Y a-t-il une vie après Netanyahou ?

Alors que les enquêtes visant le Premier ministre se succèdent, le spectre de sa démission rend de plus en plus probable la tenue d’une élection anticipée aux résultats imprévisibles

Le premier Ministre avec Moshé Kahlon (photo credit: DR)
Le premier Ministre avec Moshé Kahlon
(photo credit: DR)
«Puis-je avoir un de vos cigares ? », a un jour demandé un visiteur au trentième président des Etats-Unis Calvin Coolidge. Alors que le chef d’Etat lui en demandait la raison, l’homme a expliqué qu’il collectionnait les bagues à cigares de célébrités. Coolidge a réfléchi puis a sorti un cigare ; il en a retiré la bague, l’a donné à son interlocuteur et a gardé le cigare pour lui.
Cette attitude austère n’aurait sûrement pas été celle de Benjamin Netanyahou, dont le ravitaillement en cigares semble avoir été largement assuré au cours des dernières années et vraisemblablement pour pas cher. Politiquement en revanche, les cigares du Premier ministre pourraient avoir un coût bien plus élevé ; tout comme d’autres cadeaux que Netanyahou est soupçonné d’avoir reçu de la part de certains hommes d’affaires, ils sont au cœur d’une enquête
policière qui pourrait coûter son poste au chef du gouvernement.
Des affaires qui pourraient coûter cher
Cette affaire, désignée par la police comme le cas 1000, relative à des cadeaux reçus par le Premier ministre de la part du producteur hollywoodien Arnon Milchan, est cependant la moins importante des trois enquêtes qui visent actuellement Benjamin Netanyahou. Celui-ci est également soupçonné de trafic d’influence avec le propriétaire d’un grand quotidien du pays, et de conflit d’intérêts dans le cadre de l’achat de sous-marins à une compagnie allemande. Ces trois affaires, qui déstabilisent le monde politique, pourraient ainsi mener au départ précipité de Netanyahou et à l’organisation d’une élection anticipée au résultat pour le moins imprévisible.
Si toutes ces enquêtes mettent en cause un certain degré de corruption, elles ne sont pas liées pour autant. La première affaire, qui concerne plusieurs centaines de milliers de shekels de cadeaux illégaux, pointe un problème de conduite personnelle. Netanyahou s’est défendu à son propos à la Knesset en séance plénière, expliquant que Milchan était un ami et qu’il n’est pas illégal de recevoir des présents de la part de ses proches. Mais si l’aspect légal était si simple, la police n’aurait pas interrogé le Premier ministre avec autant d’insistance sur le nombre de cadeaux reçus ou encore sa définition de l’amitié. Impossible pour les enquêteurs que Milchan se soit montré aussi généreux sans contrepartie. Selon les premiers résultats des investigations, le chef du gouvernement aurait notamment téléphoné à John Kerry, alors secrétaire d’Etat américain, pour aider Milchan à obtenir une extension de la durée de son visa de résident temporaire aux États-Unis.
La deuxième investigation a pour objet un trafic d’influence supposé. Elle s’intéresse à des discussions privées datant de 2014 entre Netanyahou et Arnon « Noni » Mozes, le propriétaire du quotidien Yediot Aharonot. Ce dernier est soupçonné d’avoir proposé au Premier ministre de modifier la ligne éditoriale de son journal afin de lui offrir une couverture plus favorable, en échange d’une faveur : limiter la concurrence du journal Israël Hayom, en l’empêchant de publier son édition du week-end. L’édition de fin de semaine du quotidien gratuit, distribuée à plus de 500 000 exemplaires, a en effet grandement réduit les revenus du Yediot Aharonot. En clair, cet arrangement aurait poussé Netanyahou à utiliser son pouvoir pour avantager une entreprise privée afin de faciliter sa réélection. Cette seconde affaire, baptisée cas 2000 par les enquêteurs, est basée sur une conversation enregistrée sur le téléphone de l’ancien conseiller de Netanyahou, Ari Harow, découverte par la police lors d’investigations sur un éventuel conflit d’intérêts concernant ce dernier, lorsqu’il était directeur de cabinet du chef du gouvernement.
Le cas 3000, enfin, aborde la question de l’acquisition récente de sous-marins allemands par Israël pour 340 millions de dollars l’unité. Netanyahou est soupçonné d’avoir annulé un appel d’offres afin de favoriser la compagnie allemande ThyssenKrupp, dont l’un des représentants en Israël n’est autre que son avocat et cousin au deuxième degré, David Shimron. Si le Premier ministre n’est pas soupçonné d’avoir perçu des fonds grâce à cette transaction, la commission reçue par Shimron semble suffisamment importante pour éveiller des soupçons de corruption. En outre, le fait que l’ancien ministre de la Défense soit un témoin à charge clé contre Netanyahou, pourrait amener cette affaire à écorner définitivement l’image du Premier ministre comme serviteur impartial de la sécurité du pays.
