Un procès pas comme les autres

Une famille israélienne pourrait faire annuler l’accord sur le nucléaire iranien

Un avion de ligne de IranAir (photo credit: REUTERS)
Un avion de ligne de IranAir
(photo credit: REUTERS)
L’accord sur le nucléaire signé en 2015 entre l’Iran et les superpuissances, a déjà grandement bénéficié à la République chiite. Des milliards de dollars d’avoirs, gelés pendant des années, lui ont été versés, permettant de booster son économie à bout de souffle et de relancer ses échanges commerciaux.
Boeing est l’une des premières entreprises à avoir profité de cette nouvelle dynamique : une des annexes de l’accord donne en effet la prééminence au constructeur aéronautique américain Boeing et à son concurrent Airbus pour traiter avec Téhéran. Alors que d’autres sociétés américaines n’en avaient pas encore le droit, le constructeur a reçu la permission d’entamer des négociations avec la République islamique, qui avait un besoin urgent de renouveler sa flotte aérienne. Résultat des tractations : un contrat juteux de 17 milliards de dollars pour la fourniture de 80 engins à Iran Air, une compagnie longtemps suspectée d’avoir servi à la mise en place de ponts aériens, destinés à fournir du matériel militaire à des organisations terroristes en Syrie et au Hezbollah libanais, inclus dans la liste noire américaine des organisations terroristes.
Mais voilà que deux ans plus tard, une bataille juridique pourrait bien bouleverser la donne et remettre en cause non seulement le contrat de Boeing avec la compagnie aérienne iranienne, mais aussi l’accord sur le nucléaire lui-même. Si l’affaire n’a presque pas été évoquée par les médias, de récents développements survenus dans une salle d’audience de Chicago semblent indiquer que quelque chose d’important se profile.
Une bataille juridique déterminante
Tout commence un jour de juin 2003. La famille Leibovitch rentre chez elle après avoir assisté à une bar-mitsva à Jérusalem. Passé le carrefour Eyal sur la route 6, une cellule terroriste du Djihad islamique venant de la ville voisine de Kallilya fait feu sur le véhicule. Noam, sept ans, est tuée sur le coup ; sa petite sœur, Shira, qui a fêté ses trois ans le jour même, est grièvement blessée.
En tant que citoyens américains, les parents avaient le droit d’attaquer en justice un pays étranger. Représentés par l’association Shourat Hadin basée à Tel-Aviv, les Leibovitch ont intenté un procès en 2008 contre l’Iran pour avoir fourni un soutien logistique et financier au Djihad islamique, afin de perpétrer l’attentat qui a tué Noam. En 2012, après des années de combat juridique, la famille a obtenu gain de cause : le tribunal a établi que l’Iran avait bien fourni à l’organisation terroriste un « support matériel et des ressources pour sa campagne de meurtres extrajudiciaires », et a accordé aux parents 67 millions de dollars de dommages et intérêts.
Comme on pouvait s’y attendre, Téhéran n’a jamais payé. A l’époque, la plupart des actifs de la République islamique aux Etats-Unis étaient déjà gelés ou saisis, et certains avoirs avaient déjà été utilisés pour payer des condamnations dans d’autres procès intentés à l’Iran par des victimes israéliennes du terrorisme.
Faire payer Boeing
Dans l’impossibilité de pouvoir saisir la somme destinée à dédommager les Leibovitch, la fondatrice de Shourat Hadin, Nitsana Darshan-Leitner, s’est mis en tête de poursuivre Boeing. La procédure, pour le moins originale, a débuté peu après que le géant de l’aéronautique ait annoncé la signature du contrat avec Iran Air : Shourat Hadin a alors demandé à un tribunal fédéral de Chicago d’obliger Boeing à révéler les clauses du contrat afin de déterminer s’il y avait des actifs à saisir.
