Le Premier ministre cherche-t-il à museler la presse ?

En ligne de mire, un nouveau projet de loi qui vise à réformer les médias

Manifestation contre la nouvelle Autorité de diffusion publique (photo credit: REUTERS)
Manifestation contre la nouvelle Autorité de diffusion publique
(photo credit: REUTERS)
La guerre engagée entre le Premier ministre et les médias du pays est encore montée d’un cran le 7 novembre, avec l’attaque cinglante de son bureau contre la journaliste d’investigation Ilana Dayan. Cet assaut frontal est venu en réponse à son reportage diffusé par la deuxième chaîne sur l’action du cercle rapproché de Netanyahou, et en particulier sur le rôle joué par son épouse Sara.
« Le temps est venu de démasquer Ilana Dayan qui a prouvé, une fois encore, qu’elle ne possède pas une once d’intégrité professionnelle », affirme entre autres le communiqué sur quatre pages publié par le bureau du chef du gouvernement, et lu dans son intégralité par la journaliste face à la caméra pendant plus de six minutes. La déclaration se poursuit en accusant Dayan d’être l’un des fers-de-lance d’un « complot organisé » visant à discréditer le pouvoir en place, et à le remplacer par un gouvernement de gauche. « La haine d’Ilana Dayan pour le Premier ministre est connue » ; pour celle-ci, « membre de l’extrême gauche », « les implantations juives de Judée-Samarie sont construites sur des terres volées ». « Elle mène une « propagande politique », affirme encore le communiqué. Et tandis qu’il qualifie l’émission de « recyclage de ragots et de mensonges pernicieux », il ne répond absolument pas aux questions soulevées par le reportage.
Mais c’est l’ultime argument de cette déclaration – rédigée vraisemblablement par Ran Baratz, qui fait partie de la ligne dure des conseillers en communication de Netanyahou – qui révèle sans doute plus que tout les véritables intentions du Premier ministre. « Le show de Dayan démontre parfaitement pourquoi l’industrie des médias doit absolument être réformée. Le chef du gouvernement est déterminé à ouvrir le paysage médiatique à la concurrence, afin de permettre à une diversité de voix et d’opinions de s’exprimer. »
Ce que cache la réforme
Netanyahou, qui détient le portefeuille des Communications, s’est engagé, en effet, à réformer la scène médiatique, pointant son manque de pluralisme et de représentativité. Mais pour ses opposants, aussi bien de gauche que de droite, il ne fait aucun doute que le chef du gouvernement applique en réalité une stratégie du « diviser pour mieux régner », dont le but est d’affaiblir les organes de presse en les asphyxiant financièrement. « Le public israélien a le droit d’avoir le choix de ce qu’il souhaite regarder à la télévision, et c’est sur ce quoi je travaille », a déclaré le Premier ministre a cours d’un débat à la Knesset en juillet dernier. « Autrefois nous n’avions que deux opérateurs de téléphones portables, deux compagnies de bus et deux compagnies aériennes. S’il y en a plus aujourd’hui, c’est parce que nous avons ouvert le marché à la concurrence. Et c’est aussi ce que nous devons faire pour le paysage télévisuel. »
Ce débat faisait suite à l’accord passé entre Netanyahou et le président du syndicat des travailleurs de la Histadrout Avi Nissenkorn, afin de reporter le lancement de la nouvelle Autorité de diffusion publique (IBC) vouée à remplacer l’actuelle Autorité (IBA), criblée de dettes et accusée d’inefficacité. La mise en place de la nouvelle institution, baptisée Société de diffusion israélienne et plus connue comme Kan, a été initiée en 2014 par un allié de Netanyahou : l’actuel ministre de la Sécurité intérieure et des Affaires intérieures Guilad Erdan, alors ministre des Communications. Depuis, les rebondissements s’enchaînent : alors qu’elle devait commencer à émettre en 2017, le Premier ministre avait, dans un second temps, donné son accord pour reporter le lancement à 2018. Mais il a récemment modifié sa position, en affirmant que cette nouvelle administration était du gaspillage d’argent public et qu’il était plus sensé de réhabiliter l’IBA.
La presse en danger ?
