Après deux ans de réformes, un état des lieux de la poste israélienne

Un an après notre dernière enquête, la Compagnie postale israélienne a-t-elle réussi à améliorer ses services ?

Un bureau de poste à Jérusalem (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM)
Un bureau de poste à Jérusalem
(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM)
La Poste israélienne est plus réputée pour ce qu’elle n’est pas, que pour ce qu’elle est. Pas à l’heure, pas efficace, pas capable de livrer un colis… Autant de tares qui amènent certains à prédire son inéluctable fin. Mais contre toute attente, la Compagnie postale s’accroche.
Depuis deux ans, elle a entrepris des réformes censées améliorer la pléthore de services dysfonctionnels qui ont mené l’entreprise publique au bord de la faillite en 2014. Pour de nombreux Israéliens, ces changements arrivent un peu tard. Ses anomalies structurelles ont entraîné la perte de dizaines de milliers de paquets, et avec eux, celle de plusieurs millions de shekels, au cours de la dernière décennie. A tel point que les habitants du pays se sont tournés vers des distributeurs privés pour recevoir leur courrier. Peu étonnant, dès lors, qu’aborder le sujet de la Poste suscite autant d’incrédulité de la part du public.
Après une question posée sur Facebook pour savoir si les internautes avaient déjà rencontré des problèmes avec les services postaux du pays, les réponses ont fusé : « Qui n’a jamais eu de problèmes avec la Poste ? », s’étonne Yael Amir. « A Elazar [implantation du Goush Etsion] le courrier expédié d’Israël arrive environ trois mois après », note Tamara May. Daniel Mednick indique ne jamais avoir reçu de lettres en provenance de l’étranger avant six semaines. Sans compter les plis qui n’arrivent jamais… Un homme d’affaires chinois raconte qu’un document original envoyé en recommandé est arrivé à son destinataire – pourtant situé à seulement 15 minutes du bureau de poste – deux mois plus tard. Et que dire du père de cette jeune femme, mort avant d’avoir reçu les vœux d’anniversaire de sa fille ? C’est bien simple : en 2015, la Poste arrivait au deuxième rang des services publics les plus honnis…
Une histoire mouvementée
Etablie en 1948, l’Autorité postale israélienne faisait initialement partie du ministère des Communications, jusqu’à ce qu’elle acquière son indépendance en 1986. Les pertes financières colossales enregistrées avec la montée d’Internet, ainsi qu’une succession de scandales politiques, ont amené la compagnie au bord de la faillite. En 2006, celle-ci était donc mise sous la tutelle des ministères des Finances et des Communications. Bien qu’elle ait été autorisée à fonctionner indépendamment et à maintenir son propre budget, la Poste était désormais régulée par ces deux ministères.
Au départ, cette mutation en une société détenue par le gouvernement, mais avec un fonctionnement indépendant, a semblé atténuer nombre de problèmes. Ses services se sont développés, et bientôt, la Hevrat doar Israël – Compagnie postale israélienne (IPC) a commencé à vendre des cartes téléphoniques, du matériel de bureau ou des assurances, et à fournir des prestations bancaires. Au total, pas moins de 25 services ont été ajoutés, avec pour objectif d’augmenter les revenus de l’entreprise. L’avenir semblait donc sourire à la Poste. En 2009, l’IPC faisait état de 460 millions de shekels de bénéfices pour 73 millions de dettes. En 2010, le ratio était de 75 millions de dettes pour 438 millions de bénéfices.
Mais en 2011, l’endettement de l’entreprise s’est envolé : il était de 402 millions de shekels pour seulement 473 millions de bénéfices, et en 2013, les dettes étaient supérieures aux rentrées avec 1,347 milliard de dettes pour seulement 508 millions de revenus. Entre 2012 et 2014, l’IPC a perdu près de 200 millions de shekels. En 2012, ses sous-traitants étaient à deux doigts d’engager des poursuites contre la Compagnie pour ne pas avoir reçu les prestations complémentaires dont les membres du personnel directement employés par l’entreprise avaient, eux, bénéficié. Ces défauts de paiement ont permis à la Poste d’économiser des centaines de millions de shekels sur le dos des travailleurs, dont beaucoup se situent au bas de l’échelle socio-économique du pays. En 2013, les employés de la Poste se sont donc mis en grève.
