Le fruit de Jouvence

La passiflore intéresse particulièrement les chercheurs. Elle détiendrait en effet certaines vertus pour lutter contre le processus de vieillissement cérébral

Une fleur de passiflore (photo credit: FLASH90)
Une fleur de passiflore
(photo credit: FLASH90)
Il est communément admis que lorsque notre santé est en jeu, nous nous adressons au corps médical qui prescrit des traitements, parfois même plus que nécessaire. Si les médicaments restent indispensables, les chercheurs explorent certaines alternatives, même dans le cas de graves maladies. De plus en plus de scientifiques et d’experts s’accordent notamment pour constater que vitamines, sels minéraux et nutriments influent directement sur notre bien-être, et qu’ils pourront à l’avenir jouer un rôle actif de plus en plus actif sur notre santé. Cette évolution nécessite un changement drastique dans les mentalités, ainsi qu’une meilleure prise en compte de la diététique et de ses bienfaits dans le traitement de certaines maladies.
Les recherches menées depuis une dizaine d’années sur le fruit de la passion sont une parfaite illustration du potentiel curatif d’un aliment. Une nouvelle variété de ce fruit, créée au département d’agriculture de l’Université hébraïque à Rehovot, pourrait ainsi devenir l’aliment miracle que nous attendons tous… Certaines recherches préliminaires particulièrement encourageantes laissent ainsi penser qu’il pourrait permettre de lutter contre les dégâts neurologiques à l’origine des maladies de Parkinson et Alzheimer.
De multiples atouts
« Nous sommes face à une frontière culturelle qu’il faut franchir. Les médicaments ont beaucoup d’effet sur un petit nombre de personnes, alors qu’une bonne nutrition a des résultats plus modestes, certes, mais sur une très grande échelle. Quand vous multipliez un petit effet sur des centaines de millions de personnes, cela représente un énorme potentiel », souligne le Pr Aron Troen, directeur du Centre de recherche sur le cerveau et l’un des trois scientifiques étudiant les bienfaits de cette nouvelle variété de fruit de la passion.
« Quand on m’a demandé d’enquêter sur une découverte médicale d’importance impliquant la passiflore, j’ai aussitôt pensé aux plaisanteries qui pourraient en découler. J’ai ainsi imaginé raconter l’histoire du gars qui achète six fruits de la passion et retourne au supermarché le lendemain pour être remboursé. “Pourquoi voulez-vous être remboursé ?”, demande avec étonnement le vendeur. “Parce que j’en ai avalé six la nuit dernière et seul un a fait son effet”, explique le gars. »
Une chose est sûre, les vertus secrètes de cet aliment ne résident pas dans un quelconque pouvoir aphrodisiaque. « Cela n’a rien à voir avec la passion », précise le Pr Alon Samach, un autre des scientifiques conduisant les recherches sur ce fruit. Et le professeur de m’expliquer qu’au Brésil, d’où est originaire le fruit à la peau violette, il est appelé ainsi car certaines pièces florales ressemblent à une couronne d’épines, à un marteau ou encore à des clous, ces éléments évoquant la passion du Christ. C’est du moins ce qu’ont pensé les missionnaires venus évangéliser les Indiens d’Amérique du Sud, qui ont découvert la passiflore et l’ont baptisé.
Les fruits de la passion sont avant tout recherchés pour leur pulpe et sont très populaires dans le continent sud-américain, notamment au Brésil où ils sont utilisés dans la préparation de boissons locales et de yaourts. Ce fruit à l’odeur agréable entre également dans la composition de nombreux produits cosmétiques (shampoing, savon…). Mais ses vertus sont encore bien plus nombreuses qu’on ne le croyait. Une nouvelle variété de passiflore, créée par le Pr Samach et dénommée « Dena », pourrait avoir un effet bénéfique sur la santé et le bien-être de millions de personnes dans les prochaines années.
