Etat d'alerte dans la Ville sainte

En première ligne avec les unités de la police des frontières et celles de Yassam, qui gardent les rues de Jérusalem

Policiers dans la Vieille ville (photo credit: SETH J. FRANTZMAN)
Policiers dans la Vieille ville
(photo credit: SETH J. FRANTZMAN)
Les premières sirènes retentissent à partir d’un 4× 4 de la police des frontières. Viennent ensuite deux voitures des forces de l’ordre. Deux motos de l’unité spéciale antiémeute Yassam les suivent, ainsi que des ambulances et des véhicules de police banalisés. Ils font route à toute allure en direction de l’arrêt du tramway de la Porte de Damas. Un attentat vient d’avoir lieu à proximité de la Colline des Munitions. Quelques Harédim se rassemblent pour observer dans la direction de la large route, à proximité de la scène de l’attaque, tandis que la police bloque la circulation. Les Hiérosolomytains attendent à la station et observent la procession, paralysés par les événements. Il est 14 heures et c’est le second attentat de la journée.
Depuis plusieurs jours déjà, Jérusalem est en état de siège. La sécurité a été renforcée dans toute la capitale, en particulier dans la Vieille Ville et les quartiers adjacents. D’après le porte-parole de la police, Micky Rosenfeld, plus de 3 500 agents de la sécurité y sont déployés : police des frontières, police régulière, unités spéciales et Yassam. « Il y a des agents de police tous les 50 ou 100 mètres, y compris la police des frontières et des unités spéciales formées à réagir dans un délai très court », explique-t-il. Rosenfeld, qui a servi dans l’unité antiterroriste d’élite Yamam de 1995 à 2005, à l’apogée de la seconde Intifada, affirme que le déploiement actuel est le plus grand qu’il ait connu, depuis qu’il a pris ses fonctions il y a huit ans.
Lorsque j’arrive au commissariat de police Kishle de la Vieille Ville pour le rencontrer, la tension est plus que palpable. En chemin, à la station de tramway, la police arrête des Arabes et contrôle leurs papiers. Il y a peu de touristes à la porte de Jaffa, généralement animée. Je ne vois nulle part cette femme avec une harpe qui chante habituellement dans la rue, en échange de petite monnaie. Un guide touristique s’épanche sur la beauté des murailles de la Vieille Ville : il n’a trouvé que deux touristes pour l’écouter.
Sous haute surveillance
Un réseau de 320 caméras de télévision en circuit fermé, installé en 2000, surveille la Vieille Ville. Rosenfeld assure que la police va prochainement en fixer 60 supplémentaires. Le centre de commandement se trouve au poste de Kishle, à deux pas de la rue de Jaffa, à proximité de la Tour de David. De l’intérieur, cela ressemble à un mélange entre un studio de télévision et le pont d’Enterprise de Star Trek : 30 écrans géants organisés en demi-cercle, et de nombreuses personnes à l’écoute devant des ordinateurs. « C’est important pour ceux qui sont sur le terrain, dans les ruelles étroites et la zone du marché », explique Rosenfeld. « Les agents aux commandes peuvent les prévenir de la présence d’un individu suspect et décrire la manière dont il ou elle est vêtu(e). »
Observant la rangée d’écrans, une femme officier effectue un zoom sur deux jeunes gens âgés d’une vingtaine d’années portant t-shirts noirs et jeans délavés. Elle veut voir ce qu’ils ont dans les poches. Deux autres caméras indiquent qu’il y a du remue-ménage dans la rue Hagaï, le site de l’attaque du 3 octobre dernier, qui a coûté la vie à Aharon Benita et au rav Nehamia Lavi. La ministre de la Culture et des Sports, Miri Reguev, est en visite dans la Vieille Ville. Un détachement sécuritaire du Shin Bet et des officiers de Yassam se déplacent avec elle ; une quinzaine de personnes autour retiennent la foule. Et le système de télésurveillance observe le tout, pour assurer sa sécurité.
Menaces constantes
Nous nous déplaçons vers la Porte des Lions, une entrée étroite vers la Vieille Ville, très fréquentée. C’est un centre de tourisme chrétien et une voie d’accès principale pour les musulmans qui se rendent sur le mont du Temple, à partir d’une porte située juste à l’intérieur des murailles.
