Des trésors au grand jour

Lebna, une ville probablement cananéenne, se réveille d’un sommeil de 3000 ans. Cette cité révèle des vestiges datant de l’époque du Premier Temple.

P22 JFR 370 (photo credit: DR)
P22 JFR 370
(photo credit: DR)

Les habitants de Shfela en sont bien conscients, la région danslaquelle ils vivent, qui s’étend de Latroun au nord à Kiryat Gat au sud, estd’une grande importance historique. Deux sites archéologiques majeurs sontsitués à un jet de pierre de Beit Shemesh : Beit Gouvrin, qui nous ouvre unefenêtre sur la révolte de Bar Kokhba survenue peu après la chute du SecondTemple, et la vallée de Eila, où David a tué Goliath. C’est là, à l’insupeut-être des autochtones, qu’un archéologue affilié à l’université deBar-Ilan, est presque certain d’avoir découvert le fief biblique de Lebna.

Lebna est avant tout la première ville cananéenne conquise par Josué au momentde son entrée en Terre d’Israël ; une ville qui sera tout entière léguée auxLévites. Mais c’est Hamural, première reine mentionnée dans le Livre des Rois,épouse du roi Josias, qui régna sur la Judée de 640 à 609 avant notre ère, etmère des rois Ezéchias et Joachaz, qui la rendra célèbre.
Dans les années 1920, le célèbre archéologue américain, William FoxwellAlbright, excave les fortifications dont les ruines émergent sur la colline, etdont il a la conviction qu’elles sont celles de Lebna. En raison de leur tracéqui évoque un chapeau en forme de haussement de sourcil, le site sera surnomméTel Burna en arabe. Ce site archéologique tend à prouver ce qui n’étaitjusque-là que pure spéculation, à savoir que Lebna aurait été un avantpostestratégique crucial situé entre Lakis, la plus grande ville de Judée, au sud deJérusalem et Gath, la capitale des Philistins au nord.
A la conquête de l’ancienne Judée 
En 2009, une équipe d’archéologues dirigéepar Itzik Shaï et Joe Uziel, tous deux professeurs à l’université de Bar-Ilan,se met au travail. Sur la colline, ils commencent par tracer, sur le terrain,les positions des fortifications enfouies dans le sol. Puis ils évaluent àquelle profondeur elles devraient se trouver et après de savants calculs,commencent à creuser sur une zone de 70 x 70 mètres, qui devrait correspondre àune place fortifiée.
Après une étude plus approfondie de la zone située au pied de la colline, quis’étend sur trois hectares, il est permis de penser que le site devait abriterune population d’environ 3 000 individus, estime Shaï. Au jour d’aujourd’hui,les fouilles se concentrent sur trois sites : deux, au sommet de la colline,mettent au jour des vestiges datant de la période du Premier Temple, de 1000 à550 avant notre ère. Le troisième est situé au pied de la colline où lesvestiges d’une cité cananéenne plus ancienne dateraient de 1300 avant notreère.
Shaï et Uziel n’en sont pas à leur première collaboration. Les deux hommes ontdéjà travaillé ensemble pendant 12 ans à des excavations à Tel Tzafit, sitearchéologique situé à 15 kilomètres au nord de Kiryat Gat dont on saitmaintenant qu’il s’agit des vestiges de la capitale philistine de Gath.
Après des années passées à chercher à savoir comment vivaient les Philistins,les deux archéologues ont parcouru l’ancienne Judée pour tenter de découvrirles différences et les similitudes qui existaient entre les cultures et modesde vie de ces deux civilisations.
Il y a un an, Uziel est recruté par le département archéologique israélien etse voit proposer de participer aux fouilles à la Cité de David. Dans le mêmetemps, Shaï est promu à un poste d’enseignant à l’université d’Ariel et prendseul la direction du projet.
Site païen ou judéen ? 
