De l’urgence de repenser les prisons

Comment mettre un terme aux grèves de la faim parmi les détenus ? Eléments de réponse avec Orit Adato, anciennement à la tête de l’administration pénitentiaire

Marwan Barghouti entouré de gardiens de prison (photo credit: REUTERS)
Marwan Barghouti entouré de gardiens de prison
(photo credit: REUTERS)
«Marwan Barghouti n’est pas un élément modéré », confirme l’ancienne directrice de l’administration israélienne des prisons, Orit Adato, alors que la grève de la faim des prisonniers placés en haute sécurité se poursuit depuis maintenant plus de trois semaines. Première femme à avoir occupé ce poste, celle-ci affirme que le détenu palestinien le plus connu n’apparaît comme un « homme de paix » qu’aux yeux des étrangers, notamment grâce à la modération dont il a fait preuve avant la seconde Intifada, mais que sur l’échiquier palestinien, « il représente un courant radical ».
Pour elle, cette grève de la faim aux motifs politiques ne vise qu’à brouiller les cartes aux yeux du monde. Orit Adato n’est plus dupe de rien. Elle raconte ainsi les nombreuses ruses employées par les détenus pour contourner les règles. Durant la période où elle dirigeait l’administration pénitentiaire de 2000 à 2003, elle explique ainsi avoir essayé d’améliorer les conditions humanitaires des prisonniers de haute sécurité, en leur permettant de recevoir « des épices et des citrons pour agrémenter leurs plats ».
La nourriture que recevaient les détenus dans les prisons israéliennes était meilleure que dans la plupart des centres de détention de par le monde, assure celle qui a également été numéro 2 au sein d’un organisme international des administrations pénitentiaires. Toutefois, devant l’insistance des prisonniers pour améliorer leur ordinaire et dans un geste de bonne volonté, leur requête concernant ces condiments et épices avait finalement été acceptée. Jusqu’au jour où des gardiens se sont rendu compte que des téléphones portables étaient cachés dans des citrons.
Pour avoir étudié les conditions de détention des établissements pénitentiaires aux Etats-Unis et d’autres démocraties occidentales, Orit Adato affirme que la situation en Israël est satisfaisante. Ce qui l’amène à dire que les motivations des grévistes sont autres. Selon elle, on assiste aujourd’hui à un jeu du chat et de la souris qui exploite la situation des prisonniers. « Tout est minutieusement calculé », assure-t-elle. « D’un côté, la grève de la faim vise à attirer la sympathie internationale, et asseoir la position de Barghouti auprès des Palestiniens pour lui permettre de succéder à Abbas le moment venu. D’où la nécessité de replacer le mouvement de protestation dans le cadre d’une lutte interne aux Palestiniens entre le camp des pro-Abbas et celui des pro-Barghouti ; d’autre part, la majorité des revendications a pour but de trouver des moyens de faire entrer en contrebande des téléphones ou autres, permettant aux terroristes de communiquer avec le monde extérieur. »
Sur le principe, Orit Adato se dit favorable aux visites des élus arabes qui apportent réconfort et encouragements aux détenus. Elle estime cependant qu’il faut renforcer la vigilance après l’affaire Basel Ghattas, le député de la Liste arabe unie qui s’est vu retirer son immunité parlementaire après avoir été filmé en train de remettre des téléphones portables à des prisonniers. Orit Adato estime d’ailleurs que d’autres élus ont certainement essayé d’introduire en contrebande différents objets illicites.
Défauts de gestion
Pour elle, le gouvernement et la plupart des médias, en mettant l’accent sur la possibilité que des grévistes de la faim périssent, gèrent mal le dossier. « Arrêtons de parler de décès éventuels. Il n’y en aura pas. Cela fait des dizaines d’années qu’aucun gréviste de la faim n’est mort. Les grèves de la faim ne doivent pas mettre Israël sous pression. On doit savoir comment les gérer et trouver le meilleur moyen pour faire baisser la pression ».
Dans le même esprit, elle qualifie d’erreur tactique la loi votée il y a deux ans – mais encore jamais appliquée –, autorisant l’alimentation de force des prisonniers : elle juge celle-ci inutile, sachant qu’il existe d’autres moyens de mettre fin aux grèves de la faim, telles les isolations temporaires ou autres.
Adato ajoute que c’est une erreur d’hospitaliser des grévistes de la faim dans des hôpitaux civils, dans la mesure où l’administration pénitentiaire perd le contrôle sur ces derniers. Elle préconise au contraire de les soigner dans les infirmeries des prisons, ou dans des hôpitaux de campagne ad hoc. Des solutions qui présentent deux avantages : préserver la santé des grévistes de la faim et dans le même temps, prévenir des interactions éventuelles avec des réseaux terroristes ou politiques. Orit Adato souligne par ailleurs que les détenus profitent des hospitalisations pour faire pression sur le gouvernement et obtenir des libérations anticipées.
Traitements sur mesure
Malgré ses réticences et sa lucidité, l’ancienne directrice de l’administration pénitentiaire demeure ouverte d’esprit, et revendique également certaines propositions progressistes qui faciliteraient la vie de certains prisonniers de sécurité ou en détention administrative. Son idée la plus révolutionnaire : partitionner la catégorie dite des « prisonniers de haute sécurité ».
« Cette catégorie n’a pas lieu d’être, elle devrait être scindée en trois groupes », affirme Orit Adato. « Les archi-terroristes et les assassins avec une motivation idéologique devraient être envoyés dans les prisons de Mitzpe Ramon ou de Nafha, avec seulement les droits minimums exigés par la convention de Genève. Vous avez ensuite les prisonniers palestiniens qui sont à l’origine des délinquants de droit commun, mais qui, par motivation financière ou autres, ont été entraînés dans des actes plus graves à caractère sécuritaire, sans qu’ils ne se réclament d’une quelconque idéologie. Ils ont par exemple été impliqués dans un attentat lorsque des terroristes leur ont demandé de transporter un objet d’un point A à un point B. Je pense qu’on devrait les éloigner des éléments les plus dangereux qui risquent de les influencer. Ces détenus devraient pouvoir bénéficier d’un traitement plus souple afin qu’à leur libération, ils ne deviennent pas eux-mêmes de véritables terroristes. Le troisième groupe, situé entre les deux précédents, est plus difficile à définir. En fait partie par exemple, un Palestinien qui n’a aucun antécédent criminel ou de lien avec des terroristes, mais qui sur une impulsion a poignardé quelqu’un à l’aide d’un couteau de cuisine ou d’une paire de ciseaux. Ceux-là », assure Orit Adato, « doivent absolument être éloignés des archi-terroristes. »
Selon elle, les détenus qui auront été identifiés comme susceptibles de se réorienter, devraient pouvoir recevoir un enseignement professionnel qui les inciterait à se réinsérer par la suite. Elle souhaiterait ainsi que l’Autorité palestinienne et les organismes internationaux investissent plus dans la formation de ces prisonniers. Autre point essentiel pour Orit Adato : mettre fin à la politique palestinienne de rémunération des terroristes.
Concernant les libérations de prisonniers, elle suggère que ce soit Israël qui décide de la liste des personnes à libérer. « Il faut prendre l’initiative et ne pas relâcher deux ou trois prisonniers administratifs sous la pression des grèves de la faim comme cela se passe habituellement. L’Etat devrait établir une liste de cinq prisonniers administratifs à libérer, dont certains qui n’ont pas participé aux grèves de la faim. » Elle souligne que cela remettrait en cause le modèle actuel dans lequel les grévistes de la faim sont favorisés au détriment des autres.
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