Mais Boeing était décidé à ne pas se laisser faire et a affirmé devant la cour qu’il ne pouvait pas dévoiler les détails de la tractation. Selon les avocats du constructeur, obtempérer revenait à s’immiscer dans la politique étrangère des Etats-Unis en compromettant l’accord sur le nucléaire, et risquait de porter atteinte à la sécurité nationale. Bien que le tribunal ait fini par se ranger du côté des arguments de l’avionneur, il en fallait plus à Nitsana Darshan-Leitner pour lâcher prise. « Cela semble très bizarre », explique l’avocate. « Pourquoi une société commerciale cherche-t-elle à cacher les détails d’un accord avec un pays étranger ? En un mot, pourquoi Boeing couvre-t-il l’Iran ? »
En septembre dernier, la cour de Chicago a demandé au gouvernement américain de donner son point de vue sur l’accord entre Boeing et Iran Air, et de dire dans quelle mesure il affecte la sécurité nationale. La date butoir pour la réponse de la Maison-Blanche était arrêtée au 12 octobre. Cependant, Washington a créé la surprise en demandant au tribunal un délai supplémentaire. Les juges ont donc fixé une nouvelle date au mois de janvier. Le lendemain 13 octobre, le président Donald Trump a annoncé son intention de ne pas certifier l’accord sur le nucléaire iranien, enclenchant un nouvel examen de celui-ci par le Congrès américain.
Au crédit de Boeing, il faut mentionner que depuis le début de l’affaire, le constructeur a indiqué qu’il agirait conformément à la politique du gouvernement américain. Il s’agit en outre d’une entreprise dont le but premier est de faire de l’argent au profit de ses actionnaires. Son intérêt est de vendre des avions, et de s’assurer que ses chaînes de montage fonctionnent. Il est enfin légitime de ne pas dévoiler les clauses du contrat passé avec l’Iran : comme toutes les sociétés commerciales, l’avionneur ne souhaite pas publier de détails sur ses prix et les spécifications techniques de ses engins.
En attendant le mois de janvier, les options qui s’offrent à Trump et à Boeing ne sont pas faciles. Si le président dit au tribunal que le contrat avec Boeing est important pour la sécurité nationale et qu’il doit rester confidentiel, il donnera l’impression de se contredire lui-même. Pourquoi donnerait-il son feu vert à la vente des avions, au moment même où il reconsidère la participation de l’Amérique à l’accord sur le nucléaire et envisage de nouvelles sanctions contre la République islamique ?
Le dilemme de Trump
Si en revanche, l’administration dit à la cour que le contrat n’est pas crucial pour la sécurité nationale et que ses clauses peuvent être rendues publiques, Boeing se retrouvera dans une position vulnérable. Les Leibovitch essaieront de faire saisir la somme que l’Iran doit verser au constructeur aéronautique, sans compter que ce précédent pourrait ouvrir la porte à d’autres plaintes de victimes déposées contre l’avionneur américain. Il y a enfin la promesse électorale de Trump de donner du travail aux Américains : la construction des 80 appareils dans l’usine Boeing équivaut à des milliers d’emplois créés.
Si le contrat avec le constructeur américain est remis en question, Téhéran, dont la motivation pour signer l’accord nucléaire était liée pour beaucoup à son besoin de renouveler sa flotte aérienne, pourrait envisager de quitter l’accord. « D’où que l’on regarde, l’accord sur le nucléaire est en danger », estime Uzi Shaya, un ancien responsable sécuritaire israélien et expert en sanctions contre l’Iran. « Dans ce contexte, quelle que soit la décision de Trump, elle sera difficile à prendre. »
En attendant, Boeing et l’Iran feraient bien de se préparer au pire scénario. Car Nitsana Darshan-Leitner a acquis une solide expérience dans la condamnation des Etats et des organisations terroristes. On se souvient particulièrement du cas de cette maison appartenant à l’Iran dans le quartier de Queens à New York, qui a été vendue pour indemniser Ira Weinstein, un boucher originaire du Bronx, assassiné avec 23 autres personnes dans l’explosion d’un autobus à Jérusalem en février 1996. Ou de celui  des familles des victimes d’un double attentat suicide commis en 1997 à Jérusalem, qui ont ainsi obtenu 9 millions de dollars de dommages et intérêts, saisis auprès d’une société de San Diego à qui l’Iran avait réglé quelques années auparavant le solde correspondant à une ancienne vente d’armes.
© Jerusalem Post Edition Française – Reproduction interdite