Heureux comme un Israélien

Si Israël se regardait dans le miroir, il verrait un pays rempli de gens heureux, en bonne santé,globalement optimistes et résilients. Bref, un pays qui s’en sort plutôt bien…

Détente à  la mer Morte (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
Détente à la mer Morte
(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
Dans le cadre d’une séance de « pleine conscience » – technique psychologique qui se concentre uniquement sur les émotions et les événements du présent – on peut demander à des sujets, parfois dévêtus, de se tenir devant un miroir en pied, et de s’observer de près. Un exercice beaucoup plus inconfortable qu’il n’y paraît.
En ce début d’année 5776, il serait bon que chacun d’entre nous se regarde dans le miroir et examine ses actes. Imaginons un instant qu’Israël, la nation, en fasse de même. Si l’Etat juif se prêtait à cet exercice, que verrait-il ? Comment se comparerait-il à d’autres pays ?
Voici quelques résultats, en partie basés sur un « miroir » bien pratique connu comme l’Enquête sociale européenne (ESS) – un indicateur de satisfaction de vie utilisé dans 29 pays, principalement européens, mais qui comprend également Israël, la Russie et l’Ukraine. Initiée en 2001, cette enquête bisannuelle s’appuie sur près de 300 000 interviews.
Dans l’ensemble, les résultats sont plutôt bons. Si les Israéliens sont farouchement autocritiques, ils savent aussi reconnaître à quel point la vie est attrayante en Israël, en dépit de tout.
Bonheur Les Israéliens sont heureux. Selon le dernier rapport sur le bonheur des Nations unies, ils se sont classés à la 11e place sur l’échelle mondiale de satisfaction de vie. Soit avant les Américains et les Français. La première position est occupée par le Danemark où la vie est stable, détendue, tranquille. En Israël, le quotidien est perçu comme dynamique, riche en événements et stimulant. Personnellement, je préfère Israël.
Selon l’ONU, l’indice de satisfaction de l’Etat juif a même augmenté entre 2005-2007 et 2012-2014, en dépit de la crise financière mondiale de 2008-2012 et de deux guerres difficiles à Gaza.
Le contraste avec les voisins du Moyen-Orient est saisissant : les Palestiniens se classent 108e, l’Egypte 135e, la Jordanie et le Liban respectivement 85e et 103e. Le fossé ne s’explique pas uniquement en termes de situation économique. Le social joue un rôle déterminant. Le Liban, par exemple, a récemment été le théâtre de manifestations massives pour un motif aussi banal que la non-collecte des ordures.
Résilience Comment les Israéliens peuvent-ils être heureux alors qu’ils sont confrontés à des guerres, menacés par des roquettes, boycotts et autres armes nucléaires iraniennes, et que les coûts du logement et de la vie sont inabordables ? La réponse se trouve dans la résilience.
Zahava Salomon, professeure à l’université de Tel-Aviv, citée par le journal en ligne Ynet, a mené une étude intéressante : elle a comparé la réaction des Israéliens à la seconde Intifada – vague d’attaques terroristes de 2000-2005 – à celle des Américains après les attentats du 11 septembre. Dans les deux pays, on a recensé autant de troubles de stress post-traumatique (TSPT). Mais les Israéliens ont fait preuve d’une faculté de récupération beaucoup plus rapide. Une caractéristique confirmée par les recherches effectuées par Reuven Gal, ancien chef du service de sciences comportementales de Tsahal.
Riches et pauvres Les riches sont-ils plus heureux que les pauvres ? Selon l’enquête de l’ESS, les variations en matière de satisfaction de vie entre les revenus les plus faibles et les plus élevés sont assez minimes en Israël. Apparemment, les riches ont leurs propres problèmes, sans rapport avec l’argent. Ainsi, peu de différences en Israël entre les riches et les pauvres en ce qui concerne l’indice de bonheur. Bien moins qu’en Allemagne, Belgique, Espagne ou Italie.
