Avi Gabbay, cet inconnu

Qui est le nouveau leader du parti travailliste ?

Avi Gabbay, le nouveau leader du parti travailliste (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
Avi Gabbay, le nouveau leader du parti travailliste
(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
En décrochant le poste de leader du parti travailliste, Avi Gabbay a créé la surprise. Son élection à l’issue des primaires du 10 juillet dernier, marque l’une des victoires politiques les plus remarquables de l’histoire du pays. Rares étaient ceux, en effet, qui pariaient sur sa présence au dernier tour de scrutin, et plus rares encore, ceux qui envisageaient son élection, avec 52 % des voix face à l’ancien leader du parti Amir Peretz. Pour l’intéressé, il s’agit de « la victoire de l’espoir ». « Aujourd’hui », a-t-il déclaré le soir du scrutin, « débute notre campagne en vue de remplacer le gouvernement actuel. »
L’outsider
Avi Gabbay qui, il y a sept mois, n’était encore qu’un ministre peu connu issu du parti centriste Koulanou de Moshé Kahlon, l’a emporté malgré le soutien apporté à son adversaire par le leadership du parti travailliste et le patron de la Histadrout, Avi Nissenkorn. Et surtout malgré son inexpérience, en dépit d’un bref passage à la tête du ministère de l’Environnement. Gabbay n’a rejoint le parti Avoda que depuis six mois, après avoir démissionné du gouvernement de Benjamin Netanyahou pour protester contre le limogeage du ministre de la Défense Moshé Yaalon et son remplacement par Avigdor Liberman. Il avait alors indiqué qu’il refusait de siéger au sein d’un gouvernement à l’origine de tant de divisions, faisant référence à l’affaire Elor Azaria qui avait fini de consommer la rupture entre Netanyahou et Yaalon.
Balayant les accusations de manœuvre politique dans sa démission, Gabbay assure qu’il aurait été heureux de poursuivre son travail de ministre de l’Environnement. A ce poste, il s’est notamment distingué en étant le seul membre du gouvernement à s’opposer au plan de Netanyahou concernant le gaz. Très préoccupé par la pollution de l’air, le nouveau leader travailliste avait tapé du poing sur la table pour protester contre les prix élevés du gaz amenant la compagnie d’électricité et le secteur industriel à lui préférer le charbon. Pourtant, dit-il, le gaz naturel est la seule alternative pour remédier au problème de la pollution. « C’est très simple », affirme-t-il,  « le gouvernement a choisi de privilégier les propriétaires des champs gaziers au détriment des citoyens. »
Loin d’être un orateur charismatique, Avi Gabbay a réussi en misant sur un profond désir de changement, bénéficiant ainsi d’une version israélienne des votes de protestation qu’ont été le Brexit au Royaume-Uni, et les élections de Donald Trump aux Etats-Unis et d’Emmanuel Macron en France. Gabbay, 50 ans, est le parfait exemple du self-made-man israélien. Fils d’immigrants marocains, septième de huit enfants, il a grandi dans le quartier de Baka, à Jérusalem. Cet ancien officier des renseignements a fait des études d’économie et de gestion des affaires, puis suivi les traces de son père en faisant carrière chez Bezeq, la société de télécommunications, dont il est devenu PDG en 2007 avant d’entrer en politique. Installé à Tel-Aviv et marié à une professeure de lycée originaire d’Australie, il est père de trois garçons.
Un nouveau souffle
Son élection a le mérite d’injecter un souffle nouveau à un parti travailliste que beaucoup donnaient déjà pour mort dans le paysage politique israélien. Les deux premiers sondages publiés à la suite des primaires indiquent une progression impressionnante du Camp sioniste, mené par les travaillistes. Celui-ci est même passé devant Yesh Atid, le parti de Yaïr Lapid, établi aux yeux de tous comme le premier parti d’opposition au gouvernement de Benjamin Netanyahou.
Si l’on en croit les pronostics de la chaîne de télévision Aroutz 2, le Camp sioniste décrocherait 20 sièges à la Knesset si des élections se tenaient aujourd’hui ; Aroutz 10, elle, lui en prédit 24, quand Yesh Atid récolterait entre 16 et 18 sièges. Moshé Kahlon est l’autre grand perdant des derniers sondages. Son parti Koulanou, qu’Avi Gabbay a aidé à créer, perdrait entre deux et quatre députés.
