L’élite des mers

Israël mise de plus en plus sur les submersibles dans sa force de dissuasion

Le sergent Yali aux commandes de la console du simulateur de pilotage (photo credit: DR)
Le sergent Yali aux commandes de la console du simulateur de pilotage
(photo credit: DR)
Pousse la barre vers l’avant », me lance le formateur. La cabine de pilotage d’un sous-marin ressemble au cockpit d’un grand avion commercial. La barre s’incline vers l’avant ou l’arrière, selon que le sous-marin doive plonger vers le fond ou remonter vers la surface. De chaque côté de la console de direction se trouvent deux panneaux équipés de boutons pour actionner les alarmes et les fonctions de pilotage automatique. En face, un écran, qui semble tout droit sorti du décor d’un vieux film de science-fiction. Au-dessus, des jauges qui informent de « l’angle réel de l’avant-plan », « l’angle du radar » et « l’angle du plan arrière ». Tout paraît désuet, on est très loin, à première vue, de la haute technologie.
Je pousse la barre vers l’avant, mais rien ne se passe. « Vas-y encore plus », me dit le sergent Yali, un entraîneur de la marine israélienne. Je m’exécute et tout à coup, l’habitacle dans lequel nous nous trouvons s’ébranle. J’ai rapidement mal au cœur, avec l’impression d’avoir été mis KO. Les stylos et les crayons posés sur la console valsent par terre. Je perds l’équilibre et visse mes pieds au sol pour ne pas tomber. Je suis complètement désorienté.
Claustrophobes s’abstenir
Nous nous trouvons dans l’un des simulateurs de sous-marins de la base navale de Bat Galim, à Haïfa. Il s’agit d’un habitacle métallique suspendu au beau milieu d’une petite pièce, qui peut pivoter de haut en bas et latéralement afin de simuler les oscillations d’un submersible en pleine navigation. A l’intérieur, sept sièges qui font chacun face à une console. « La rotation du simulateur peut aller jusqu’à 45 degrés », indique le sergent Yali.
C’est ici que l’élite de la marine israélienne s’entraîne pour intégrer l’équipage de la flotte de sous-marins de type Dolphin. Assis pendant des heures sur ces sièges noirs passablement usés, ces militaires sont formés à parer aux pannes de courant et aux incendies, ainsi qu’à réparer les systèmes de commande défectueux des submersibles. Pour ma part, moins de 30 minutes aux commandes de cet engin ont eu raison de moi, et il me tarde de quitter l’habitacle. Etre enfermé dans une boîte métallique est déjà assez dur, mais si c’est avec une demi-douzaine de personnes et que l’engin est en rotation permanente, c’est encore bien pire.
Un peu d’histoire
Les sous-marins ne font pas partie de l’histoire de l’armement de l’Etat d’Israël depuis sa création. Contrairement aux brigades d’infanterie, aux blindés ou à la force aérienne, le premier sous-marin n’est arrivé dans le giron de Tsahal qu’après la fin des années 1950. « Notre aventure avec les submersibles a commencé avec l’acquisition de sous-marins britanniques d’occasion. Il nous fallait apprendre à les manœuvrer en anglais et en français », rapporte le commandant Y., de la base de formation à Haïfa, qui a servi au poste d’instructeur durant deux décennies. « Ils n’avaient pas été construits spécialement pour nous. C’étaient des vestiges de la Seconde Guerre mondiale très gros et bruyants, qui n’étaient pas adaptés à la Méditerranée. »
Puis Israël a acheté des sous-marins anglais de classe S, plus petits, dénommés Rahav et Tanin, et les a mis à niveau pour en faire trois sous-marins de classe T, Dolphin, Leviathan et Dakar. Mais en 1968, ce dernier a coulé avec ses 69 membres d’équipage. Israël s’est alors séparé de ces reliques britanniques, derniers vestiges de cette flotte sous-marine de la Seconde Guerre mondiale.
« A la fin des années soixante-dix, nous avons acquis des sous-marins de type Gal, britanniques également, mais construits spécialement pour nos besoins d’après une conception allemande », explique le commandant Y. Avec un déplacement de 600 tonnes en submersion, ils avaient la moitié du volume des engins de type T britanniques. Les sous-marins Gal ont servi de 1976 à 2002, conservant les noms de Tanin et Rahav, empruntés au livre d’Isaïe. Cependant, à l’aube des années quatre-vingt-dix, il était clair qu’une flotte de plus grande envergure était nécessaire.
Contrer la menace iranienne par la mer
« Pour répondre aux besoins spécifiques à notre région, nous avons alors opté pour le sous-marin de type Dolphin », relate le commandant. Trois de ces submersibles de fabrication allemande – utilisés par une douzaine de marines dans le monde – ont été commandés par Israël dans les années quatre-vingt-dix. Les Dolphin, Leviathan et Tekuma ont ainsi rejoint la flotte israélienne dans les années 2000 : avec un déplacement de 1 900 tonnes, ils sont beaucoup plus grands que leurs prédécesseurs. Cette décision a été très controversée, dans la mesure où l’Allemagne a pris part à leur financement, à hauteur de centaines de millions de shekels.
