La garce ou la bimbo?

Sa nomination fait grincer les dents. La nouvelle ministre de la Justice va devoir prouver qu’elle est autre chose qu’une belle plante

Ayelet Shaked, nouvelle ministre de la Justice (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
Ayelet Shaked, nouvelle ministre de la Justice
(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
Un mauvais rêve. Embuée de sommeil, j’entrevoyais la nouvelle ministre Ayelet Shaked sauter d’un calendrier de pin-up accroché sur les murs d’un lugubre garage automobile, quelque part dans un des plus sombres bas-fonds d’Israël, pour rejoindre une chorale de beautés du IIIe Reich. Que faisait cette fille d’Israël, membre fondateur du parti HaBayit HaYehoudi, avec toutes ces ravissantes Fräulein ? Je me redressai brusquement pleine d’effroi. Qui avait bien pu planter ces images sordides dans mon subconscient ?
C’est alors qu’une grimaçante apparition de Yosef Paritzky, m’est revenue. Ancien député, brièvement ministre des Infrastructures sous le gouvernement Sharon, Paritzky est depuis longtemps tombé aux oubliettes de la vie politique. Mais il reste hyperactif dans les médias sociaux où il agite les provocations et autres abus verbaux jusqu’à la violence. La plupart du temps, personne ne prête grande attention à ses ardeurs, mais sa réaction à la nomination ministérielle de Shaked a, elle, fait des vagues.
L’ancien député a cru bon de prendre pour cible l’apparence avantageuse de la nouvelle ministre, comme si cela pouvait éventuellement être retenu contre elle. « Pour la première fois en Israël, nous allons hériter d’une ministre de la Justice apte à poser pour les calendriers des garages automobiles », a-t-il ironisé.
Le lendemain, répondant au maelström de protestations qu’il venait de susciter, Paritzky insistait sur le fait qu’il est tout à fait sensé de faire des attributs physiques de Shaked un sujet de débat. « Elle apparaît nuit et jour dans des magazines de toutes sortes. Ce n’est pas comme si, que le ciel m’en préserve, je m’en étais pris à quelqu’un qui n’a jamais joué les top models devant un appareil photo pour bien faire la preuve de sa beauté – à l’image des femmes du [Troisième] Reich. » Puis, avec une innocence feinte, il lâchait : « Oh, pardon. Il est interdit de comparer. »
Même si Paritzky a connu sa première tentative parlementaire sur les listes du Meretz, les vaillants guerriers féministes du parti – comme leur actuel chef de file Zehava Gal-On ou la députée Michal Rozin – n’ont pas perdu de temps pour réprimander le mauvais garçon, pour sa « collection de répliques misogynes et inutiles ». Mais le plus grand péché de Paritzky n’est pas seulement son « mépris phallocrate des femmes », comme Rozin l’a noté, c’est le fait, bien pire encore, qu’il « entaille la légitimité de la critique, importante, qui doit être exprimée contre cette nomination ».
En clair, Paritzky est sanctionné pour avoir forcé les champions de la rectitude politique à exprimer un minimum de sympathie pour Shaked. Pour Rozin, Paritzky a détourné l’attention de l’objectif présumé de la ministre de la Justice, à savoir, saboter volontairement le système judiciaire tout entier. Si Paritzky aime nous faire croire que Shaked se pavane avec ostentation et exploite son apparence sans vergogne pour faire saliver les réparateurs de voitures, Rozin prétend-elle que la même Shaked « menace d’affaiblir le système judiciaire, de limiter les décisions de la Cour suprême et de saper l’équilibre des pouvoirs entre les autorités » ?
Aïe ! Shaked semble bel et bien avoir remplacé Avigdor Liberman comme ennemi public numéro 1. Et alors que l’ancien renégat découvre les accolades d’une gauche aux opinions taillées dans le moule, c’est désormais Shaked qui fait les frais de son mépris cinglant.
Les pleins pouvoirs
Les foudres qu’elle essuie ont encore monté d’un cran, après la tentative de défense perdue d’avance de l’un de ses plus illustres prédécesseurs au poste, le professeur Daniel Friedman. Au cours de son mandat ministériel (2007-2009) Friedman avait tenté en vain de réduire les excessifs penchants interventionnistes des tribunaux israéliens. Le ressentiment qui avait salué sa nomination s’était avéré tout aussi virulent que l’accueil hostile réservé à Shaked aujourd’hui.
La hache de guerre avait été déterrée entre Friedman et celle qui était alors présidente de la Cour suprême Dorit Beinisch. Cette dernière avait été jusqu’à annoncer qu’elle n’avait « pas de temps à perdre » en discussions stériles avec le ministre de la Justice. Et de convoquer une conférence de presse pour accuser Friedman de comploter pour diminuer l’autorité des tribunaux – en particulier de la Cour suprême – insinuant sombrement que les réformes qu’il concoctait porteraient atteinte aux libertés civiles.
C’est l’ancien président de la Cour suprême Aharon Barak – mentor de Beinisch – qui a introduit la notion que rien n’est en dehors de la juridiction des tribunaux. Le décret de Barak a longtemps été consacré comme inviolable et synonyme d’un Etat de droit. Cette mainmise d’envergure de son autorité judiciaire a rendu Israël unique en son genre. N’importe quel tribunal du pays a la possibilité de casser une législation de la Knesset sans base juridique solide. Pourtant, aucune loi fondamentale – l’équivalent d’une Constitution pour Israël – n’autorise les tribunaux à invalider la législation, si bien que Barak s’est basé sur des lois fondamentales telles que celle sur les droits de l’homme et la liberté d’occupation pour justifier ces intrusions démesurées (allant même jusqu’aux considérations concernant les champs de bataille militaires).
Friedman, en tant que vénérable professeur de droit, avait attaqué cet état de choses dans ses écrits prolifiques. Il avait proposé d’habiliter la législature à rejeter même l’annulation par la Cour suprême d’une loi promulguée, en donnant à la Knesset une chance de réadopter sa législation par une majorité absolue spéciale, sur les lignes du modèle canadien. Ce que Shaked préconise aujourd’hui.
En outre, Friedman avait cherché à modifier la méthode de sélection des juges de la Cour suprême, qui accorde à la présente cour un droit de veto sur les candidats et la possibilité de se reconduire. Beinisch avait ainsi personnellement banni de la Cour suprême l’associée de Friedman, la professeure Nili Cohen de l’université de Tel-Aviv, et Barak avait laissé sur la touche l’estimée professeure Ruth Gavison en raison de son « ordre du jour » – à savoir un ordre du jour différent du sien.
Shaked n’est donc pas la première ministre de la Justice à pousser à la réforme. Difficile de prédire exactement ce qu’elle va tenter ou comment les choses vont évoluer. Mais il y a fort à parier qu'elle aura du mal à parvenir à des avancées là où le puissant Friedman a échoué.
Ce n’est pas sa vision des choses qui devrait nous horrifier, mais le rejet systématique que chaque perspective de réforme rencontre.
Au lieu de considérer les tribunaux comme des bailliages privés intouchables, la guilde judiciaire fermée doit accueillir un débat constructif. Rien ne pourrait être meilleur pour notre démocratie qu’une délibération saine en lieu et place de la prise de pouvoir non démocratique par une minorité non élue et auto-reconduite, qui impose impérieusement sa philosophie politique et juridique au peuple.
Le vrai cauchemar serait de voir Shaked hors-jeu, comme Friedman l’a été, pendant que les Paritzky et autres Rozin réussiraient à la diaboliser au nom de la démocratie.
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