Avigdor Liberman, le modéré ?

Il livre sa vision d’une solution pacifique au conflit et de la façon dont Israël doit traiter avec la nouvelle administration américaine

Avigdor Liberman à la Knesset (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
Avigdor Liberman à la Knesset
(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
Sa nomination était inattendue. Le Premier ministre Netanyahou a pris le pays et la classe politique de court en mai dernier en désignant Liberman à la tête de la défense israélienne. Le monde s’attendait alors au pire. La presse affirmait sans ambages que ce serait un désastre pour l’Etat ; un journal a même qualifié sa nomination de « jour noir pour le pays ». D’autres ont ressorti du placard certains de ses propos et ont mis en garde : avec lui à la tête de l’armée, la guerre ne tarderait pas. Pourtant, à regarder les huit mois écoulés, ils se sont bien trompés.
Depuis son retour aux affaires, Liberman est devenu l’une des seules voix pragmatiques et modérées de la coalition au pouvoir. Il a par exemple autorisé des constructions palestiniennes en zone C, chose que ses prédécesseurs avaient toujours refusée. Alors que les membres du gouvernement et du Likoud clament que la solution à deux Etats est morte, lui veut encore y croire et pense que c’est le seul chemin à suivre pour atteindre la paix. Il affirme cependant que le monde a changé depuis Oslo et que la paix ne pourra venir que si l’accord entre Israéliens et Palestiniens inclut des échanges de territoires et de populations.
Certains membres de l’opposition s’inquiétaient également des rapports futurs entre Liberman et Tsahal mais en réalité, le ministre a développé un véritable lien de confiance avec le chef d’état-major Gadi Eisenkot.
Enfin, s’il a pris parti pour le soldat Elor Azaria dès le début de l’affaire, le leader d’Israël Beitenou a été l’un des seuls politiciens à demander au public de respecter le jugement du tribunal. Bien qu’il ait admis ne pas apprécier le verdict, il aime encore moins la façon dont certains ont politisé le procès aux dépens de l’armée.
Liberman et les Américains
Avigdor Liberman reste ferme sur ses convictions. Pour lui, l’Iran est la principale menace régionale. Lorsqu’on lui fait remarquer que le général James Mathis, le nouveau secrétaire américain à la Défense, a le même avis que lui, Liberman sourit. « Je suis heureux d’entendre que de grands hommes pensent comme moi «, répond-il, précisant qu’il n’a jamais rencontré le général américain, mais que ce dernier est connu et respecté des officiers supérieurs israéliens. Le ministre de la Défense est de ceux qui voient la nouvelle administration de Donald Trump comme une opportunité sans précédent pour Israël. Mais contrairement à certains de ses collègues ministres comme Naftali Bennett, il ne croit pas que profiter de la nouvelle diplomatie américaine pour promouvoir une annexion unilatérale de territoires de Judée-Samarie soit une bonne chose. Il affirme que le pays doit travailler avec la nouvelle administration afin de définir un plan d’action pour débloquer la situation avec les Palestiniens. « Nous n’avons que trop combattu l’administration Obama. Nous ne devons pas faire la même chose avec Trump. » Il prévient pourtant le nouveau président et son cabinet : « Ne tombez pas dans le même piège que Clinton, Bush et Obama, en pensant que vous pourrez résoudre le conflit d’un coup de baguette magique. »
La stratégie arabe de Liberman
La stratégie du ministre de la Défense est claire, non seulement pour avancer sur le chemin de la paix avec les Palestiniens et l’administration Trump, mais également avec le monde arabe en général.
Liberman a d’ores et déjà défini ce que devaient être les grands axes de la coopération israélo-américaine sous l’ère Trump : la question palestinienne, l’Iran, la Syrie et la guerre contre le terrorisme. Il passe sur la question du transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem : selon lui, cela serait un événement important, mais il pense qu’une telle éventualité ne devrait pas être la préoccupation principale des Israéliens. Pour le ministre, la première chose qui doit être débattue avec le nouveau gouvernement américain est la mise en place d’une coalition anti-terroriste comprenant les Etats-Unis, Israël et les Etats arabes modérés de la région. Une coalition assez similaire à celle de la première guerre du Golfe en 1991, mais qui inclurait Israël. « Le terrorisme et l’extrémisme touchent tout le monde. C’est ce qui doit inciter le monde arabe modéré, les Etats-Unis et Israël à s’unir », explique-t-il, assurant que ces Etats comprendront non seulement qu’une collaboration avec Israël est dans leur intérêt et qu’ils ne résisteront pas aux pressions américaines en ce sens.
