Du sang sur les mains

Les médias sociaux au service des auteurs d’attentats

Les enfants endeuillés du rabbin Mickael Mark (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
Les enfants endeuillés du rabbin Mickael Mark
(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
Les mots tuent. Nous n’avons plus aucun doute là-dessus. Aujourd’hui, la réalité virtuelle du cyber espace, dans laquelle les mots et les images se répandent à la vitesse de la lumière, laisse une empreinte à la fois intangible et tragique sur les sociétés démocratiques, des Etats-Unis à Israël, en passant par l’Europe. La révolution de l’information a certes apporté de formidables bénéfices, mais elle a aussi fourni de nouveaux outils à ceux qui propagent la haine et la violence. Dans une ère de développement technologique effréné, nous devons nous assurer que nos systèmes légaux et nos cadres de réglementation suivent le rythme. Faute de quoi le cyber espace deviendra sous peu un véritable Far West.
En tant que citoyens de démocraties, nous sommes profondément attachés aux libertés élémentaires. Le droit fondamental à la libre expression est ainsi consacré par la loi. Néanmoins, ce dernier n’implique pas de se montrer complaisants face aux menaces mortelles qui exploitent délibérément notre tolérance. Les derniers mois ont vu des attaques terroristes incessantes ensanglanter presque tous les continents. Lâchés dans la cyber sphère, les jeunes sont exposés aux discours de haine, au racisme et à l’incitation à la violence : partant de là, ils constituent des proies faciles pour les organisations terroristes, passées maîtres dans le recrutement et la radicalisation.
Notre réticence à restreindre le champ des conversations légitimes sur le Net se paie aujourd’hui par des effusions de sang. En décembre 2015, le directeur du FBI James Comey a lui-même admis, devant la commission judiciaire du Sénat américain, l’influence déterminante des réseaux sociaux dans la propagande terroriste. L’incitation grandissante sur le web a donc amené de hauts responsables américains à rencontrer les dirigeants d’Apple, Facebook, Twitter et d’autres, afin de discuter de la manière de remédier à ces abus. L’Europe, marquée par les terribles attaques de Paris et Bruxelles, n’est pas moins consciente de l’ampleur de cette menace. L’été dernier, Europol, l’organisme chargé du renforcement des lois au sein de l’Union européenne, a lancé l’unité d’orientation Internet destinée à « combattre la propagande terroriste et les activités relatives impliquant de la violence sur Internet ». Une initiative qui a notamment mené à l’identification de 50 000 comptes Twitter liés à l’Etat islamique. Fait peu surprenant, l’unité a annoncé il y a peu qu’elle allait doubler ses effectifs.
Le 30 juin, Hallel Yaffa Ariel, une jeune fille de 13 ans, a été poignardée dans son lit à son domicile de Kiryat Arba. L’assaillant, un Palestinien de 17 ans, s’était largement répandu sur Facebook juste avant de commettre cet assassinat, affirmant sa volonté de tuer des juifs et de mourir « en martyr ». Le 17 janvier, Dafna Meir, une infirmière de 38 ans mère de six enfants, a été assassinée chez elle devant ces derniers. Son meurtrier, un Palestinien de 15 ans, a expliqué aux policiers avoir été inspiré par la propagande anti-israélienne diffusée en continu par la télévision et la radio arabes ainsi que sur les réseaux sociaux.
Le jeune âge des terroristes qui sévissent depuis septembre dernier en Israël – 80 % d’entre eux ayant moins de 25 ans – renforce encore l’idée que les réseaux sociaux jouent un rôle crucial dans la récente vague d’attentats. Les exemples abondent. Quelques heures avant de poignarder un civil israélien en novembre dernier, Mahdi Akas a posté des photos d’un terroriste en armes sur son profil Facebook, se qualifiant lui-même de « martyr en attente ». Osama Abou Ras, qui a poignardé un Israélien à une station essence le 27 janvier dernier, avait lui aussi signalé ses intentions sur Facebook un mois plus tôt, écrivant qu’il désirait ardemment « sacrifier sa vie » en perpétrant une telle attaque.
Le besoin d’un effort international dans le but d’assainir la cyber sphère est urgent. Un cadre de coopération entre gouvernements se doit d’être instauré afin de mener une lutte efficace contre la haine propagée sur Internet, en mettant en place, si besoin, une législation commune qui contraigne les acteurs du web et les médias sociaux à bloquer les contenus encourageant la violence. Les dirigeants de ces sociétés doivent par ailleurs s’engager à élever les standards de comportements acceptables sur leurs plateformes, afin de couper court à la prolifération des idéologies extrémistes et au terrorisme. En ma qualité de ministre de la Sécurité publique, je me suis personnellement engagé à veiller à la bonne marche de ce processus.
Facebook, Twitter, YouTube et les autres outils de la connectivité globale ne doivent pas simplement veiller à se développer et à faire du profit. Les mêmes algorithmes permettant à ces médias de diffuser des contenus publicitaires adaptés aux goûts de leurs utilisateurs – et qui permettent à Facebook de réduire les ventes d’armes illégales via ses portails – doivent être utilisés pour bannir les terroristes et leurs sympathisants.
Ce défi, qui éprouve nos valeurs libérales et notre mode de vie est appelé à s’amplifier dans les années à venir. Et nous pourrions payer très cher notre trop grande négligence.
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