« Les choses bougent », commente Avi Gabbay. « Les déçus du Camp sioniste qui, jusque récemment, disaient vouloir voter Yesh Atid ont fait machine arrière. Notre objectif, c’est 30 sièges à la Knesset. J’ai l’intention de sillonner le pays pour rencontrer les gens et leur présenter nos projets et notre programme. »
Quel est donc, justement, le programme du nouveau leader ? Difficile de bien cerner politiquement cet homme encore méconnu du public qui ne se définit ni de gauche ni de droite. « Je réfute ces notions qui sont pour moi trop restrictives. Je suis sans concessions sur le dossier de la sécurité, mais en même temps, je plaide pour une solution politique avec les Palestiniens. Comment donc me définir ? De droite, de gauche, du centre ?, dit celui qui espère bien draguer également les électeurs du Likoud, clé, selon lui, d’une prochaine victoire électorale travailliste. « Nous devons modifier notre discours et notre approche, pour rendre notre parti plus accessible », ajoute-t-il.
Interrogé sur les valeurs travaillistes auxquelles il s’identifie, il répond : la sécurité, la solution à deux Etats, la préservation des grands blocs d’implantations et une Jérusalem unifiée. Autant d’engagements qui rappellent le fameux discours de Bar-Ilan prononcé par Netanyahou en 2009. « Ce discours était excellent », dit Gabbay. « Le problème est d’en venir aux actes. » A l’en croire, le principal handicap du pays à l’heure actuelle réside dans un manque de management. S’il admet que le Premier ministre est « talentueux sur le plan politique », il regrette qu’il n’utilise pas ses compétences pour donner une direction au pays.
Dès son discours d’investiture, Gabbay a titillé la droite en déclarant que le gouvernement ne devait pas se préoccuper uniquement des habitants des territoires : « Il faut aussi se soucier de Dimona, pas seulement d’Amona », a-t-il dit, faisant référence à l’avant-poste de Judée-Samarie. Sachant qu’il ne possède aucune expérience en matière sécuritaire, on peut gager qu’Avi Gabbay se focalisera sur les questions sociales. « Le problème aujourd’hui, c’est que les gens ont peur : ils ont peur, parce que le coût de la vie est trop élevé et les appartements trop chers. Le gouvernement n’a pas su remédier à ces difficultés. Le système d’aide sociale n’est pas loin de s’effondrer », a-t-il estimé dans une interview au quotidien Israël Hayom.
Un homme de convictions
Sur l’identité juive, les positions du leader travailliste ne sont pas moins claires : « Cette notion signifie que nous vivons sur cette terre parce que nous sommes juifs et pas parce que nous sommes israéliens. Cela implique de respecter certains symboles. Je récite le kidouch chaque vendredi soir parce que je suis juif, cela fait partie de notre tradition. Le problème, aujourd’hui, est que la religion est devenue « technique ». Elle est l’émanation d’un processus moins intime qu’auparavant. Au Maroc, par exemple, il était impossible de demander à un juif s’il était religieux ou non, il n’aurait même pas compris le sens de cette question. Les notions de religieux et séculaire n’existaient pas », affirme Gabbay. « Le sionisme moderne consiste à s’assurer que notre Etat fonctionne pour le mieux et qu’il soit le foyer de tous les juifs du monde. Je souhaite que les juifs de Diaspora aient envie de venir vivre ici pas seulement par sionisme, mais aussi parce qu’ils considèrent que notre pays possède les valeurs les plus justes, une économie performante et un coût de la vie raisonnable. »
L’une de ses premières initiatives en tant que dirigeant travailliste a été de se joindre à la manifestation hebdomadaire que des militants anti-corruption organisent à Petah Tikva devant le domicile du procureur général Avihaï Mandelblit. Là, il a appelé les dirigeants des formations membres de la coalition à dissoudre le gouvernement, en réponse aux nombreuses enquêtes visant Benjamin Netanyahou et ses proches. « Les faits, on les voit et ils sont clairs : le Premier ministre a reçu des centaines de milliers de shekels de cadeaux. C’est une vérité que personne ne conteste. Son cousin s’est occupé des sous-marins (achetés à l’Allemagne pour la marine israélienne), tandis que lui-même était en train de mener les négociations de la coalition. Ces deux réalités devraient suffire à initier une décision morale. Responsables des partis de la coalition, je vous le dis ici : prenez la décision de dissoudre ce gouvernement ! », a-t-il clamé devant les manifestants.