Le scientifique explique comment son expertise en biologie lui permet de faire des croisements de graines. Dans le cas du fruit de la passion, son objectif était de créer une nouvelle variété moins acidulée et avec un aspect plus appétissant pour orner les étals des supermarchés. « Si je prends un fruit plutôt appétissant, mais un peu amer, et que je le croise avec un autre fruit moins esthétique, mais plus sucré, dans l’année j’obtiens un fruit hybride », relate-t-il au cours d’une conversation près de la serre du campus de Rehovot, où il passe le plus clair de ses journées. Le succès, cependant, n’est pas systématiquement au rendez-vous. « L’expérience ne réussit pas toujours dès la première fois, car il faut prendre en compte les paramètres génétiques, et vous avez souvent besoin de vous y prendre à plusieurs reprises avant de parvenir à un résultat équilibré, à la combinaison juste. Rien n’est prévisible dans les croisements », tient-il à préciser.
Une arme contre les radicaux libres
Pourquoi un tel intérêt pour la passiflore ? Parce qu’une de ses caractéristiques, tout comme pour les myrtilles d’ailleurs, est sa richesse en éléments antioxydants qui ont la capacité de combattre les radicaux libres. Ce fruit a aussi l’avantage d’être facile à cultiver et rentable pour les agriculteurs. De nombreux atouts qui ont conduit des organisations caritatives à financer des projets de plantation de fruits de la passion.
« Au Kenya et en Ouganda, il est cultivé dans de petites fermes familiales. La production est ensuite vendue en Europe et dans d’autres pays. Je suis allé en Afrique, envoyé par la Fondation Bill et Melinda Gates, pour encourager les femmes à cultiver ce fruit dans leurs jardins, et disposer ainsi de ressources supplémentaires afin de financer l’éducation de leurs enfants. Et cela fonctionne », explique le Pr Samach. En Israël, la récolte annuelle du nouveau fruit « Dena » offre aux agriculteurs un énorme potentiel commercial à l’exportation, mais aussi dans le domaine médical.
La richesse en antioxydants de ce fruit a conduit les scientifiques à mener des essais sur des rats et des souris atteintes de dégénérescence neurologique comme dans le cas de la maladie d’Alzheimer ou de Parkinson. Aron Troen et Oren Tirosh sont partis de l’hypothèse que grâce à son pouvoir antioxydant, ce fruit pourrait diminuer les symptômes de ces maladies.
Aron Troen souligne que plusieurs facteurs prédisposent au développement de la maladie d’Alzheimer : forte pression artérielle, taux élevé de cholestérol, mauvaise irrigation du cerveau… La qualité de l’alimentation et le métabolisme de chacun jouent aussi un rôle dans l’évolution de la maladie. Les médecins ont également constaté que les radicaux libres ont une responsabilité importante dans la progression de la maladie d’Alzheimer, en attaquant les cellules et les tissus du cerveau. Un des moyens de lutter contre cette prolifération de radicaux libres (dont certains proviennent de notre environnement) est de consommer des aliments riches en antioxydants, susceptibles de les neutraliser.
« Si vous examinez les cerveaux des personnes mortes de démence, 90 % présentent des dommages vasculaires. Les cellules du cerveau sont très sensibles aux apports nutritionnels », explique Aron Troen. « Le fait de pouvoir agir sur les cellules cérébrales grâce à l’ingestion d’un simple fruit nous aide à comprendre, par l’examen de la composition moléculaire de celui-ci, pourquoi certaines personnes vieillissent mieux que d’autres », poursuit-il.
En tant que spécialiste du métabolisme, Oren Tirosh a commencé à s’intéresser au fruit de la passion en 2010, lorsqu’il a été scientifiquement prouvé que ce fruit était riche en nutriments capables de protéger les membranes entourant les neurones et de lutter contre les radicaux libres, en partie responsables du vieillissement cérébral.
