La nouvelle guerre froide

La fracture Est-Ouest fait son grand retour. Pourtant, les motivations et les intérêts des principaux protagonistes sont désormais bien différents

Poutine et Obama, face-à-face (photo credit: REUTERS)
Poutine et Obama, face-à-face
(photo credit: REUTERS)
«La Russie nous a fait peur », écrivait il y a bientôt 60 ans David Ben Gourion dans son journal, alors que la guerre froide connaissait un moment de tension intense. A l’époque, la rivalité entre Washington et Moscou durait déjà depuis une décennie, et Israël s’était soudainement retrouvé en première ligne. En réponse à des agressions émanant de la bande de Gaza, alors territoire égyptien, et à un blocus maritime du port israélien d’Eilat, Tsahal avait envahi le Sinaï. Le Premier ministre soviétique Nikolaï Boulganine avait réagi en des termes très durs : « Israël joue avec le feu et met lui-même en danger son existence en tant qu’Etat », avait-il écrit à son homologue israélien.
La missive avait été interprétée comme une menace à peine voilée d’atomiser le jeune pays. La remontrance soviétique avait rapidement pris des allures de double ultimatum, lorsque les Américains avaient menacé Israël de retirer leur soutien financier et diplomatique si Tsahal ne se retirait pas du territoire égyptien.
A l’époque, la tension était telle que lorsque les deux superpuissances joignaient leurs forces pour faire pression sur l’un de leurs pays satellites, ce dernier rentrait immédiatement dans le rang. C’était en 1956. La même chose devait arriver quelques mois plus tard en Hongrie, puis en Tchécoslovaquie en 1968, ou encore en Pologne dans les années 1980, alors que les Etats-Unis laissaient l’URSS imposer sa loi aux pays de son camp. La menace d’une guerre nucléaire a également poussé les deux protagonistes à reculer et à parfois coopérer pour éviter le pire, comme lors de la crise de Cuba en 1962.
Tout cela semblait avoir connu un terme définitif avec la dissolution de l’Union soviétique en 1991. Pourtant, à la lumière des derniers événements, une deuxième guerre froide est en train de se profiler. La fracture entre les deux blocs est de retour même si les motivations et les intérêts de chacun sont différents, et le rôle d’Israël au milieu de tout ça a également changé.
Même rhétorique, nouveaux intérêts
Depuis plusieurs semaines, l’aviation russe massacre les opposants au régime syrien, détruisant en grande partie la ville d’Alep, et ce après l’échec d’un cessez-le-feu signé avec Washington mais que Moscou n’a jamais vraiment pris au sérieux. De son côté, la Maison-Blanche menace de mettre en place de nouvelles sanctions et accuse le Kremlin de tous les maux, notamment d’être responsable de cyber­attaques contre ses intérêts et d’interférences dans son processus électoral.
Dans ce contexte, Moscou semble avoir renoué avec la rhétorique de la première guerre froide : « Un comportement belliqueux contre la Russie peut entraîner une réponse nucléaire », a déclaré la semaine dernière Dmitri Kisselev, un proche de Poutine qui dirige l’agence de presse Rossia Segodnia, alors que des informations faisaient craindre une intervention américaine contre l’armée syrienne. La télévision d’Etat NTV a aussi fait monter la tension, conseillant aux citoyens russes de s’informer sur les emplacements des abris nucléaires les plus proches, alors que le porte-avions russe Amiral Kuznetsov faisait route vers la Syrie. Dans cette guerre des mots, les Etats-Unis ne sont pas en reste. Le vice-président américain Joe Biden a menacé la Russie d’une cyberattaque d’envergure, expliquant que Washington répondrait en temps et en heure aux interférences des hackers russes.
A coup sûr, cette nouvelle guerre froide qui ne dit pas encore son nom est pourtant très différente de la première. La Russie d’aujourd’hui ne souhaite pas imposer un système économique et social au reste de l’humanité. Surtout, elle n’a pas l’impact global qu’avait l’Union soviétique. Le Kremlin est plutôt isolé. D’anciens pays satellites comme la Pologne, la Hongrie et la Roumanie sont membres de l’Union européenne et de l’OTAN, tout comme les trois pays baltes qui étaient auparavant partie intégrante de l’URSS.