Indice du « vivre mieux » Selon l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) qui regroupe 34 pays riches, il fait bon vivre en Israël. Plus des deux tiers des Israéliens âgés de 15 à 64 ans ont un emploi rémunéré, en dépit de l’affirmation selon laquelle un grand nombre d’ultraorthodoxes ne travaillent pas. Soit plus que la moyenne de l’OCDE qui plafonne à 65 %. Certes, les Israéliens travaillent dur ; un Israélien sur six et un homme sur quatre déclarent effectuer « de très longues journées ».
Par ailleurs, les Israéliens aiment l’école. 85 % des 25-64 ans sont allés au bout du secondaire, soit plus que la moyenne de 75 % de l’OCDE. Quant à la qualité de l’enseignement, l’Etat juif peut mieux faire : le lycéen israélien moyen enregistre un score de 474 en lecture et écriture, mathématiques et sciences, aux tests standards de l’OCDE. Soit moins que la moyenne (497). Les filles ont fait mieux que les garçons, marquant 11 points de plus.
Les Israéliens sont globalement en bonne santé et vivent vieux. L’espérance de vie est de 82 ans (84 pour les femmes et 80 ans pour les hommes), soit deux bonnes années de plus que la moyenne de l’OCDE.
La société israélienne est dans la moyenne en matière de cohésion. A l’image des autres pays de l’organisation, environ 87 % des sondés israéliens déclarent connaître quelqu’un sur qui ils pourraient compter en cas de besoin.
Enfin, dans l’ensemble, sur une échelle de 1 à 10 les Israéliens atteignent la note de 7,4 quant à leur indice de satisfaction de vie, bien plus que la moyenne de l’OCDE de 6,6.
Démocratie Attache-t-on de l’importance à vivre dans un pays démocratique ? Oui, répondent les Israéliens, malgré toutes les difficultés du système politique local. Selon l’Enquête sociale européenne (ESS), les Israéliens évaluent au-dessus de 9 l’importance de la démocratie sur une échelle de 1 à 10 – soit bien plus que les Français et légèrement plus que les Allemands. La Russie et l’Ukraine ferment la marche.
Et quels aspects de la démocratie privilégient-ils ? Avant tout, la démocratie sociale (barrières contre la pauvreté et l’inégalité des revenus), bien au-delà de la démocratie libérale (égalité devant la justice, liberté de la presse, droits des minorités, élections justes).
Intervention du gouvernement Les Israéliens sont parmi les plus grands adeptes d’une politique interventionniste du gouvernement pour assurer le bien-être des citoyens. Outre trois pays (dont la Grèce) qui les devance, ils se positionnent comme les champions de la lutte pour une forte responsabilité gouvernementale.
Interrogés sur la performance de leurs institutions, les Israéliens ont grandement salué leurs services de santé (plus que les citoyens des autres pays, excepté les Belges, les Suisses et les Finlandais). En revanche, les services sociaux de protection pour les retraités et l’aide à l’emploi des jeunes se sont vus attribuer des scores bien plus faibles.
Corruption Avec un nombre croissant de scandales impliquant politiciens et fonctionnaires, la corruption est devenue un sujet de préoccupation. Selon l’ONG allemande Transparency International, Israël se classe à la 37e place mondiale pour sa « perception d’absence de corruption » dans le pays, soit loin derrière les Etats-Unis, à la 17e position. Le pays qui se considère le moins corrompu est le Danemark, suivi de près par la Nouvelle-Zélande. Israël fait donc moins bien qu’en 2003, où il se classait 21e en matière d’absence de corruption. Apparemment, depuis, la nation se trouve sur une pente glissante.
Police Le choix du ministre de la Sécurité publique Guilad Erdan en faveur de Gal Hirsch pour officier comme nouveau patron des forces policières d’Israël avait donné lieu à une vaste controverse. Selon l’enquête de l’ESS, les Israéliens ont une piètre opinion de leur police. Pour plus de la moitié des sondés, la police ne prend jamais ou pas très souvent des « décisions justes et impartiales », plaçant ainsi l’Etat juif sur les talons des Russes.
Justice Le même scepticisme s’étend aux tribunaux. Seul un faible pourcentage d’Israéliens – moins de 40 % – estime que tous les habitants du pays sont égaux en droit et jugés équitablement, quelle que soit leur appartenance ethnique ou raciale. Un faible score.
