Les victimes silencieuses

Quand les sirènes retentissent en Israël,des millions d’Israéliens attendent, accroupis, que le danger soit passé.

L'ambulance des secouristes au milieu du  camp (photo credit: FACEBOOK)
L'ambulance des secouristes au milieu du camp
(photo credit: FACEBOOK)
Tout conflit comporte un moment dangereux, quand les victimes commencent à devenir des nombres. Alors que le décompte des morts est rapporté régulièrement, les victimes silencieuses, elles, ne sont pas dénombrées.
Le fait de comparer le nombre des victimes d’un côté et de l’autre rend le conflit abstrait et insulte la mémoire des défunts.
Le peuple juif est traumatisé par les nombres – il érige des monuments et des musées pour garder la trace de chaque nom. Mais l’histoire de ce conflit est incomplète si l’on n’évoque pas les victimes silencieuses : les anonymes, les invisibles, les innombrables, qui souffrent, mais ne sont pas pris en compte dans les statistiques officielles. Une avalanche de sigles d’agences d’information internationales a déferlé sur Israël, accompagnée de graphiques d’information et d’images valant leur pesant d’or, tandis que la souffrance continue.
La souffrance des civils innocents de Gaza fait mal au cœur. En Israël elle est atténuée grâce au souci quasi fanatique de l’armée de protéger sa population civile. Les espaces sécurisés prévus pour résister aux tirs de missiles sont devenus incontournables dans la plupart des maisons israéliennes. Le système des alarmes Couleur rouge et les applications des smartphones préviennent les civils en temps réel. Le Dôme de fer, défense contre les missiles, fait obstacle aux intentions criminelles des missiles du Hamas et procure un sentiment de sécurité.
Quand les sirènes retentissent en Israël et que tout le monde court vers les abris, le Dôme de fer passe à l’action, mais ils sont des millions à attendre, accroupis, que le danger soit passé. Le stress provoque alors une hausse de la pression sanguine et du rythme respiratoire, et quantité d’autres réactions physiologiques et psychologiques.
L’impact immédiat sur la santé et le bien-être des Israéliens est mesuré sur le terrain par le personnel médical de Ihoud Hatzalah (Secours unis). Celui-ci enregistre une augmentation record de cas de douleurs de poitrine et de difficultés à respirer, signes précurseurs de crises cardiaques et d’urgences respiratoires chez les personnes à risques.
A Ashdod, par exemple, les brancardiers de Ihoud Hatzalah sont intervenus avec leur ambulance sur un jeune garçon de six ans, atteint d’une crise d’asthme dans un abri surpeuplé et étouffant. L’un des ambulanciers a risqué sa vie pour ramener à temps le vaporisateur de l’enfant, resté dans sa maison sans protection. Des mots apaisants et un peu d’oxygène ont sauvé la vie du jeune garçon.
Comment comptabilise-t-on cette victime ?
Il y a des centaines, voire des milliers, de cas similaires, de personnes souffrant silencieusement de la menace constante des tirs de missiles. Ils sont anonymes et leur silence est assourdissant.
A Jérusalem, les brancardiers de Ihoud Hatzalah sont intervenus sur une femme de 75 ans, touriste régulière en provenance des Etats-Unis. Cette fois, elle n’aura pu supporter les sirènes et la peur. Malgré tous les efforts de Ihoud Hatzalah, elle a succombé à une grave crise cardiaque. Comment comptabilise-t-on cette victime ? Est-ce une roquette du Hamas qui l’a tuée ? Qui peut-on désigner comme responsable ? C’est une victime silencieuse supplémentaire, enterrée en silence par ceux qu’elle aimait, pour lesquels elle n’a jamais été un nombre.
Le rapport le plus émouvant vient d’un brancardier attaché à une ambulance de Ihoud Hatzalah, intervenu auprès d’une rescapée de la Shoah originaire de Belgique. La femme de 81 ans tremblait de peur. L’ambulancier a doucement tenté de la calmer, mais elle a continué à trembler, se souvenant comment elle courait pendant la guerre vers la cave à charbon froide, sombre et humide. Le hurlement des missiles ressemblait à celui des bombes allemandes qui, lui semblait-il, cherchaient une petite fille juive terrifiée.
Cela a pris quelque temps pour la ramener au présent, mais elle présentait les symptômes d’une attaque cardiaque, très probablement due à une augmentation de sa pression sanguine.
Cette femme n’apparaît sur aucune liste, excepté sur celle du programme nommé Ten kavod (Donner du respect) de Ihoud Hatzalah, consacré aux rescapés de la Shoah.
Voilà dix ans que la vie de huit millions d’Israéliens est interrompue à chaque fois que des terroristes envoient un missile, un tir de mortier ou une roquette. Les gens courent s’abriter des projectiles presque quotidiennement.
Sans le solide programme de défense civile en Israël, on aurait déploré des dizaines de milliers de morts ou de blessés. Il y en a tout de même eu, des morts et des blessés, certes peu nombreux. Mais ils ne doivent pas faire oublier les traumatisés par le bruit des explosions ou des sirènes d’alarme, et les centaines de milliers de victimes silencieuses. u
L’auteur est président-fondateur de Ihoud Hatzalah.
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