenant contrôlées par trois groupes rivaux : les Peshmergas kurdes, le PKK et autres groupes affiliés, et le PMU chiite. En mars, des membres du PKK et des unités de résistance du Sinjar se sont affrontés à un groupe du Peshmerga Rojava déployé au nord des montagnes de Sinjar, et en avril, la Turquie a visé des positions kurdes à Sinjar. En mai, alors que le PMU libérait des villages yazidis des griffes de l’EI, quelques Yazidis ont rejoint les unités affiliées au PMU, tandis que des milliers d’autres se sont joints aux Peshmergas kurdes. L’insécurité règne donc toujours dans la région, rendant le retour de la population difficile. De plus, les luttes politiques en cours, telles que l’opposition du gouvernement irakien à un référendum pour l’indépendance kurde, pourraient mener à des conflits dans certaines régions comme Sinjar.
Toute cette confusion explique le peu d’intérêt à l’heure actuelle pour traduire les membres de l’EI devant la justice. « Il faut commencer par les 44 fosses communes qui contiennent exclusivement des victimes yazidies. Nous essayons de faire comprendre au monde qu’il y a une urgence à les faire enregistrer par des scientifiques avant qu’elles ne disparaissent », dit Nadia, en faisant remarquer que rien n’a été fait par la communauté internationale pour recueillir des preuves. « Nous nous sommes entretenus avec de nombreux pays concernant le fait de traduire l’EI en justice. En dépit des 6 000 Yazidis assassinés, et du nombre élevé de personnes réduites en esclavage et soumises à des violences atroces, pas un seul cas n’a encore été porté devant le TPI. » Hormis l’exécution par l’Irak, en août 2016, de 36 membres de l’EI pour leur rôle dans le massacre du camp de Speicher, aucune justice n’a été rendue pour les Yazidis. On estime qu’entre 2 500 et 3 200 personnes sont encore captives de l’EI. A Raqqa, de jeunes garçons yazidis ont subi un lavage de cerveau et s’entraînent désormais à la guerre dans les camps de l’EI. Récemment, des jeunes filles ayant fui lors de la bataille de Mossoul ont été tuées par les snipers de Daesh. « La communauté internationale ne doit pas lâcher prise. Il est temps que l’EI rende des comptes pour ses atrocités.
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