Pour al-Sissi, l'heure de vérité a sonné

L’Egypte vote pour renouveler son parlement. Objectif de l’actuel président : écarter les islamistes,et trouver le soutien nécessaire aux réformes

Elections législatives en Egypte (photo credit: REUTERS)
Elections législatives en Egypte
(photo credit: REUTERS)
L’Egypte est de nouveau appelée aux urnes. Comme toujours dans ce grand pays, le processus est long et compliqué. La première moitié des électeurs a ainsi voté les 18 et 19 octobre, alors que la seconde votera un mois plus tard, les 22 et 23 novembre. Les résultats définitifs ne seront donc connus que le 2 décembre. Des élections qui marquent la troisième et dernière phase de la feuille de route présentée par le président égyptien en 2013, avec à la clé, l’entrée en fonction d’un nouveau parlement.
Les islamistes mis à l’écart
Avec la formation du nouveau parlement, Abdel Fattah al-Sissi devra renoncer aux pouvoirs législatifs qu’il avait assumés avec la dissolution du précédent. D’où l’importance de l’enjeu pour l’actuel président, qui espère que les nouveaux élus soutiendront ses réformes. Pour cela, il lui faut prévenir l’élection de militants islamiques afin de voir émerger une majorité centriste. La priorité de Sissi est donc de s’assurer que le processus électoral se déroule correctement et de façon transparente, pour ne pas s’exposer à de nouvelles critiques de l’Occident, et surtout éviter que des groupes terroristes ou islamistes ne viennent entraver le bon déroulement du vote.
A cette fin, le président peut s’appuyer sur la constitution adoptée par référendum, qui stipule qu’un parti politique établi sur une base religieuse ne peut participer au scrutin. Le parti « Justice et liberté » des Frères musulmans – qui avait obtenu 47 % des voix en 2011 – a, quant à lui, été mis hors la loi. Notons cependant que la liste des adhérents du mouvement n’a jamais rendu publique ; il est donc possible que certains d’entre eux aient pu se présenter sous l’étiquette « indépendant. » Seul le parti « al-Nour », organe du mouvement salafiste – qui avait obtenu 25 % des voix en 2011 – a été autorisé à participer aux élections malgré sa nature religieuse, du fait de son soutien indéfectible au président.
Petits partis et candidats indépendants
70 partis sont en lice pour ces élections initialement prévues en mars 2015, mais repoussées par la Cour suprême suite à des failles dans la loi électorale. De l’avis de nombreux commentateurs, cependant, ce report était plutôt dû aux pressions du gouvernement, inquiet de voir qu’aucun bloc libéral homogène susceptible d’engendrer une majorité stable n’avait émergé. Il y a bien eu plusieurs tentatives d’alliances entre les petits partis au cours des derniers mois, mais elles n’ont pas duré, moins du fait de clivages idéologiques que de rivalités personnelles. Un petit nombre de ces alliances sont toujours dans la course, notamment « L’Egypte », « Pour l’amour de l’Egypte », « L’appel pour l’Egypte » et « L’Alliance indépendante ». Cette dernière aurait le soutien du régime, tandis que « Pour l’amour de l’Egypte » comprendrait de nombreux partisans du NPD, le parti du président Moubarak aujourd’hui interdit.
Cette situation, prévisible en raison de l’absence de formations politiques structurées, est sans doute à l’origine des dispositions de la loi électorale : selon celles-ci, 75 % des sièges – 448 sur un total de 596 – seront attribués à des candidats indépendants et seulement 120 aux partis, le parti obtenant le plus grand nombre de voix dans chaque circonscription y remportant tous les sièges. Les 28 sièges restants seront attribués à la discrétion du gouvernement ; selon la tradition, ils devraient aller à des Coptes, des femmes et autres minorités n’ayant pas réussi à être convenablement représentées.
Des obstacles majeurs
Deux obstacles majeurs vont décider du sort des élections : tout d’abord l’impact, sur le bon déroulement du vote, des tentatives de sabotage que le mouvement des Frères et d’autres organisations djihadistes ne vont pas manquer d’entreprendre, et enfin le taux d’abstention. Appelés aux urnes pour la huitième fois en quatre ans, les Egyptiens, constatant qu’aucun parti n’a de véritable programme et se demandant si leur voix peut compter, seront tentés, pour beaucoup, de rester chez eux. De fait, si la première partie du scrutin s’est déroulée sans incidents majeurs, 26 % seulement des électeurs se sont déplacés, conséquence du manque de confiance dans les partis politiques qui n’ont pas su se renouveler. De son côté, le parti salafiste n’a obtenu aucun siège, tandis que la liste « Pour l’amour de l’Egypte » est en tête dans la plupart des circonscriptions. Pour certains observateurs, le taux de participation peu élevé – qui risque de rendre le parlement moins représentatif – joue en faveur du président. Notons cependant qu’en vertu de la constitution, ce parlement disposera de pouvoirs inégalés jusqu’ici.
En résumé, le gouvernement fait reposer ses espoirs sur les indépendants, et soutient plus ou moins ouvertement les candidats susceptibles d’approuver les réformes du président. Une politique qui semble avoir réussi, et qui devrait faire de Sissi le grand vainqueur de ces élections. Autant dire que la démocratie parlementaire n’est pas encore à l’ordre du jour en Egypte. D’un autre côté, il ne faut pas oublier que ce dont le pays a le plus besoin aujourd’hui, c’est d’un régime présidentiel stable, capable d’affronter les problèmes existentiels qui se posent à lui – de l’insurrection islamique au Sinaï et les attaques terroristes sporadiques à travers tout le territoire, jusqu’aux défis économiques qui détermineront l’avenir de la seule démocratie arabe. Reste à savoir si l’Occident est prêt à admettre une telle réalité.
© Jerusalem Post Edition Française – Reproduction interdite