Qu’est-ce qui motive alors ce renouveau des tensions, alors que pendant près de 20 ans, sous les présidences de Boris Eltsine et de Vladimir Poutine, déjà, la Russie avait globalement amélioré ses relations avec l’Occident ? Plusieurs spécialistes avancent que l’Ouest a ignoré les blessures de Moscou depuis la chute du bloc soviétique. La fierté russe a été touchée. Ce qui motive le Kremlin aujourd’hui n’est plus la domination mondiale mais la quête d’un respect global.
Israël, la nouvelle Suisse du Moyen-Orient ?
Depuis Washington ou Bruxelles, la deuxième guerre froide a commencé en 2014, quand la Russie est intervenue en Ukraine, d’abord en y soutenant les rebelles locaux, puis en annexant la Crimée. Le point de vue russe, bien que jamais officiellement exprimé, est que la période de calme avec l’Ouest a pris fin bien avant, en 2011. Pour Moscou, les intenses bombardements qui ont précipité la chute du régime de Mouammar Kadhafi avaient pour objectif, non pas de libérer un peuple opprimé, mais plutôt d’affaiblir le Kremlin en le privant d’un de ses plus importants clients en Afrique. Au niveau diplomatique, la Russie a vu son ancien pré carré, déjà amoindri, menacé encore de se réduire quand l’Ukraine et la Géorgie, deux pays voisins, ont voulu intégrer l’UE et l’Otan. C’en était trop pour le Kremlin. La Russie a donc franchi le Rubicon en 2008 en envahissant la Géorgie.
Déjà à l’époque, cette réaction aurait dû mettre la puce à l’oreille des dirigeants occidentaux : les responsables russes renouaient avec leurs intérêts historiques. A une différence près. Si la Russie a envahi la Géorgie et l’Ukraine, et est intervenue en Syrie, ce n’est pas pour augmenter son influence, mais pour la préserver. Les sanctions occidentales qui ont suivi l’annexion de la Crimée ont fini de convaincre Poutine que son pays était attaqué. Dans le même temps, les hésitations américaines sur le front syrien ont poussé Moscou à prendre l’avantage et à mettre en place une stratégie plus offensive. Ce qui a commencé avec la protection du régime syrien se traduit maintenant par un retour au premier plan de la Russie sur la scène moyen-orientale. Le meilleur exemple est la signature de nouveaux accords d’armement avec l’Egypte pour la première fois depuis les années 1970.
La Russie se considère comme un animal blessé qui protège son petit, pendant que les Etats-Unis et l’Europe sous-estiment ce facteur émotionnel et la détermination militaire qui en découle, tout comme l’endurance de l’économie russe. Evidemment les sanctions ont fait plonger la monnaie et le PIB du pays, mais dans le même temps, la Russie exporte toujours plus d’armes et a dépassé les Etats-Unis en exportation de blé. Aujourd’hui, l’industrie agricole russe dégage plus de 20 milliards de dollars de bénéfices sur les exportations. L’économie russe n’est pas celle de l’Iran. Les sanctions ne l’affaibliront pas, car elle se suffit à elle-même. Le pays dispose de ressources naturelles et son industrie peut produire ce que les autres ne voudront pas lui vendre. Tôt ou tard, les puissances occidentales comprendront cela et essaieront de calmer le jeu avec Moscou.
Ironiquement, le pays qui critique le moins le Kremlin et se montre compréhensif sur ses choix est Israël. Jérusalem a su rester neutre dans les conflits qui ont récemment opposé la Russie à la Géorgie, l’Ukraine, la Turquie, l’Europe et les Etats-Unis. Le gouvernement Netanyahou a accepté la nouvelle présence russe dans son environnement immédiat et le dialogue est intense avec Poutine et son armée. Car Israël ne veut plus se retrouver au milieu d’un affrontement entre deux mastodontes.
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