Dans son premier discours de président du parti devant les députés du Camp sioniste, Avi Gabbay a de nouveau évoqué les soupçons de corruption qui pèsent sur le chef du gouvernement, reprenant les paroles prononcées par Netanyahou lui-même à propos de l’ancien Premier ministre Ehoud Olmert, lorsque celui-ci faisait l’objet de l’enquête pour corruption qui l’a mené derrière les barreaux. « Comment voulez-vous qu’un Premier ministre plongé jusqu’au cou dans des enquêtes le visant, soit à même de prendre des décisions cruciales pour le pays ? », s’est-il exclamé, appelant Netanyahou à être cohérent et à démanteler son gouvernement.
Avi Gabbay n’étant pas député, c’est Yitzhak Herzog, l’ex-dirigeant du parti, battu au premier tour des primaires, qui a pris la tête de l’opposition à la Knesset. Selon toute probabilité, le parti travailliste restera ancré dans l’opposition ; il est peu probable que Gabbay entame des négociations pour faire entrer le Camp sioniste dans la coalition, comme l’a fait son prédécesseur, Yitzhak Herzog.
Selon Yaïr Lapid, Avi Gabbay n’a ni l’expérience ni les connaissances requises pour diriger le pays. Ce à quoi l’intéressé rétorque que la participation du leader de Yesh Atid comme membre du cabinet de sécurité durant la dernière guerre à Gaza n’est pas une chose dont il peut se vanter.
La méthode Gabbay
Après l’élection de leur nouveau dirigeant, les grandes figures travaillistes ont été promptes à proclamer l’unité retrouvée du parti et à manifester leur entier soutien à leur leader. Ehoud Barak, dernier leader de Avoda en date à avoir occupé le poste de Premier ministre, s’est montré le plus enthousiaste, parlant de « révolution parmi les travaillistes » et affirmant le soir du scrutin : « Netanyahou et ses alliés vont beaucoup transpirer cette nuit, et pour une bonne raison ». Toutefois, le parti travailliste a la réputation de dévorer ses dirigeants et cette lune de miel risque de ne pas durer, surtout si l’emballement des sondages se révèle passager.
Sur le front diplomatique, Gabbay indique qu’il compte déterminer une bonne fois pour toutes si le chef de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas est un partenaire pour Israël. « J’espère que la réponse sera oui, parce que, pour le moment, il est le seul avec qui nous pouvons discuter. Quoi qu’il en soit, je ferai tout mon possible pour faire avancer le processus diplomatique et promouvoir la solution à deux Etats. » Selon lui, la condition préalable aux négociations est de créer un climat de confiance en faisant preuve de souplesse sur des problèmes concernant par exemple certains checkpoints, tandis que les Palestiniens de leur côté retireraient certains livres haineux de leurs programmes scolaires, ou arrêteraient une chaîne de télévision problématique. Puis en venir aux questions de plus grande envergure. « Il est regrettable que l’on ne procède pas comme cela actuellement… », dit Gabbay. Et d’ajouter que le Rav Ovadia Yossef avait indiqué qu’il n’était pas nécessaire pour le peuple juif de vivre sur toute la terre d’Israël. « Le Rav Ovadia n’est pas moins religieux que les députés de HaBayit HaYehoudi, que je sache ! », ponctue le leader travailliste.
Les nouveaux venus en politique se sont généralement bien débrouillés par le passé, seulement il s’agissait, pour la plupart, de « gens de la maison », qui arrivaient là au terme d’une brillante carrière militaire. Or, Avi Gabbay était encore inconnu il y a quelques mois et n’a jamais siégé à la Knesset.
Le soir de la victoire, ses supporters, jeunes pour beaucoup, n’ont cessé de mentionner le nom d’Emmanuel Macron, considéré comme un modèle. Aujourd’hui, le parti travailliste jouit d’une nouvelle vitalité, mais pour son dirigeant, le travail ne fait que commencer. Son credo : rendre l’Etat aux citoyens. « Toutes les actions gouvernementales sont dirigées vers le bien des politiciens et pas celui des Israéliens. Il est temps de changer les choses », conclut Avi Gabbay.
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