Réclamer justice

Meni Naftali, ancien intendant en chef de la résidence du Premier ministre, n’en a pas fini avec la famille Netanyahou. Avec d’autres manifestants, il revient sur ses frustrations

Meni Naftali, lors du procès en 2014 (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
Meni Naftali, lors du procès en 2014
(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
A peine quelques heures après le terme du jeûne de Kippour, une foule converge vers la place Goren, à Petah Tikva, brandissant des pancartes et des mégaphones. Des manifestants bien déterminés, qui n’en sont pas à leur première protestation. Depuis novembre dernier, c’est là, précisément, qu’ils se réunissent tous les samedis soir, pour manifester contre le procureur général Avihai Mandelblit.
« Je viens ici depuis le premier jour », déclare Abe Benyamin, originaire de Rishon Letsion. « Nous manifestons pour faire pression sur le procureur général, afin qu’il prenne une décision dans les affaires en cours contre le Premier ministre Benjamin Netanyahou. Alors qu’au contraire, Mandelblit fait tout ce qu’il peut pour éviter ou freiner les enquêtes, et entraver le travail de la justice. » Pressé de détailler, il répond : « Par exemple, Mandelblit a eu en sa possession, neuf mois durant, des enregistrements de Netanyahou en train de conspirer avec [Arnon] Noni Mozes. Pourtant, il a refusé d’ouvrir une enquête. »
Abe Benyamin fait référence aux enregistrements d’Ari Harow, confident et consultant de Netanyahou. Sur la bande, le Premier ministre aurait négocié un accord avec Mozes, milliardaire et magnat des médias, mais surtout, son ennemi juré de longue date. De quoi faire peser les soupçons sur le chef du gouvernement pour un cas de fraude et corruption, surnommé « affaire 2000 » par les enquêteurs de police, qui l’impliquerait lui, et Mozes. Dans leur conversation, les deux hommes auraient évoqué la façon d’empêcher le quotidien Israël Hayom de porter préjudice aux ventes d’une autre publication, Yediot Aharonot, dont Mozes est propriétaire. On entend celui-ci demander au Premier ministre : « En clair, qu’est-ce qu’on peut faire ? » Réponse du Premier ministre : « On peut faire passer une loi. »
« C’est dingue », poursuit Abe Benyamin. « Au vu de ces enregistrements, Mandelblit aurait au moins dû exiger de Netanyahou de démissionner de son poste de ministre de la Communication. C’est fou de voir que Netanyahou, qui était à la fois Premier ministre et ministre de la Communication, ait essayé de conclure un accord avec la presse, comme ça, et que le procureur général n’ait rien fait. La Cour suprême a vraiment dû lui forcer la main pour qu’il déclenche des enquêtes autour des affaires 1000 et 2000.»
Dans le collimateur de Netanyahou
L’affaire 1000 s’intéresse aux centaines de milliers de dollars en cadeaux – principalement des cigares et du champagne – reçus de Netanyahou de la part de bienfaiteurs milliardaires. En février dernier, la police a recommandé la mise en examen du chef du gouvernement dans cette affaire.
Et qu’a fait Mandelblit ? « Il a converti Ari Harow en témoin d’Etat », explique Benyamin. « C’est une blague. Harow a déjà craché le morceau. Il a balancé tout ce qu’il sait. Nous n’avons pas besoin qu’on nous resserve d’autres histoires sur la façon dont Netanyahou a “malencontreusement” reçu ces cadeaux. Pardonnez mon langage imagé, mais si vous allez chez une prostituée et que vous y croisez un, deux ou trois clients, vous savez que c’est une prostituée. Vous n’avez pas besoin d’interviewer chaque client. La même chose vaut pour cette histoire de cadeaux. Ils font du surplace au lieu d’aller de l’avant. »
« Sans mentionner que dans l’affaire 3000 – la plus sérieuse –, où l’avocat personnel de Netanyahou a été impliqué dans une sombre transaction de 2 milliards d’euros pour acheter des sous-marins à un constructeur naval allemand, Netanyahou n’a pas encore fait l’objet d’une enquête. »
Benyamin, qui a par le passé travaillé dans le high-tech, s’identifie comme un activiste social et appartient au parti travailliste. A une certaine époque, il en a même brigué le poste de secrétaire général. « S’il y avait une pomme pourrie dans notre arbre, je serais aussi impitoyable avec elle que je le suis avec Netanyahou », tonne-t-il.