Pour l’instant, c’est l’expectative qui domine, alors que les investigations sont sur le point d’aboutir. Un processus censé prendre seulement « quelques semaines » d’après le chef de la police, du moins pour les deux premières affaires. Selon certaines informations rendues publiques par Aroutz 2, l’enquête relative au cas 1000 pourrait conduire à une inculpation du Premier ministre.
Celle concernant les sous-marins devrait prendre plus de temps. Quoi qu’il en soit, lorsque la police aura fini son travail, il reviendra à l’avocat général Avihai Mandelblit de décider s’il souhaite poursuivre le Premier ministre. Nommé par Netanyahou après avoir servi dans son cabinet, certains suspectent Mandelblit de tout faire pour éviter d’avoir à inculper le chef du gouvernement. D’autres, qui se rappellent la réputation de probité dont jouit cet ancien avocat général de l’armée israélienne, pensent qu’il prendra sa décision en fonction des preuves présentées par la police. Un sentiment renforcé par le fait que l’ouverture des enquêtes policières a été ordonnée par Mandelblit lui-même.
Les scénarios politiques envisagés
La classe politique israélienne, quant à elle, commence déjà à réfléchir à l’après-Netanyahou, échafaudant des scénarios dans le cas où le Premier ministre serait poussé à la démission. Si d’un point de vue légal, rien n’oblige un membre du gouvernement à démissionner en cas d’inculpation, la situation serait néanmoins très difficile à assumer pour le chef du gouvernement qui perdrait ainsi beaucoup de sa crédibilité.
La grande majorité des électeurs, notamment ceux du Likoud, ne peuvent espérer s’offrir le même train de vie qu’un Netanyahou, amateur de cigares et de champagne de luxe. Certains pourraient donc être tentés de vouloir choisir un nouveau Premier ministre aux habitudes plus modestes, non suspecté de vouloir s’assurer une meilleure couverture médiatique ou de favoriser telle compagnie étrangère pour une raison ou une autre. Cependant, nous n’en sommes pas encore là. Pour l’instant, les militants du Likoud affirment que Netanyahou est persécuté par ce qu’ils définissent comme un système médiatico- judiciaire hostile. Idem du côté des ministres. Si certains ont déjà les dents qui rayent le parquet, ils font en sortent que cela ne se remarque pas trop.
Cependant, si un gouvernement alternatif devait émerger, il ne serait probablement pas de droite. Celui-ci devrait en toute logique être dirigé par le chef de l’opposition, Yitzhak Herzog, et voir le leader de Yesh Atid, Yair Lapid, au poste de ministre des Affaires étrangères, bien que ce dernier ait récemment écarté cette éventualité. Mais pour qu’un tel gouvernement voie le jour, encore faudrait-il qu’il soit rejoint par au moins trois des cinq partenaires de Netanyahou au sein de l’actuelle coalition. Une perspective peu probable lorsqu’on sait que le ministre de l’Intérieur Arye Deri, le dirigeant de Shas, a déclaré que son parti appellerait à des élections anticipées en cas de démission du Premier ministre. Or, la prise de position de Deri obligerait de fait le Judaïsme unifié de la Torah, l’autre parti ultraorthodoxe à suivre le mouvement, puisque celui-ci ne rejoindra jamais seul une coalition au sein de laquelle figurent les partis laïcs Yesh Atid et Meretz.
A ce compte, les meilleures chances de former un nouveau gouvernement à partir de l’actuelle législature résident en Moshé Kahlon. Le chef de Koulanou, parti de centre droit fort de 10 députés, s’est montré plutôt critique face au Premier ministre depuis le début de ses déboires judiciaires. Certains au Parti travailliste sont ainsi convaincus que si Kahlon se voit promettre le poste de Premier ministre, il sera prêt à engager son parti en faveur d’une nouvelle coalition plus centriste. Mais une telle manœuvre pourrait se révéler dangereuse pour Kahlon. Elle lui vaudrait d’une part la rancœur des partis ultraorthodoxes qui se verraient exclus de fait du gouvernement. Surtout, cela risquerait de fâcher sa base électorale qui est sensiblement la même que celle de Netanyahou. Apparaître comme un traître pourrait signer son arrêt de mort politique.
Une démission de Netanyahou devrait donc forcer le Likoud à se choisir un nouveau chef rapidement. Le parti ne passera sûrement pas par une élection qui prendrait plusieurs mois à organiser comme en 1992 ; un simple vote interne devrait permettre de voir émerger un successeur. Actuellement, celui qui a le plus de chance de remplacer Netanyahou est le ministre des Transports Israël Katz.