« Le monde arabe modéré a maintenant compris que la véritable menace n’était pas Israël, le sionisme ou les juifs, mais les extrémistes qui se trouvent au sein du monde musulman », affirme Liberman. « Cela contribuera à créer une nouvelle atmosphère avec nos voisins », renchérit-il. « Le plus grand problème entre nous et les Palestiniens est le manque de confiance. Avant de parler de négociations et de solutions, il faut créer cette confiance. La mise en place de cette coalition est un pas en avant vers cet objectif. »
La paix malgré tout
Liberman a également d’autres propositions pour améliorer ce fameux rapport de confiance. Les projets de constructions qu’il a approuvés en zone C sont une pièce du puzzle. Cela fait partie de son objectif d’améliorer la qualité de vie des Palestiniens et de créer de l’emploi en Judée-Samarie et à Gaza. Il soutient ainsi le projet de construction de la nouvelle zone industrielle palestinienne de Tarkumiya, la rénovation des points de passage entre la Judée-Samarie et Israël ainsi que de ceux de Kerem Shalom et d’Erez à la frontière avec Gaza. Parallèlement, Liberman souhaite qu’Israël puisse continuer à construire dans les grands blocs d’implantations que sont Maale Adoumim, le Goush Etzion et Ariel, ainsi que dans les quartiers de Jérusalem-Est construits après 1967, Pisgat Zeev, Guilo et Ramot.
« 90 % des juifs de ces zones ont souffert du gel de facto du processus de paix pendant ces huit dernières années.
Nous devons recréer les conditions d’une vie normale pour les habitants juifs de Judée-Samarie et pour les Palestiniens. Nous devons continuer à construire dans les grandes implantations et également construire pour les Palestiniens. Il n’y a aucune raison qu’ils ne bénéficient pas d’une zone industrielle. »
Concernant l’annexion de la zone C que Bennett appelle de ses vœux, Liberman insiste sur le fait que cette dernière ne peut être une décision unilatérale. Il assure qu’il faut travailler avec les Américains pour arriver à un « accord stratégique ». « Appliquer la loi israélienne dans les grands blocs d’implantations ne peut pas être une décision uniquement israélienne. Il nous faut l’accord des Américains. Et si cela doit être fait, indique le ministre, il n’est pas nécessaire de trop en discuter au préalable. Quand Begin a annexé le Golan en 1981, rappelle-t-il, il n’en a pas parlé avant. Il a fait passer la loi en une journée à la Knesset. »
Si la paix avec les Palestiniens n’a pas encore été atteinte, c’est pour deux raisons selon lui. La première est que Mahmoud Abbas ne la désire pas vraiment ; la seconde, que le chef de l’Autorité palestinienne est inefficace et corrompu. « Contrairement au Hamas, il a compris qu’il ne pouvait pas gagner sur le champ de bataille. Il a donc remplacé la guerre par une campagne de terrorisme diplomatique. »
Liberman considère le principe dit de « la terre pour la paix » émanant des accords d’Oslo comme dépassé. « Après 24 ans d’inefficacité, il est temps de reprendre à la lettre ces paroles d’Albert Einstein : “La définition de la folie est de faire la même chose encore et encore, en attendant un résultat différent” ». Le ministre de la Défense croit donc en un autre modèle bien que toujours basé sur une solution à deux Etats. Pour lui, l’Etat juif doit être plus homogène. « D’après les accords d’Oslo, les juifs obtiennent un demi-Etat et les Palestiniens un Etat et demi. La présence en Israël de 20 % d’Arabes israéliens s’identifiant comme palestiniens n’a pas de sens. Pourquoi y aurait-il un Etat palestinien sans aucun juif, et un Etat juif avec 20 % de Palestiniens ? », interroge-t-il.