« Oren a créé un échantillon de culture cellulaire dans son laboratoire et l’a exposé à un environnement qui agit sur le processus de vieillissement des tissus. Il a fait plusieurs expériences auxquelles je me suis joint, et a prouvé que certains dégâts pouvaient être freinés en ajoutant une petite quantité de jus concentré de fruit de la passion dans les tissus des cellules. C’était très impressionnant », explique son collègue Aron Troen.
Pour autant, le rôle protecteur des antioxydants contenus dans le fruit de la passion peut-il agir également sur les cellules du cerveau ? Pour répondre à cette question, les chercheurs ont mené des tests sur des souris atteintes de la maladie de Parkinson. « Nous avons constaté que cela fonctionnait. Cette expérience nous en a fourni la preuve », se souvient le Pr Troen, qui a travaillé pendant plus de 10 ans au Centre de recherche sur la nutrition et la gérontologie, au sein de l’université Tufts à Boston.
L’essai sur les souris a donc été une réussite. Les scientifiques cherchent maintenant aller plus loin en vérifiant sur des humains le potentiel de ce fruit sur les signes de vieillissement naturel des cellules. Avec cette interrogation en ligne de mire : est-il possible de stopper la dégradation des connexions nerveuses cérébrales liée au vieillissement, et qui s’accompagne de désordres mentaux et de troubles cognitifs ? Pour l’instant le débat reste entier, car il faut avant tout déterminer si la détérioration des cellules avec l’âge est naturelle ou bien liée à une maladie. Et il demeure très compliqué de faire la part des choses, tant les paramètres sont difficiles à mesurer.
Les effets du vieillissement sur les capacités cognitives débutent bien longtemps avant qu’ils ne soient visibles. Quand quelqu’un se met à oublier où il a garé sa voiture, ou le nom d’une autre personne, c’est que son cerveau commence à montrer les signes d’une détérioration, lente et insidieuse. « La seule solution est de stopper le processus très en amont pour éviter qu’il ne s’enclenche, ou si le processus de vieillissement est déjà entamé, de ralentir sa progression. Il s’agit ici non pas de prolonger la vie, mais d’en améliorer la qualité », fait remarquer le Pr Troen, ajoutant que le souci premier des chercheurs est d’améliorer la santé mentale des personnes âgées.
Stopper les effets du temps
L’aspect socio-économique joue également un rôle dans le développement des maladies neurodégénératives. « Quand vous examinez les statistiques, vous vous apercevez que les gens qui mangent sainement sont moins concernés par le diabète, les maladies cardiaques, les cancers et la démence. Ceci peut aussi s’expliquer par des conditions socio-économiques favorables : plus on a d’argent et mieux on se nourrit », ajoute le chercheur.
« On peut toujours douter de l’effet de la nutrition sur la qualité du vieillissement. Mais de nombreuses études prouvent qu’une alimentation saine se traduit par une meilleure santé. Il y a un rapport direct de cause à effet », poursuit Aron Troen.
L’an dernier, une revue scientifique (Journal of Functional Foods) a publié les résultats de tests conduits sur des rats, exposés à des toxines, dont certains avaient été nourris avec la variété de fruit de la passion « Dena ». Les résultats sur ce dernier groupe étaient très encourageants. L’expérience consistait à prélever des cellules des cerveaux des rongeurs et à constater les dommages des toxines sur le nombre de neurones. Il est apparu que les rats nourris avec Dena résistaient mieux aux toxines, et que le taux de survie de leurs neurones était de 50 % supérieur à celui des neurones dans le cerveau des rats témoins. « Leur capacité de résistance était bien plus élevée », souligne Troen. « Ceci prouve bien qu’il existe un impact biologique dans le processus de la maladie. Nous n’avons pas encore trouvé de traitement pour lutter contre les maladies de Parkinson ou d’Alzheimer, mais il y a des moyens pour amoindrir leurs effets », précise le chercheur.