Start-up Bonne nouvelle, l’entrepreneuriat continue à faire des bulles. Un rapport de Dun & Bradstreet de juillet dernier dénombre 6 900 entreprises dans le secteur du high-tech israélien. Près de 80 % sont des start-up. Parmi elles, 8 sur 10 ont réussi à lever des fonds externes. En général, il s’agit de toutes petites structures : quelque 362 seulement emploient plus de 100 personnes. Selon le Bureau central des statistiques, le secteur du high-tech emploie 278 000 personnes, soit environ 1 actif sur 12.
Selon le rapport, le ratio des entrepreneurs qui ont lancé au moins deux entreprises était d’1 sur 4, contre seulement 1 sur 6 en 2010. Et leur expérience croissante devrait encore améliorer leur taux de réussite. La compagnie de collecte d’informations Dun & Bradstreet avertit toutefois : le manque de capitaux locaux pour les start-up pousse beaucoup de leurs initiateurs à émigrer à l’étranger, surtout aux Etats-Unis. Elle recommande de trouver des moyens pour encourager les investisseurs institutionnels (les fonds de pension ou les fonds de prévoyance par exemple) à investir dans la haute technologie. Et préconise la création de plus de start-up de style « écosystème », comme le cyber-centre en cours de construction à Beersheva.
Economie Voilà un domaine bien couvert. Des nuages orageux obstruent l’horizon de l’économie israélienne. Moshé Kahlon, ministre des Finances, a convoqué une réunion d’urgence après réception des données du deuxième trimestre 2015 qui font état d’un PIB en hausse d’un misérable 0,3 %. Les économistes du Trésor blâment les élections de la Knesset pour avoir gelé le budget du gouvernement et conduit à une baisse des dépenses publiques.
Lorsque les marchés mondiaux sont en plein boom, l’économie d’Israël, boostée par les exportations de haute technologie, s’en sort bien. Mais lorsqu’ils s’effondrent, l’impact sur l’économie est fort et immédiat.
Si l’économie devait continuer à piquer du nez, le gouvernement ferait bien de mettre en œuvre des projets d’infrastructure – lignes de chemin de fer, pipelines de gaz, énergie solaire et logement – pour compenser la faible demande. Car malgré un soleil généreux et des chauffe-eau solaires omniprésents, Israël produit moins de 5 % de son énergie à partir de sources renouvelables.
La théorie de la relativité d’Einstein a montré que les notions d’espace et de temps ne peuvent se comprendre que l’une par rapport à l’autre. Il existe aussi une théorie de la relativité du « bonheur ». Comparé au chaos qui l’entoure ou qui règne dans le monde, Israël offre à ses citoyens une existence relativement agréable. Pourquoi, alors, une si grande partie du monde perçoit l’Etat juif comme un pays en proie aux guerres, au terrorisme et aux catastrophes ? Pourquoi n’enregistrons-nous pas dix millions de touristes par an, au lieu de trois millions seulement ?
La réponse se trouve dans la psychologie et les médias. Prenons l’exemple de la mortalité routière. Quotidiennement, les médias rapportent le nombre de décès. Quitte à parler de « massacres sur les routes » – une expression largement utilisée. Pourtant, la mortalité routière pour 100 000 personnes en Israël représente moins d’un tiers que celle des Etats-Unis. Finalement, des exemples peu représentatifs sont repris en boucle et attisent le sentiment de morosité. Un fléau mondial. Dans n’importe quel pays, il est très difficile de trouver des comptes rendus positifs dans les salles de rédaction.
A l’inverse, le docteur Pangloss de Voltaire, dans Candide, estimait : « Tout est pour le mieux, dans le meilleur des mondes. » Une vision bien sûr irréaliste. Mais peut-être pas tant que ça… Car alors que nous saluons 5776 et nous regardons dans le miroir, nous voyons un pays en bonne santé, heureux, optimiste, résilient et qui se débrouille plutôt bien, vu les circonstances. Pour Israël, le présent est bon, et l’avenir prometteur…
 
L’auteur est chargé de recherche principal à l’Institut S. Neaman du Technion.
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