Il affirme que la solution réside dans l’échange de terres et de populations. « Israël doit réduire le nombre de ses citoyens arabes de 20 % à environ 10 % par l’établissement d’un Etat palestinien. Les Arabes israéliens qui s’identifient comme Palestiniens pourront le devenir. La région du Triangle à majorité arabe peut très bien intégrer un futur Etat palestinien, tout comme les principales implantations juives devront intégrer Israël. Nous devons réévaluer la situation. L’avantage est que nous avons désormais un véritable partenaire à la Maison-Blanche avec lequel il sera plus facile de communiquer. Nous devons tout revoir, y compris les idées qui ont permis les accords d’Oslo. »
Le danger iranien
Au sujet de Téhéran, Liberman pense également que les cartes devraient être rebattues. Pour lui, pas de doute : l’accord nucléaire est un mauvais accord. S’il se refuse à donner des détails quant aux demandes israéliennes à la future administration Trump par rapport au traité, il affirme volontiers que l’Iran ne cesse de violer ce dernier ainsi que de nombreuses résolutions du Conseil de sécurité.
« Nous devons rouvrir ce dossier, tout en continuant à sanctionner l’Iran pour son soutien au terrorisme, ses violations des droits de l’homme et son développement de missiles balistiques. Sans parler des progrès qu’ils font, malgré tout, au niveau de leur programme nucléaire. »
Sur la Syrie, Liberman semble défendre une plus grande implication américaine, tant que celle-ci correspond aux intérêts israéliens, c’est-à-dire le départ de Bachar el-Assad et la fin de la présence de l’Iran et du Hezbollah dans le pays.
« Dans un autre cas, nous ne nous serions pas souciés du dirigeant au pouvoir. Mais quelqu’un qui est responsable de la mort de 500 000 personnes et qui a utilisé des armes chimiques contre son propre peuple ne peut décemment pas rester aux affaires ».
Enfin, et contrairement à d’autres, Liberman affiche son opposition à une renégociation de l’accord d’aide militaire américaine signé en septembre portant sur une aide de 38 milliards de dollars sur dix ans à Israël. « Nous devons respecter l’accord signé qui prendra effet en 2019 et nous devons maintenant nous concentrer sur la coopération israélo-américaine au niveau de la défense antimissile et du renseignement. Nous pouvons discuter de ces sujets, mais je ne remettrai pas en cause l’accord d’aide militaire ».
Quel avenir politique ?
En ce qui concerne la politique israélienne, Liberman prévient qu’il ne faut pas enterrer son parti Israël Beitenou trop vite, bien que ce dernier ne dispose que de six députés au parlement. « Ce qui est clair, c’est que dernièrement tous les sondeurs et analystes se sont trompés. Regardez le Brexit ou les élections américaines. J’essaie juste de faire ce en quoi je crois. Je suis une ligne politique indépendante de toute politique politicienne et de visées électorales. » On a pu voir un exemple de cette attitude récemment lorsque son parti a été le seul à s’opposer à une loi contraignant les magasins à fermer le chabbat. « Je suis favorable au judaïsme, mais je suis contre la coercition religieuse », indique le ministre.
Liberman a également pour objectif de redonner à Tsahal l’autorité en matière de conversion des conscrits, comme c’était le cas avant 2012. « Il est insensé que 5 000 soldats qui s’engagent chaque année et risquent leur vie pour le pays ne puissent pas se marier ici ou se convertir facilement du fait qu’ils ne sont pas considérés comme juifs selon la halakha (loi juive). »
Il semble qu’Avigdor Liberman apprécie son poste. Il est entré pour la première fois au gouvernement en 1996 en tant que directeur général du bureau du Premier ministre de l’époque, Benjamin Netanyahou. Il a ensuite gravi les échelons et a été ministre des Affaires étrangères et président de la puissante commission des affaires étrangères et de la défense de la Knesset.
Il dit n’avoir pas eu de grosses surprises par rapport à sa nouvelle fonction, bien qu’il ait le sentiment d’une responsabilité accrue à ce poste. « Les décisions que je prends ont un impact plus important. Il est question de vie ou de mort. » Ainsi, certaines nuits, le ministre ne dort pas. Il reste éveillé dans sa maison de Nokdim, attendant l’appel téléphonique d’un de ses conseillers militaires l’informant que tous les soldats en mission sont rentrés chez eux.
Avigdor Liberman semble donner tort à ceux qui le voyaient inadapté pour ce rôle. S’il est aujourd’hui une des voix les plus pragmatiques du gouvernement en place, saura-t-il, à l’avenir, profiter de son nouveau statut d’homme d’Etat pour viser encore plus haut ?
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