« J’ai fait appel à la Cour suprême pour exiger que le procureur général fasse son travail, mais cela a été refusé. Par contre, je me suis fait repérer par le Premier ministre lui-même. Il a diffusé des clips à mon encontre, m’a mentionné dans ses discours, et son avocat, Yossi Cohen, a essayé de m’attaquer pour diffamation. En vain. Tout ce que j’ai fait, c’est relayer une histoire devenue virale à l’époque : Yaïr Netanyahou, le fils du Premier ministre, est en possession d’un second passeport qu’il utilise pour des comptes bancaires offshore, au Panama. Je ne sais pas si cela est vrai ou faux. Je me suis contenté de partager une information déjà sur la place publique. »
Interrogé sur la nature des manifestants du samedi soir, Benyamin répond : « Les jeunes ont tendance à être un peu frileux. La plupart des protestataires sont plutôt âgés. Des citoyens préoccupés par ce qui se passe. Qui ont parfois connu un autre pays. C’est vrai, vous ne verrez pas beaucoup de harédim ou d’Arabes parmi nous, mais vous trouverez des gens de tout bord politique, de gauche comme de droite. »
46 semaines
« La première fois que je suis venu ici, j’éprouvais des sentiments partagés », explique Modi Levin, un policier à la retraite qui a servi comme chef adjoint de la brigade nationale anti-fraude. Plus d’une fois, il s’est retrouvé en salle d’interrogatoire, les yeux dans les yeux, avec des personnages comme le maire de Jérusalem Teddy Kollek, des membres de la Knesset ou des vice-ministres.
« Je me suis demandé comment, moi, un agent des forces de l’ordre, qui ait porté l’uniforme pendant plus de 30 ans, je pouvais manifester contre celui qui est censé incarner et faire appliquer la loi. Mais j’ai fini par comprendre, et c’est un euphémisme, que le comportement [de Mandelblit] est indécent. Il doit faire avancer les enquêtes. » Retour à la manifestation. Les slogans se succèdent. Les manifestants accusent le procureur général d’être l’ami de Netanyahou et de se préoccuper uniquement de sa carrière, ce qui expliquerait son inaction.
Alors peut-on espérer voir Mandelblit mettre son mentor en examen ? « S’il ne le fait pas, les gens le traîneront devant la Cour suprême », affirme Levin. « Je me souviens d’un dossier dans lequel l’ancien procureur général, Yossef Harish, avait classé sans suite une affaire de fraude. La Haute Cour de justice était intervenue, statuant qu’il fallait rouvrir le dossier. L’enquête a pu être menée à terme et certains des accusés ont été envoyés en prison. »
Cela fait maintenant 46 semaines que les manifestations ont débuté à Petah Tikva. Que pensent les participants de leur importance et de leur efficacité ? Est-ce que les rangs des contestataires grossissent au fil du temps ?
« Nous avons commencé timidement. Meni Naftali a initié ce mouvement et, progressivement, beaucoup d’autres l’ont rejoint. A notre apogée, nous étions 5 000 personnes ici. C’est vrai, le soir de Yom Kippour, seuls quelques centaines de protestataires sont venus. Mais nous sommes encore en plein essor », insiste Levin.
Souvenirs d’intendant
Meni Naftali est donc l’homme qui a donné le coup d’envoi aux manifestations du samedi soir. Il a officié comme intendant en chef de la famille Netanyahou. Aujourd’hui, il aimerait voir son ancien patron derrière les barreaux.
« Cela n’est pas venu du jour au lendemain », raconte Naftali. « Je ne suis pas une girouette. Mon père était un homme travailleur, un entrepreneur en bâtiment. Il a été injustement accusé d’avoir détourné de l’argent. Mais même après avoir été blanchi, il a préféré ne pas retourner à son ancien travail et acheter une ferme. Ce n’était pas une vie facile ; à plusieurs reprises, son bétail a été volé pendant la nuit. Beaucoup de choses ont mal tourné. J’étais le seul garçon de la fratrie. Entouré de sœurs, j’ai été gâté à la maison, mais dès l’âge de huit ou neuf ans, j’ai commencé à garder les vaches et à prendre part aux travaux agricoles. »
« A l’adolescence, j’ai eu des problèmes. J’ai passé mon temps à changer d’école. J’ai grandi dans une région délaissée. Pendant des années, les responsables de la municipalité ont pioché dans les caisses et négligé les besoins éducatifs. Pourtant, je suis devenu un combattant dans les rangs de Tsahal – le premier de notre région. » Naftali a servi dans une unité de commandos militaire avant d’occuper plusieurs postes dans la sécurité. Puis il s’est marié, s’est installé à Afoula et a eu deux enfants. C’est alors qu’il rejoint la résidence du Premier ministre.
