Etre juif, ici ou ailleurs

Révéler les mille et une facettes du judaïsme, faire tomber les préjugés pour tendre la main à l’autre. Telle était la mission du festival du film juif de Jérusalem

The little dictator, de Nurith Cohn (photo credit: DR)
The little dictator, de Nurith Cohn
(photo credit: DR)
Pour la 17e édition du festival du cinéma juif de Jérusalem, le lion, emblème de la ville, déploie sa crinière sous l’infini d’un ciel étoilé, bleu pâle. Cette affiche résolument moderne et discrète a donné le ton à cette manifestation attendue chaque année par une audience curieuse d’autres judaïsmes.
Hanoucca s’est aussi invité à la Cinémathèque ; les lumières brillent sur les écrans et dans les yeux des spectateurs impatients de découvrir d’autres mondes. Devant les portes des salles où l’on projette ces 40 pépites, sont distribués les traditionnels beignets, et des hanoukiot sont mises à la disposition des visiteurs.
Daniela Tourgeman, directrice de la programmation, l’a bien compris : les spectateurs viennent ici, certains pour renouer avec leurs racines, d’autres pour découvrir comment on est juif ailleurs, mais aussi en Israël. Dévoiler les multiples facettes du judaïsme et faire tomber quelques préjugés, telle est donc la mission de ce festival. Une ronde enchantée qui nous amène aux quatre coins du globe : Pologne, Allemagne, Egypte, France, Etats-Unis, Argentine. Dans ce pays, où on a parfois du mal à accepter l’autre, il est important de montrer de l’intérieur les mécanismes de ces univers inconnus ou rejetés… On en sort parfois plus tolérant, prêt à tendre la main à celui à qui, avant le film, on aurait tourné le dos.
Ori Gruder, la révélation
Il fait tomber tous les masques, déstabilise et intrigue à la fois. Ori Gruder est religieux, ultraorthodoxe, hassid de Braslav. Il fait aussi du cinéma ; on aurait presque envie d’ajouter, son cinéma. Nous l’avons rencontré à la cinémathèque alors qu’il était juge, chofet, mais pas d’un tribunal rabbinique. Rien à voir non plus avec la paracha Choftim. Fiancé éternel d’une âme perdue, il est le passeur d’un siècle à l’autre. Ori Gruder promène sur le monde un regard amusé, et le sourire qui s’affiche sur son beau visage régulier en dit long sur sa révélation, sur son nouveau chemin, pris il y a quinze ans, et sur ce cinéma-là, qu’il fait aussi pour témoigner de quelque chose.
Juge dans la sélection des courts-métrages israéliens, il choisira : The little dictator de Nurith Cohn. Un film hilarant sur un professeur frustré qui rêve de la grande Histoire et imite les dictateurs qu’il enseigne. Emmanuel Cohn, frère de la metteuse en scène, est époustouflant dans le rôle. Le prix a été décerné à la mémoire de Bnaya Zuckerman, tuée en 2004 dans un attentat. Elle avait 18 ans.
Ori Gruder a aussi présenté son film, Happy Purim, deuxième documentaire après Sacred sperm qui l’avait fait connaître du public, sur le tabou de la masturbation masculine chez les juifs ultraorthodoxes. « Tu ne répandras pas ta semence en vain », dit le précepte biblique. Oui, mais comment ? A l’origine du film, les inquiétudes d’un père, le réalisateur lui-même, qui ne sait pas aborder ce sujet, et la sexualité en général, avec son fils de dix ans.
Dans Happy Purim, Ori Gruder déroule cette journée festive chez les ultraorthodoxes : de la tournée des jeunes pour distribuer la tsedaka au pauvres, jusqu’à l’enivrement, en passant par les déguisements les plus farfelus. Scène saisissante qui revient pour ponctuer le film comme une lueur du passé : des centaines et centaines de hassidim avec leur chtraimel chantent dans la grande synagogue de Belz. Un documentaire détonnant avec une dynamique propre au metteur en scène. Dans les coulisses de la fondation Gesher, qui aide les jeunes talents, on évoque déjà son premier long-métrage qui sera inoubliable.