Un autre test a été mené sur des rats, relatif à leur processus de vieillissement cérébral. La durée de vie d’un rat en captivité est d’environ deux ans. L’expérience consistait à examiner la dégradation des vaisseaux du cerveau de ces rongeurs dans le cadre d’un vieillissement naturel, afin de voir s’il existait un moyen de prévenir cette détérioration. Deux groupes de rats ont été formés : six mois avant le test, une moitié des rats a été nourrie avec un fruit de la passion basique, déjà naturellement riche en antioxydants, tandis que l’autre moitié a été nourrie avec la variété « Dena ».
En testant leurs capacités cognitives par leur rapidité à sortir d’un labyrinthe, les rats âgés de 18 mois (soit considérés comme vieux) et nourris avec « Dena » se sont montrés aussi performants que leurs congénères de 12 mois, aussi bien dans la rapidité de leurs mouvements que leur habilité à trouver l’issue. En d’autres mots, les rats nourris avec « Dena » ont vu le processus de dégradation de leurs capacités cognitives stoppé, témoignant d’un âge cérébral égal à 12 mois.
Outre ces résultats très encourageants, il s’avère également que la mise en place d’un traitement diététique est bien plus facile à prescrire. Tout le monde sait qu’avant de mettre un médicament sur le marché, les groupes pharmaceutiques doivent attendre des décennies et mener des milliers d’essais cliniques très coûteux. Ce qui n’est pas le cas en ce qui concerne les composants alimentaires : les tests sur l’homme peuvent être plus rapidement entrepris.
Après les résultats concluants sur les rongeurs, les anciens collègues d’Aron Troen de l’université Tufts de Boston mènent aujourd’hui des essais avec des myrtilles sur des Bostoniens en bonne santé, mais d’un certain âge. Après trois mois de régime de myrtilles, les chercheurs ont examiné la mobilité et les réactions cognitives de ces patients : les résultats sont probants. « On peut désormais légitimement penser qu’il existe des solutions permettant de freiner les effets du vieillissement », souligne le professeur Troen.
Difficile toutefois d’aller plus loin dans la recherche, le vieillissement naturel ne pouvant être considéré comme une maladie contre laquelle il faudrait lutter. Pour la FDA (organisme de contrôle et d’autorisation de mise sur le marché des médicaments aux Etats-Unis), il faut être capable de prouver qu’un élément nutritionnel est susceptible d’arrêter les symptômes de la maladie d’Alzheimer et qu’il ne s’agit pas simplement de stopper le processus de vieillissement naturel. Seulement pour prouver ceci, il faudrait mener des tests sur des milliers de personnes sur une longue période.
« Il est cependant possible de continuer à mener des expériences avec la myrtille ou le fruit de la passion soit en augmentant la taille de l’échantillon pour obtenir des résultats plus significatifs, soit en prolongeant la durée de l’expérimentation. Dans les deux cas, le coût est de quelque 300 000 dollars par an, bien moindre que les milliards de dollars investis dans les essais médicamenteux », fait remarquer Troen.
Le scientifique estime pour sa part que le vieillissement naturel du cerveau n’est pas une maladie et qu’il est donc possible de se préserver d’une dégradation des neurones. « Si vous donnez aux gens des vitamines, l’atrophie de leur cerveau (liée à la perte de neurones) se réduit, et leurs activités cognitives se stabilisent », indique-t-il.
Nous n’en sommes encore qu’au tout début des recherches, mais il est fort possible que ce modeste fruit de la passion et sa nouvelle variété « Dena » jouent prochainement le rôle de super-nutriment pour aider le cerveau à rester jeune plus longtemps. « Le corps médical se doit d’accorder plus de place à la prévention comme moyen de traiter les énormes défis de santé qui se présentent à nous, et plus d’attention aux nutriments à notre disposition », conclut Aron Troen. Tout n’est-il pas dans la nature ?
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