Au centre commercial de Modi’in, dont Shaï estoriginaire, il nous est offert la primeur de découvrir les images scannéesd’une importante collection d’objets anciens, stockées sur son ordinateurportable. Comme le cliché d’un pendentif égyptien de 2 cm sur 1, découvert àTel Burna, qui date environ de 1300 avant notre ère et représente une oie surune face et un lion sur l’autre. « C’est le fragment d’un bijou, semblable àceux qui ont déjà été découverts à travers tout le pays. Il remonte à uneépoque où l’influence de la culture égyptienne se fait encore sentir dans larégion », explique Shaï.
Cet objet, qui provient des fouilles effectuées dans la cité cananéenne, tend àprouver une pratique religieuse sectaire.
Des fragments d’objets de culte, provenant d’une tasse et d’une soucoupe ontégalement été déterrés, ainsi que le nez d’un masque en céramique et unassortiment de figurines et de bijoux destinés à la pratique païenne locale. Etenfin une stèle présente un intérêt tout particulier : y figurent deux femmesenceintes de jumeaux, l’image de la femme, associée à la déesse de la fertilitéselon la croyance païenne.
Shaï, coiffé d’un chapeau de safari brun, en cuir blanchi par le soleil, qu’ilporte sur une kippa crochetée, note, enthousiaste : « Je trouve celaintéressant. Cela nous aide à comprendre ce pays et ceux qui l’ont habité avantnous.
Cela dit, il y a une émotion particulière à faire des fouilles sur un sitebiblique ». L’année dernière, des découvertes étonnantes ont été faites en hautde la colline : des fragments de 70 cm provenant d’une jarre qui servait austockage de denrées, flanquée d’un sceau qui date de l’époque du roi Ezéchiasavec comme mention : « Pour Ezer, fils de Haggai ».
Bien que ce ne soit encore qu’une hypothèse, Shai n’en est pas moins convaincuque la jarre en question devait servir à l’intendant du roi pour stocker ladîme, les impôts prélevés au profit du roi. La découverte est d’une grandeimportance, car elle indique clairement que le site était judéen. « Aprèsm’être remis de cette surprise et avoir fêté cette découverte avec l’équipe »,se souvient Shai, « j’ai appelé ma femme pour lui raconter tout ça ». Laprésence d’un texte est des plus parlants, mais d’autres indicateurs vont dansle même sens, comme la découverte d’un métier à tisser typique de Judée,également excavé au sommet de la colline.
Une technologie de pointe au service des fouilles 
Shaï est chargé de trouverles fonds nécessaires aux fouilles, dont le coût s’élève à 50 000 dollarschaque année. Certaines sommes sont allouées à des outils traditionnels quiservent à creuser, d’autres à des radars qui permettent de localiser les murssouterrains et d’informer sur la direction à donner aux fouilles et indiquer lesens de leur progression, ou encore des outils de forage sophistiqués de 25 cmde diamètre, capables de creuser à plusieurs mètres de profondeur, quipermettent d’étudier les différentes strates qui composent le terrain, en lesmettant à nu.
Des donateurs privés, ainsi que les participants aux fouilles, alimentent lesfonds alloués au projet, mais ce n’est pas toujours suffisant pour couvrir lesfrais. « Dès que nous sommes à court d’argent, le projet est fatalement ralenti», explique Shaï.
Pour l’heure, les forages proprement dits ont lieu seulement un mois par an,les autres mois étant dédiés à l’analyse de ce qui a été mis au jour. C’est enmai qu’ont lieu les excavations, dans la mesure où, ce mois-là, les étudiantsisraéliens en archéologie ont terminé leur cursus et cherchent à participer àdes fouilles pour leur propre compte, ou pour profiter d’une expérienceprofessionnelle.
Si Shai est à 99 % sûr de l’origine du site, certaines questions demeurent,comme le manque de preuves de sa destruction. Mais quoi qu’il en soit,aujourd’hui, Lebna sort d’une longue période de sommeil de 3 000 ans et doitêtre bien surpris de découvrir l’environnement qui l’entoure, composé de citésmodernes à la croissance ultrarapide.