Une semaine de deuil

Entre détresse immense et précieux soutiens, les familles des victimes tentent de panser leurs plaies

La foule amassée à Givat Shaul pour l'enterrement des 4 victimes (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
La foule amassée à Givat Shaul pour l'enterrement des 4 victimes
(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
Jeudi 15 janvier, midi. Un groupe de francophones cherche l’endroit où les Hattab font shiva (semaine de deuil), pour présenter leurs condoléances à la famille. Jérusalem, rue Mazor, numéro 6. Il faut faire le tour, prendre un autre chemin, explique l’un des riverains. Le petit groupe, formé par hasard en bas du bâtiment, et qui comprend l’ambassadeur de France en Israël, tâtonne. Une dizaine de minutes plus tard, la quête s’achève. L’ascenseur monte. Au bout du couloir, les endeuillés.
C’est un petit appartement niché au cinquième étage. Dans le salon, une dizaine de personnes se serrent autour du père de Yoav Hattab, assis seul sur un banc. Sa fille, qui se tenait à ses côtés, s’est éclipsée dans le couloir pour sécher ses larmes. L’ambiance est très intime. Les étrangers entrent, adressent quelques mots au père endeuillé, Grand Rabbin de Tunis, et partent rapidement, juste le temps pour l’une des visiteuses de murmurer une prière.
L’ambassadeur s’assoit à la gauche du Grand Rabbin Hattab, le salue. Ils s’entretiennent à demi-voix, pendant de longues minutes. Puis le silence enveloppe la pièce. Si triste qu’il bourdonne. Le père se balance de douleur muette. Face à lui, un religieux – peut-être un rabbin – lui adresse en hébreu des paroles de réconfort, et raconte l’histoire de ce père qui a perdu son fils de 3 ans pendant la construction d’un mikvé. Le récit est interrompu par l’arrivée d’un vieil homme s’appuyant sur sa canne, ancien camarade d’études d’Hattab. Il est venu de Raanana. L’ambassadeur, non hébraïsant, écoute pourtant d’un air grave. Chacun est plongé dans le recueillement, personne n’a touché aux gâteaux disposés sur la table basse.
On ressort. Il commence à pleuvoir. On croirait presque que le ciel de Jérusalem partage la tristesse de ses habitants.
L’enterrement en Israël, une « évidence »
Direction l’hôtel Ramada, où la famille Braham est logée. Les parents de la victime, femme, frères et belles-sœurs, font leur deuil dans l’une des salles de conférences du rez-de-chaussée, et, n’en déplaise aux mauvaises langues qui affirment sur les réseaux sociaux que la veuve de Philippe Braham est seule, la pièce est pleine : une soixantaine de personnes, proches et moins proches, sont venus la soutenir à l’heure de minha (prière de l’après-midi).
Un groupe de quatre lycéennes, un couple de retraités, une mère avec ses bébés : le drame a ému toutes les classes d’âge. Des petits groupes, çà et là, discutent, si bien que la pièce entière bruisse de conversations. Les thèmes qui reviennent le plus sont, évidemment, l’antisémitisme en France et l’aliya. Un visiteur, amer, affirme que s’il n’y avait pas eu d’attentat à Charlie Hebdo, personne n’aurait manifesté en mémoire de 4 juifs. Une autre se rappelle l’antisionisme de ses collègues, les propos antisémites d’un de ses élèves, le manque de soutien de la direction.
Les Braham ont tout de suite décidé qu’ils enterreraient Philippe en Israël. « Une évidence », affirme une des belles-sœurs : une grande partie de leur famille vit ici, dont la première épouse de Philippe et leur fils. Et les Braham ont eu plus que leur part de souffrances, beaucoup de leurs proches reposent dans la terre d’Israël : le père de Philippe, sa mère (décédée à Pessah dernier), la mère de Valérie Braham, disparue il y a deux mois et l’un de leurs fils, emporté par une déficience immunitaire, il y a quelques années. Il était important que Philippe demeure près des siens. Et les autres familles souhaitaient la même chose pour leurs disparus.
Dans cette terrible épreuve, tous ont été soutenus par l’Etat d’Israël et l’Agence juive, le premier se chargeant du transport des corps et de l’enterrement, la seconde de l’hébergement des parents au premier degré. Le Consistoire prendra la relève quand les familles rentreront en France, notamment en offrant une aide psychologique aux enfants des victimes.
Philippe Braham en avait trois avec Valérie : deux fils, âgés d’un et trois ans, et une petite fille de 8 ans qui a accompagné sa mère en Israël. Cadre dans une société de conseil informatique, lui, le benjamin, travaillait depuis 20 ans avec son frère aîné.
Impliqué dans sa communauté
Ce vendredi 9 janvier, il quitte le bureau en souhaitant un bon shabbat à son frère et son neveu. Même s’ils respectent le jour chômé hebdomadaire selon la loi juive, l’inquiétude poussera les Braham à se rendre dans l’après-midi devant l’Hypercacher pour tenter d’en savoir plus sur la situation. Sa femme a essayé de l’appeler quand elle a appris la prise d’otage, mais Philippe ne répond pas. Ils seront sans nouvelles tout l’après-midi. La police ne les contacte pas. La famille n’apprendra que tard, dans la soirée, que Philippe est l’une des victimes du terroriste.
Philippe et Valérie Braham, mariés depuis une dizaine d’années, formaient un couple pratiquant et très impliqué dans leur communauté. Installés à L’Haÿ-les-Roses, ils fréquentent la synagogue de Cachan et leurs enfants sont scolarisés à l’école Yaguel Yaacov de Montrouge, à 200 mètres du premier attentat de Coulibaly.
Philippe était très apprécié : tous parlent de sa gentillesse, d’un homme serviable, sur qui on pouvait compter. Ce qui explique peut-être le soutien important dont bénéficie la famille : beaucoup de membres de leur communauté (y compris leur rabbin) ont fait le déplacement depuis la France pour être présents lors de l’enterrement ou la semaine de shiva, certains avec des enveloppes qu’ils ont glissées à la veuve. Un ami de la famille, cardiologue à Cachan, a même lancé une levée de fonds pour aider Valérie Braham, actuellement mère au foyer. Pour qu’elle n’ait pas (au moins pendant les premiers mois) à ajouter à sa peine des préoccupations financières.
Et après ? Une fois la semaine de deuil terminée, après une visite privée au cimetière, les Braham sont rentrés en France pour « reprendre un peu leurs esprits ». Avant de revenir en Israël, définitivement cette fois. « C’est invivable pour nous là-bas maintenant », conclut une belle-sœur de Philippe.
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