« Deux mois après mon embauche », explique Naftali, « Sara Netanyahou m’a demandé de me rapprocher de Jérusalem. J’étais prêt à faire n’importe quoi pour obtenir un CDI. J’ai vu ce qui était arrivé à mon père. Je voulais assurer mon avenir, pour ne pas me retrouver sans emploi à 40 ans. Alors, je me suis investi corps et âme dans mon travail. Le Premier ministre n’avait qu’à lever le petit doigt, je savais ce qu’il allait demander. »
« J’ai donc déménagé, avec ma famille. Nous avons loué un appartement à Modiin et inscrit nos enfants dans de nouvelles écoles. Un an et demi plus tard, c’était la débâcle autour d’un placard qui s’effondrait. Elle [Sara Netanyahou] était très mécontente. Elle a cru que je lui mentais à propos du placard. Elle s’est mise à me hurler dessus, exigeant que je sois soumis à un test polygraphique. C’est un petit exemple de ce qui se passait à la résidence, mais à ce moment-là, comme ils n’avaient pas tenu leur promesse de m’accorder un CDI, c’était trop. Et je suis parti. »
Menteur vs escroc
En 2014, Naftali a poursuivi l’Etat et le couple Netanyahou pour mauvais traitements présumés. Les médias se sont jetés sur cette histoire, en particulier sur les descriptions de Naftali quant à Sara Netanyahou : ses explosions de colère, ses demandes déraisonnables, ou ses remarques racistes sur les origines mizrahi de l’intendant. Par exemple, elle aurait demandé du lait dans un conditionnement en plastique, et non en carton, à 3 heures du matin.
Naftali a gagné son procès, obtenant une compensation partielle. L’appel de Sara Netanyahou a été rejeté. Mais l’ancien intendant ne souhaite pas s’arrêter là : il affirme que le couple a cherché à se venger, lui faisant perdre son permis de port d’arme, ce qui l’empêche d’exercer comme agent de sécurité. Désormais, Naftali travaille dans la construction.
Pour Sara et Benjamin Netanyahou, Naftali est un affabulateur. Yossi Cohen, l’avocat du couple, a déclaré à son sujet : « Il est impossible de croire le moindre mot qui sort de la bouche de ce menteur en série. » L’ancien intendant a aussi fait savoir que sa maison aurait fait l’objet d’un cambriolage, mais que rien n’a disparu. L’œuvre des Netanyahou, affirme-t-il. Il prétend également qu’une accusation d’agression sexuelle portée contre lui par une collègue – accusation qu’il nie avec véhémence – serait elle aussi initiée par le chef du gouvernement et son épouse.
« Cohen n’est pas un avocat », lance Naftali. « Son métier, c’est de fabriquer des faux documents. C’est un escroc. Ils ont imaginé cette accusation de harcèlement sexuel parce qu’ils savaient que cela me dérangerait. Mais ce qui ne s’est pas passé, ne s’est pas passé. On peut l’entendre ricaner [l’accusatrice] sur les enregistrements de nos conversations, et elle pouffait bêtement lors de nos confrontations devant la police. Le dossier est entaché de contradictions. »
Depuis le début des manifestations du samedi soir, Naftali a déjà été arrêté à quatre reprises, la dernière en date, il y a deux mois. Lors d’une de ces interpellations, raconte-t-il, la police lui aurait cassé la main. « Ils essaient de m’intimider par tous les moyens possibles. Mes enfants ont été blessés à l’école. Ma femme a peur de perdre son emploi. Mes parents ont perdu leur travail. Mais je suis un dur à cuire. Quand nous avons commencé à manifester devant la maison de Mandelblit, je lui ai dit : “Vous m’avez retiré mon gagne-pain. Je vais vous priver du vôtre. Je vais manifester devant chez vous toutes les semaines.” J’étais alors entouré de 20 personnes. Il a appelé les flics en disant que je le harcelais. Mais peu importe. Nous continuons à protester, quelles que soient les conditions météo », insiste-t-il.
« Je me demande toujours pourquoi mes parents ont dû travailler autant, et continuent à se battre pour survivre, alors que ce couple a tout. Quelque chose ne tourne pas rond. Comment ce personnage est-il censé s’occuper des malheureux et des pauvres ? »
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