Le vote qui a changé l’histoire

Israël marque le 70e anniversaire du plan de partage adopté par l’ONU

Les juifs de Jérusalem en liesse le 30 novembre 1947 (photo credit: REUTERS)
Les juifs de Jérusalem en liesse le 30 novembre 1947
(photo credit: REUTERS)
Le 29 novembre 1947, l’Assemblée générale de l’ONU adoptait une résolution proclamant le droit du peuple juif à fonder un Etat sur le territoire de sa patrie historique. Alors que nous marquons le 70e anniversaire de ce tournant décisif, il est important de revenir sur le contexte historique et le processus ayant mené à cette décision.
Les étapes
Le 4 janvier 1946, dans les lendemains tumultueux de la Seconde Guerre mondiale, la commission d’enquête anglo-américaine sur la Palestine est créée à Washington. Son objectif : étudier l’immigration juive et son implantation en Palestine, ainsi que les conditions de vie des habitants de la région. La commission doit entreprendre des consultations avec des représentants arabes et juifs et faire des recommandations « si nécessaire ». Le rapport est publié à Lausanne au mois d’avril de la même année. Sa conclusion principale est qu’il faut autoriser les 100 000 juifs vivant dans des camps de personnes déplacées à immigrer immédiatement en Palestine. Mais le projet ne sera jamais mis à exécution. Les Etats-Unis refusent en effet de fournir aux Britanniques le soutien financier nécessaire en prévision d’une révolte arabe. Après ce refus catégorique du président Harry Truman, le projet est abandonné.
En octobre 1946, Rebecca Affachiner, la créatrice du drapeau d’Israël qui vivait à Jérusalem, écrivait : « Bien que les Britanniques se soient montrés bienveillants à mon égard, je sais qu’il est temps qu’ils laissent la Palestine au peuple juif. » Par la suite, Rebecca, amie du Haut Commissaire pour la Palestine, Sir Harold Alfred MacMichael, apprendra par la presse que les Britanniques ont abandonné l’idée de réconcilier Juifs et Arabes, et que le gouvernement de Sa Majesté s’apprête à rendre son mandat sur la Palestine aux Nations unies.
En mai 1947 est créée la Commission spéciale de l’ONU sur la Palestine (UNSCOP), constituée des représentants de 11 pays. Une délégation de cette instance se réunit à Jérusalem. Rebecca Affachiner assiste à une grande partie des débats. Le rapport de l’UNSCOP paraît le 3 septembre 1947. Il préconise la fin du mandat britannique sur la Palestine dès que possible et la division de la Palestine en deux Etats : un arabe et un juif. C’est le fameux plan de partage.
Le rôle prépondérant de la communauté américaine
Aussitôt, les sionistes américains et leurs amis haut placés organisent une campagne de sensibilisation pour promouvoir l’adoption de cette proposition. L’écrivaine Shulamit Schwartz Nardi raconte : « Au début des années 1940, j’ai travaillé pour Abba Hillel Silver, un rabbin libéral de Cleveland très sioniste qui avait pris fortement position en faveur d’un Etat juif. Il a contribué à la parution de nombreuses publications visant à faire connaître au monde anglophone ce qui se passait en Terre d’Israël. Le livre de Walter Clay Lowdermilk, Palestine : Land of Promise, fait partie de ces publications. Cet ouvrage décrivant la manière dont les juifs développaient l’agriculture en Eretz Israël a eu un fort impact. Des milliers d’exemplaires se sont vendus à travers le monde. « Nous étions l’un des principaux groupes de pression qui travaillaient à faire adopter le plan de partage », raconte Shulamit Nardi. « Nous recevions l’aide très précieuse d’Herbert Bayard Swope, grand journaliste et financier, qui avait créé une agence de presse concurrente de la Jewish Telegraphic Agency. »
A l’automne 1947, après la publication du rapport de l’UNSCOP, les rabbins américains ne manquent pas de sujets pour leurs sermons. Le rabbin Tuvia Geffen d’Atlanta en Géorgie, sait à peu près tout ce qui se passe, grâce au Tag-Morning Journal qui lui arrive chaque jour de New York par le train. Ce quotidien en yiddish possédait ses propres correspondants en Palestine, qui écrivaient des articles détaillés et plus précis que les journalistes des autres publications. A Roch Hachana, le dirigeant religieux prononce un discours vibrant en yiddish : « Nous avons attendu très longtemps notre propre pays. Dieu nous a promis que nous retournerions en Eretz Israël et il semble que le moment soit venu ! », clame-t-il.
Des images d’archives rendent compte de l’allocution de l’éloquent rabbin Silver à la tribune de l’ONU sur l’importance d’un Etat juif. C’est David Ben Gourion qui, peu désireux de s’exprimer lui-même, lui a demandé de prononcer ce discours, et le rabbin Silver s’est révélé à la hauteur. Il évoque la promesse divine, la longue attente du retour en Eretz Israël qui a commencé au Moyen Age, et l’immense espoir de voir naître une nation à l’époque moderne. Il parle ensuite de la mort terrible des six millions de juifs dans la Shoah, ainsi que du sort des nombreux réfugiés qui vivent encore dans des camps de personnes déplacées dans toute l’Europe, de ces êtres humains à qui il faut un foyer.
La célèbre auteure américaine Zipporah Porath, installée en Eretz Israël depuis 1947, raconte, dans Letters from Jerusalem, 1947-1948, ses expériences pendant cette période cruciale. « Nous étions là, à Jérusalem, et pourtant, il n’y avait pas de discussions ouvertes sur ce qui pourrait advenir, ne serait-ce que le mois suivant. Nous savions que des juifs mouraient sans cesse autour de nous et nous avions instauré d’importantes mesures de sécurité. On nous engageait à la prudence.