Agé de 61 ans, ce militant de la première heure connaît bien l’appareil du parti et son travail au gouvernement est reconnu. Il a notamment mis en place des projets de travaux publics qui ont grandement amélioré le système de transports en commun du pays. Un autre candidat potentiel pourrait être le ministre sans portefeuille, Tzachi Hanegbi. Lui aussi peut se targuer d’une riche expérience ministérielle et de nombreuses années de militantisme politique.
Cependant, certaines de ses actions passées risquent de jouer en sa défaveur. Il a en effet suivi Ariel Sharon lorsque ce dernier a quitté le Likoud avec fracas pour fonder Kadima, et avoir les mains libres pour procéder au désengagement de la bande de Gaza. En toute logique, Hanegbi devrait donc plutôt soutenir un autre candidat et ne pas risquer une défaite en se présentant lui-même. Le troisième candidat probable à la tête du principal parti de droite devrait être le ministre de la Sécurité publique, Guilad Erdan, à moins que son jeune âge, 47 ans, ne le desserve. Youli Edelstein, le président de la Knesset, pourrait également apparaître comme une solution de compromis. Ancien « prisonnier de Sion » ayant appris un hébreu parfait en ex-URSS au nez et à la barbe du KGB, ce juif du courant orthodoxe moderne a gagné un véritable respect depuis qu’il dirige le parlement, et son sens du consensus est loué au-delà même de son parti.
La solution Kahlon-Yaalon
Peu importe qui le Likoud mettra à sa tête, il trouvera sur son chemin trois adversaires de poids, tous anciens membres du parti. Naftali Bennett, Moshé Yaalon et Moshé Kahlon devraient en effet tous être en mesure de briguer la place de chef du gouvernement, voire de s’imposer à la tête d’une liste commune avec le Likoud. Ce qui ne devrait pas être le cas de l’actuel ministre de la Défense Avigdor Liberman, alors que son parti, Israël Beitenou, fait face à des ennuis judiciaires. Parmi ces outsiders, Naftali Bennett est celui qui aurait le plus de mal à s’imposer. Beaucoup au sein de son parti, HaBayit HaYehoudi, n’accepteraient pas une fusion des listes avec le Likoud. D’ailleurs, celui-ci n’a jusqu’à aujourd’hui jamais placé le candidat d’un autre parti en tête de ses listes aux élections législatives. Ceci dit, Moshé Kahlon a tout de même quelques chances d’y parvenir. Il est en effet assez populaire auprès de la base électorale du Likoud, a été un ministre des Finances apprécié, et n’a jamais exprimé de franche opposition au Premier ministre. Il profite également d’une image d’intégrité encore renforcée depuis le début des affaires dans lesquelles Netanyahou se trouve empêtré. Cette analyse est également valable pour Moshé Yaalon, un kibboutznik militaire de carrière, ancien chef d’état-major, qui apparaît comme proche du peuple. Autant de raisons qui font que Yaalon et Kahlon peuvent facilement attirer à eux l’électorat de Benjamin Netanyahou.
Si des élections anticipées devaient avoir lieu, le Camp sioniste se verrait sûrement dépasser par un Lapid de plus en plus populaire, dont le parti arriverait en tête des élections devant le Likoud selon certains sondages. Pour autant, l’ancien présentateur vedette de la télévision israélienne aurait peu de chances de succéder à Netanyahou. Il n’a actuellement pas les moyens de former une coalition avec la gauche, et cela devrait rester le cas, peu importe le destin que la justice réserve à Netanyahou ou le score de Yesh Atid à l’élection. A l’heure qu’il est, construire une coalition viable de centre ou de gauche sans le soutien de certains partis de l’actuelle coalition comme les partis religieux semble impossible. C’est pourquoi si la dynamique actuelle se précise et que Netanyahou démissionne, son successeur devrait, selon toute vraisemblance, émerger des rangs du Likoud ou tout du moins en avoir déjà fait partie.
Dans ces conditions, la configuration la plus probable demeure une alliance entre Yaalon et Kahlon. Une association qui permettrait de rassurer tout le monde, aussi bien le Likoud qui verrait deux de ses anciens membres prendre la tête des opérations, que Yesh Atid et le Camp sioniste pour lesquels le tandem serait acceptable pour former un gouvernement d’union nationale.
Un duo Yaalon-Kahlon incarnerait également tout ce que recherche l’électeur israélien de droite et du centre : les valeurs militaires, la fibre sociale, l’expérience politique et économique. Sans compter la simplicité des deux hommes qui constituerait une véritable bouffée d’air frais pour les Israéliens et le meilleur moyen de tourner la page.

© Jerusalem Post Edition Française – Reproduction interdite