Mais les arguments de Netanyahou ne parviennent pas à convaincre. Les députés de l’opposition ne croient pas que sa décision soit uniquement motivée par la perspective de réaliser des économies. Certains accusent ainsi le Premier de mener une croisade contre la liberté de la presse, et martèlent que la bataille autour de l’Autorité de diffusion est avant tout une lutte pour la démocratie. Ces suspicions relatives à une volonté de Netanyahou de museler les médias, ont été renforcées dernièrement lorsque le chef de la coalition David Bitan – qui a proposé un projet de loi pour ordonner la fermeture de Kan – a accusé les dirigeants de la nouvelle institution d’être liés à la gauche israélienne, révélant avoir lu ce que ces derniers publiaient sur leurs comptes Facebook. Entre-temps, le vote sur l’avenir de l’IBC a été reporté sine die, en raison de la crise politique qui a émergé sur le sujet au sein de la coalition : le ministre des Finances Moche Kahlon, leader du parti Koulanou et ancien ministre des Communications, tient à ce que la nouvelle Autorité de diffusion soit autorisée à émettre.
Pour Oren Persico de Seventh Eye, un site web indépendant de surveillance des médias, Netanyahou « cherche à contrôler la presse et à la rendre dépendante du gouvernement ». Une position qui, selon lui, est déjà en vigueur dans une certaine mesure, depuis le lancement du quotidien Israël Hayom, un organe pro-Netanyahou financé par le magnat des casinos Sheldon Adelson, un proche du Premier ministre. Oren Persico affirme ainsi que ce journal a causé l’effondrement du modèle économique traditionnel dans la presse écrite : « Israël Hayom », dit-il, « en proposant des prix défiant toute concurrence à ses annonceurs et en inondant le marché de ses publications, rend les autres journaux beaucoup plus dépendants de la publication des annonces et des offres payées par le gouvernement. » Faisant écho à ces préoccupations, l’ONG américaine Freedom House qui enquête sur les droits politiques et les libertés civiles, a rétrogradé Israël au rang de pays « partiellement libre », au regard de l’influence croissante d’Israël Hayom. Oren Persico prévient que la télévision pourrait emprunter le même chemin. Il note ainsi que Reshet et Keshet, les deux franchises de la toute-puissante deuxième chaîne, pourraient être bientôt forcées de se scinder et de mener leurs propres opérations de diffusion.
Hostilité chronique
L’hostilité entre Netanyahou et les médias ne date pas d’hier. Elle a commencé dès sa nomination au poste de Premier ministre en 1996, après sa victoire contre Shimon Peres au lendemain de l’assassinat d’Yitzhak Rabin. « Les principaux médias du pays tiennent Netanyahou pour responsable de l’incitation qui a mené au meurtre de Rabin, et ne lui ont jamais pardonné », explique Persico. Cela a entraîné une spirale de méfiance mutuelle qui s’est renforcée au fil des années, surtout après le lancement d’Israël Hayom en 2007.
« Le climat est extrêmement mauvais », affirme Zvi Reich, un conférencier en communication à l’université Ben-Gourion du Neguev. « Les relations de Netanyahou avec les médias ont atteint un point très critique. S’il est vrai que le Premier ministre n’a pas toujours bénéficié d’une couverture médiatique juste, et s’il est également indéniable que les relations entre la droite et les journalistes sont ambivalentes un peu partout, en Israël cela a tourné à la guerre ouverte. On a le sentiment d’une querelle d’enfants : la question est de savoir qui a commencé. Mais ce point est loin d’être le plus important. Nous avons besoin d’un adulte responsable. » Zvi Reich se veut réaliste : selon lui, il est trop tard pour que Netanyahou ou les médias puissent améliorer la situation. Les deux parties, affirme-t-il, sont également responsables pour « avoir fait monter le ton jusqu’à des octaves inacceptables »
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Toutefois, Zvi Reich pointe ce qu’il qualifie d’« obsession de Netanyahou pour les médias ». Même s’il concède que la presse du pays sort souvent des rails de l’objectivité, le spécialiste en communication souligne que le Premier ministre est devenu tellement sensible aux critiques des journalistes qu’il en a perdu son sang-froid. « Quand on voit l’énergie et le temps qu’il investit pour contrer les médias, on comprend que cela vire à la névrose. » Une obsession, selon Reich, qui s’est encore intensifiée depuis que Netanyahou a décidé de conserver le portefeuille des Communications. « Le Premier ministre endosse à la fois le rôle de régulateur des médias tout en étant également leur plus gros client. Il attaque les journalistes, mais d’un autre côté il a besoin d’eux. C’est comme s’il modelait la réalité, tout en s’occupant de ceux qui la décrivent. C’est trop », dit Reich, qui craint que la situation actuelle ne menace l’indépendance de la presse israélienne. « Il y a déjà aujourd’hui des reporters qui ne sont pas autorisés à aller en Judée-Samarie », dit Reich. « Quand je parle aux journalistes, j’entends leur peur, leur paralysie, l’autocensure dont ils font preuve. Des vents très problématiques soufflent dans les salles de rédaction du pays. »
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