Dans une veine similaire, mais en moins habité, Dybbuk, a tale of wandering soul du polonais Krzysztof Kopczynski raconte le pèlerinage des adeptes de Braslav dans la ville d’Ouman où se trouve la tombe du célèbre rabbin Nachman. Tous les ans, pour Roch Hachana, ils viennent par milliers, du monde entier, sous le regard méfiant des habitants, partagés entre cette vieille haine antisémite et le bénéfice que ces étranges visiteurs apportent à la ville.
My holocaust
Qui dit film juif, dit Shoah… Là encore, l’indicible était au cœur de la thématique du festival. Qui s’y frotte, s’y pique un peu. Il faut s’appeler Roman Polanski pour y exceller. Son film Le Pianiste a été projeté en la présence exceptionnelle de son monteur Hervé de Luze. Moins heureux, le film d’Uri Barbash, Kapo in Jerusalem : quand Bruni, un ancien kapo, arrive à Jérusalem, il est reconnu par certains survivants. Face à la caméra, ces derniers racontent… Une série de témoignages ennuyeux, un film peu crédible, malgré l’excellence des acteurs. Uri Barbash avec son chef-d’œuvre Beyond the wall en 1979 – un des premiers films israéliens à passer la frontière et à faire connaître le visage de ce nouveau cinéma – nous avait habitués à mieux.
Même constat pour le premier long-métrage d’Amir J. Wolf, Firebirds : l’humour et l’interprétation magistrale des trois comédiennes ne fait pas tout passer.
Compétition internationale :
The Schoumann Award for the Jewish Cinema
Pour la première fois, le festival a décidé de remettre un prix. Un jury constitué de trois personnes ; une série de films internationaux. Le vainqueur est un film argentin : How to win enemies de Gabriel Lichtmann. Forte d’une importante communauté juive, l’Argentine est aussi dotée d’un cinéma riche avec de jeunes metteurs en scène originaux. On y croise, toujours au détour d’une intrigue, un mariage juif, un air de yiddish. Dans ce film, Gabriel Lichtmann met en scène un jeune avocat qui va résoudre une énigme.
Karin Albou : une formidable légèreté d’être
Connue pour ses deux précédents films, La petite Jérusalem et Le chant des mariées, Karin Albou nous livre dans sa dernière réalisation, Ma plus courte histoire d’amour, le portrait hilarant d’un couple qui débat de sa relation au creux de l’oreiller. A mi-chemin entre Eric Rohmer, François Truffaut et Woody Allen, la réalisatrice réussit avec tendresse et émotion à nous entraîner dans cette histoire rocambolesque et revigorante. Une manière de filmer bien à elle qui la place définitivement dans les talents du cinéma français d’aujourd’hui.
Ravie d’être à Jérusalem, elle nous a fait part de ses craintes de montrer, au cœur de la Ville sainte, un film où les protagonistes sont nus pendant presque toute l’intégralité de l’intrigue. Mais pas de mauvais goût. Karin Albou, aussi comédienne, s’est mise en scène alors qu’elle était enceinte. Une lumière magnifique où les corps jamais totalement dévoilés révèlent une grande pudeur. Le public est conquis par le foisonnement de scènes. Cela virevolte et frémit, sourit à la vie comme le parfum d’un été oublié.
La France était également à l’honneur avec la jeune Elodie Ferré qui présentait son documentaire : Coming back. Depuis quelques années, Berlin fascine les Israéliens. Caméra au point, Elodie Ferré est allée interviewer six sabras qui racontent la relation complexe qui les unit à l’Allemagne. Tous sont bien sûr des petits-enfants de survivants de la Shoah, pour la plupart issus de familles berlinoises… Pour ceux qui ont manqué le festival, le rendez-vous est pris : l’année prochaine à Hanoucca !
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