En 2006, Israël a acheté deux autres sous-marins de type 212, fabriqués par la société allemande ThyssenKrupp. Une acquisition récemment entachée de graves allégations de corruption et de conflit d’intérêts, mettant en cause le Premier ministre Benjamin Netanyahou. Les investigations de la police sont actuellement en cours. Plus grands que les trois premiers Dolphin, ces submersibles mesurent 67 mètres de long, déplacent 2 400 tonnes et nécessitent un équipage de plus de 35 marins. Ils peuvent atteindre environ 25 nœuds en immersion (46,30 km/h) et se maintenir à plus de 200 mètres de profondeur. A titre de comparaison, le plus grand sous-marin de la marine américaine déplace 7 800 tonnes et compte 130 membres d’équipage.
Netanyahou considère cette flotte comme une force de dissuasion essentielle face aux ennemis du pays. Lors de la livraison des derniers sous-marins Dolphin, le chef du gouvernement a précisé que la marine israélienne se destinait « à des opérations audacieuses loin de son port d’attache ». Selon les médias étrangers, lorsque ces engins ont été commandés, ils faisaient partie de la stratégie israélienne vis-à-vis de l’Iran afin d’empêcher la République islamique d’obtenir l’arme nucléaire. La distance d’Alexandrie en Egypte à Bandar Abbas au large de l’Iran est de 2 998 miles nautiques, et le trajet à 20 nœuds (37 km/h) nécessite une vingtaine de jours ; il était entendu que cela ne devait pas poser problème pour la flotte israélienne.
Triés sur le volet
Les stagiaires intégrés au sein de la formation exigeante de sous-mariniers, passent par des années de préparation. Ici, comme dans la plupart des bases militaires israéliennes, les bâtiments sont passablement délabrés. Bien que les simulateurs qu’ils abritent aient près de 20 ans d’âge (comme les sous-marins Dolphin), ils n’en sont pas moins extrêmement bien équipés, permettant de dispenser une formation optimale aux stagiaires, entraînés en conditions réelles.
« Nous recrutons des individus capables de gérer une situation critique, tout en étant confinés dans un espace réduit durant une longue période avec les mêmes personnes. L’équipage, en effet, doit être à même de rester soudé y compris en cas de conflit. Ces personnes sont donc également sélectionnées en fonction de leur habilité à gérer les différends et à résoudre les problèmes avec calme et pondération », explique le commandant Y. Actuellement, tous ceux qui servent dans les sous-marins sont des hommes. Les femmes, elles, s’illustrent comme formatrices.
Les yeux du sous-marin…
Chaque simulateur est équipé d’un périscope intégré articulé. Fait de métal gris, il dispose de deux poignées qui se rabattent de chaque côté de l’objectif. L’opérateur actionne sa rotation, plaqué contre le périscope. Les poignées sont équipées de cadrans et de boutons qui servent à contrôler le zoom et à ajuster le périscope de haut en bas, des profondeurs à la surface de l’eau. La formatrice, le sergent Maya, appelle cela « les yeux du sous-marin ».
Le sergent charge un fichier dans un ordinateur, et une image reproduisant les vagues et des bateaux voguant sur l’océan apparaît dans l’objectif. « Un officier compétent doit maîtriser le périscope. Pour cela, il passe par sept niveaux de formation sur six mois. Nous lui enseignons à comprendre et interpréter ce qu’il voit. »
Pourquoi le périscope ne peut-il être remplacé par un ordinateur ? Il paraît en effet archaïque de dépendre d’un système qui ne semble pas avoir beaucoup évolué depuis la Seconde Guerre mondiale. « Les yeux humains peuvent exploiter davantage cet outil », affirme Maya. « L’homme, bien entraîné, est plus performant qu’une machine. Son cerveau fonctionne plus vite : il peut par exemple calculer sept choses en même temps. » Cependant, l’humain a toujours besoin d’avoir recours à des capteurs et le périscope nécessite de constantes améliorations techniques. Observer les ondes à travers la lentille de l’objectif et zoomer sur les navires à l’horizon tout en étant en immersion, est impressionnant. De nuit, les défis auxquels sont confrontés ces apprentis sont encore plus grands, car ils doivent être capables d’identifier les cibles avec le peu de lumière dont ils disposent. Maya, comme les autres formatrices, a étudié au sein d’un sous-marin afin de déterminer la meilleure façon d’entraîner l’équipage. Elle espère bien qu’un jour, les femmes seront autorisées à devenir membres d’équipage.
En quittant la salle de formation au périscope pour se rendre dans celle où se trouve le simulateur de plongée, nous traversons un couloir tapissé d’affiches rendant hommage aux sous-marins Dolphin. Une photo montrant le dos d’un submersible à la surface de l’eau, encadré par deux dauphins qui sautent hors de l’eau, rappelle d’où vient le nom de l’engin.
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