« Etant née en Amérique dans une famille sioniste, j’exprimais mon désir de voir un jour le peuple juif souverain sur sa terre dans les réunions et les activités des mouvements de jeunesse auxquelles je prenais part. La Haganah, de son côté, mettait déjà en pratique le rêve sioniste en revendiquant l’identité nationale juive en Palestine. Je n’ai pas hésité longtemps avant de la rejoindre. »
Un pays en liesse
Au mois d’octobre et jusque début novembre, Zipporah visite le pays, puis commence les cours à l’Université hébraïque, jusqu’à ce samedi soir décisif du vote pour le partage de la Palestine. Le dimanche 30 novembre au matin, elle écrit à ses parents et à sa sœur : « J’ai marché dans un état d’hébétement au milieu d’une foule de visages joyeux, alors que résonnait à mes oreilles la musique assourdissante de la chanson David, Melekh Israël, haï, haï vakayam. Les chars et les jeeps britanniques étaient pris d’assaut par des enfants qui agitaient de petits drapeaux. »
Elle évoque le moment du vote : « Dans ma chambre, la lumière était restée allumée depuis la veille. J’avais prévu de me coucher tôt, car la rumeur disait que le vote de l’ONU sur le plan de partage serait retardé d’une journée. » Elle raconte ensuite la montée de l’excitation. A 11 heures du soir, un étudiant a frappé à sa porte en criant : « On reçoit les programmes de la radio America, viens, descends vite ! Le vote a lieu cette nuit, il est en cours ! »
Des étudiants en pyjamas étaient agglutinés dans une salle autour d’un vieux poste de radio. La tension était à son comble. « Nous sommes arrivés à l’instant même où l’on proclamait les résultats du vote : 33 pour, 13 contre, 10 abstentions. Fous de joie, en délire, nous nous sommes tous embrassés, puis chacun s’est immobilisé pour chanter l’Hatikva avec une grande ferveur. » Les étudiants ont vite regagné leurs chambres pour s’habiller, et sont montés sur le toit de l’université, avant de se précipiter dans la rue. « Nous avons formé une farandole jusqu’aux premières maisons et réveillé tout le monde en frappant aux volets et aux portes et en criant la bonne nouvelle… Les rues de la ville commençaient à se remplir à mesure que la nouvelle se répandait. Les habitants sortaient de chez eux et formaient un flot de plus en plus compact. Au centre-ville, les gens fous de joie s’embrassaient et dansaient des horas. »
Zipporah parvient bientôt devant l’Agence juive, sur l’avenue King George. Au balcon était accroché un drapeau d’Israël. Soudain, Golda Meïr est apparue. « Il n’existe pas de mots pour décrire ce moment », raconte Zipporah Porath. « Tremblante d’émotion, elle a réussi à articuler “Mazal Tov” et elle a fondu en larmes, un océan de larmes de joie. »
Longue vie à l’Etat juif
Ben Gourion s’exprimera du même balcon le lendemain matin, dimanche 30 novembre. Là encore, Zipporah Porath était présente et décrit l’événement : « Il a promené un long regard solennel sur les toits des maisons, qui étaient noirs de monde, puis sur la foule attentive rassemblée dans la cour au-dessous de lui. Alors il a levé la main et déclaré : “Ashreinou, shezakhinou layom hazeh” [Nous sommes bénis, nous qui avons eu le privilège de vivre pour voir ce jour]. Il a conclu son discours par les mots “Tehi medinat Israël !” [Longue vie à l’Etat juif !] et le chant solennel de l’Hatikva a retenti de toutes parts. Le moment était trop grandiose pour qu’on ne soit pas saisi par l’émotion : rares étaient les spectateurs qui ne pleuraient pas et dont la voix restait ferme. » Puis est venu le moment le plus exaltant de tous : « Ben Gourion a rejeté fièrement la tête en arrière, touché tendrement le drapeau qui flottait devant lui, et l’air s’est chargé d’électricité quand il a proclamé d’un air de défi : “Nous sommes un peuple libre.” »
Au cours d’une cérémonie secrète qui se déroule entre le 4 et le 12 décembre, Zipporah Porath fait son entrée dans la Haganah. Quelques jours plus tard, à New York, Israël Goldstein, président du United Palestine Appeal, préside un meeting à Madison Square Garden. Peu après, 50 leaders juifs américains se réunissent à Atlantic City, dans le New Jersey. Ils ont été sensibilisés par David Ben Gourion et d’autres sur les besoins des habitants de la Palestine et des juifs qui sont encore dans les camps de personnes déplacées. La décision est prise de rassembler 250 millions de dollars pour le nouvel Etat d’Israël. Le pari sera tenu…
Entre 1940 et 1965, le rabbin Tuvia Geffen a tenu en yiddish un journal intime, que sa fille, Helen Geffen Ziff, a commencé à traduire avant de s’éteindre à Jérusalem. Le 29 novembre 1947, Tuvia Geffen écrivait : « Excellente semaine pour tous les juifs et pour nous-mêmes. Aujourd’hui, la radio nous a appris une bonne nouvelle : l’ONU a voté à une majorité des deux tiers un plan divisant la Palestine en deux Etats : un juif et un arabe. Il s’agit d’une nouvelle extrêmement importante, car elle marque le début de la renaissance du peuple. Nous parlons de “renaissance” parce que, maintenant, le peuple juif va entreprendre le retour dans son propre pays, en Palestine. Félicitations, avec la bénédiction de Mazal tov pour le peuple juif dans le monde entier. »
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