Ici aussi, nous visitons un commissariat de police :
une dizaine d’officiers de Yassam, dans leurs uniformes gris et bleu foncé, sont déployés à l’extérieur. Ils sont en tenue de combat. L’un d’eux tient un imposant pistolet à gaz lacrymogène. Ses collègues sont équipés de M16 ou de revolvers et de casques. Tout est calme, mais deux heures plus tôt, un homme est sorti du cimetière musulman de la rue en face ; il avait l’air suspect et on lui a demandé de s’arrêter. « Il a alors tenté de poignarder un policier, mais heureusement, le couteau n’a pas traversé le gilet pare-balles », raconte Rosenfeld. « Les officiers ont réagi par des tirs. L’assaillant a été tué. »
« Ceux qui nous accusent d’usage excessif de la violence se trompent sur toute la ligne », confie un policier Yassam. « En tant qu’agent de police, quand je suis attaqué, je ne vais pas m’amuser à faire une prise de ninja à mon assaillant pour faire plaisir aux belles âmes. Je vais neutraliser le terroriste. » Mais finalement, le fait d’être décrits comme des brutes sert notre cause, explique-t-il. « Si ceux qui sont en face de nous nous craignent, 90 % du travail est fait. »
Non loin du poste de police, Yaron Levy, commandant d’une unité de Yassam, s’entretient avec quelques-uns de ses hommes. A l’origine, Levy dirigeait l’unité Yoav, déployée dans le Néguev et le sud du pays, mais il y a un peu plus d’un an, il a été muté à Jérusalem, pour renforcer la sécurité de la ville. « Ici, les agents de police font face à des menaces constantes », confie-il. « Ils sont devenus la cible principale de nombreuses attaques aux couteaux. »
A partir de la Porte des Lions, nous conduisons vers l’est, en direction du mont des Oliviers. Le cimetière juif se dresse devant nous, alors que nous approchons de Ras al-Amoud, un quartier arabe qui surplombe la Vieille Ville. Il y a plusieurs semaines, dans ce quartier, un chauffeur de bus a pris un mauvais tournant et son véhicule a été la cible de cocktails Molotov. La communauté juive qui vit ici se plaint d’attaques de bombes incendiaires et de jets de pierre presque quotidiens. « C’est calme maintenant », dit Rosenfeld, « mais si on était un vendredi, il y aurait des policiers munis d’armures montés sur des chevaux, déployés contre les lanceurs de pierres. »
A Ras al-Amoud, en face de la mosquée, trois officiers observent la situation. L’une est vêtue de bleu, tandis que les autres sont des membres de la police des frontières. D’après Rosenfeld, de nombreuses patrouilles fonctionnent sur ce principe : les unités se protègent les unes les autres. Alors que deux garçons sortant de l’école passent par là, l’un des agents les arrête, demande à fouiller leur sac et à voir leur pièce d’identité. Au bout de quelques minutes, ils sont libérés et poursuivent leur route. Les commerçants arabes de la rue en face observent la scène, dubitatifs.
Une bombe à retardement
Pour ceux qui sont sur le front, ces derniers jours ont été particulièrement violents. Pourtant, la situation est depuis longtemps tendue dans la capitale. D’après un agent de sécurité privé, qui servait dans la police, Jérusalem souffre du problème de façon chronique. « Le public doit comprendre qu’une mini-intifada a lieu depuis un an déjà. Et le gouvernement n’a rien fait. » « La police travaille dur pour assurer la sécurité des habitants, mais les solutions tactiques ne suffisent pas. Soit on rattache Isawiya et Jebl Moukaber aux villes palestiniennes, soit on les annexe totalement, et on y fait enfin régner l’ordre et la loi. Soit ils font partie d’Israël, soit non. »
Selon lui, ces derniers mois, la haine n’a fait qu’augmenter dans les quartiers arabes de la capitale. « J’ai appris l’arabe. Je me suis trouvé à des barrages routiers lorsque l’entrée à la mosquée d’al-Aqsa était barrée, j’ai aussi entendu des sermons de muftis qui souhaitent la venue de Daesh pour tuer les Israéliens », confie-t-il.
La plupart des Israéliens ne réalisent pas que la violence est constante à Jérusalem-Est. « Les gens ne traversent pas la route n° 1 » affirme-il, en se référant à la large voie qui longe une bonne partie de la ligne d’armistice de 1949. « Des engins incendiaires sont lancés contre des maisons juives dans la Vieille Ville, des voitures sont la cible de jets de pierres, et vous ne pouvez conduire dans des endroits tels que Wadi Joz. »
« Mais la police a les mains liées », juge-t-il. Car les règles de conduite qui lui sont imposées à l’égard des lanceurs de pierres, sont plus strictes que celles que doit suivre l’armée israélienne en Judée-Samarie. « Les Arabes connaissent les règles et savent que vous ne pouvez pas leur tirer dessus tant qu’ils n’ont pas utilisé une arme mortelle », explique un policier. « Alors ils les lancent en se cachant derrière des murs puis s’enfuient ; ils se servent des médias pour se cacher. Et des policiers sont blessés. Les gens nous demandent d’employer du spray au poivre pour retenir les assaillants, mais les émeutiers sont immunisés contre le spray au poivre. Et nous ne sommes pas tous équipés de tasers. »
« Quand cette vague de violence passera, le public oubliera certainement Jérusalem, et ce qui se passe dans ces quartiers, à l’exception de la police des frontières, qui est présente en force ici », prédit-il. « Mais les gens doivent comprendre : si ne vous pouvez vivre à Jérusalem, vous ne pouvez vivre en sécurité nulle part ailleurs en Israël. Les médias et les décideurs politiques ne doivent pas l’oublier, il faut absolument agir ici. »
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