Le déclin continu dans les services traditionnels de distribution du courrier, un personnel pléthorique, ainsi que les restrictions imposées par les ministères sur les facturations des colis, ont poussé la compagnie encore plus dans le rouge. En 2014, la société est entrée dans une nouvelle crise majeure. Pendant des années, l’IPC avait vendu des obligations afin d’augmenter les revenus de ses employés, mais peu avant 2014, elle a commencé à ne plus pouvoir honorer ces paiements. Ce qui a mené Hermetic Mutual, une société fiduciaire pour les détenteurs des obligations émises par l’IPC, à poursuivre celle-ci en justice. Le président de la cour de Tel-Aviv, David Mintz, a alors nommé un observateur pour examiner la plainte affirmant que l’IPC n’était pas solvable et qu’elle n’était plus en mesure d’honorer le paiement de ses obligations. L’enquêteur, un ancien officiel du gouvernement du nom d’Eyal Gabay, a conclu : « Si un plan d’urgence n’est pas mis en place, la poste sera en défaut de paiement. »
En avril 2015, la poste devait 30 millions de shekels aux détenteurs d’obligations. Après la présentation des résultats de l’enquête d’Eyal Gabbay devant le tribunal, David Mintz a menacé de retirer le contrôle de la Compagnie postale à l’Etat, l’accusant d’avoir failli à son devoir de garantir que l’IPC soit en mesure de fournir ses services. Cette crise s’est évidemment répercutée sur les clients. Paquets égarés, articles endommagés, limitation des heures d’ouverture, files d’attente interminables et employés frustrés, tels ont été les différents symptômes de la crise qui a atteint son paroxysme en 2014, date à laquelle la compagnie a failli mettre la clé sous la porte.
A la source du problème
Après tant de remous, comment la Poste est-elle encore debout ? « Grâce à la révolution digitale », dit Shimon Shoham, chef de département au ministère des Communications, et homme clé des réformes mises en place à la Compagnie postale. Si la communication digitale est l’une des causes du déclenchement de la crise, c’est aussi ce qui est en train de sauver l’entreprise, affirme-t-il.
Pour comprendre la source des problèmes liés à l’IPC, il faut saisir le caractère particulier de sa mission. Sa licence requiert qu’elle fournisse un « service universel » à tous les Israéliens, qu’ils soient à Tel-Aviv ou à Ein Gedi : un défi colossal certes, mais légitime pour une agence gouvernementale. Seulement pour une compagnie qui opère indépendamment et qui est responsable de ses propres profits et de ses dettes, la tâche est, au mieux, compliquée, au pire, insurmontable. Ajoutez-y un déclin constant dans les profits sur les dernières décennies en raison de la baisse d’intérêt général pour le courrier traditionnel, des prix fixes pour les colis et l’envoi de lettres, une augmentation de 30 % dans la distribution des paquets sans aucun système spécifique pour gérer cet afflux, la concurrence nouvelle des transporteurs comme FedEx et TNT, et enfin une main-d’œuvre trop nombreuse et chère, et vous obtenez tous les ingrédients d’une crise majeure.
Toutefois, ces différents éléments n’expliquent qu’en partie la chute de l’IPC, alors qu’entre 2006 et 2011 la compagnie était solvable. A l’époque, les gens se plaignaient déjà des paquets égarés, de biens endommagés et des longues files d’attente. En janvier 2015, les ministères des Finances et des Communications ont ainsi commencé à enquêter sur les dysfonctionnements, envoyant des employés mandatés dans les agences des quatre coins du pays. Shoham et son équipe se sont focalisés sur deux points principaux : les délais d’attente dans les agences et les paquets perdus ou distribués avec retard. Ils ont alors découvert deux choses : la plupart des bureaux ne possédaient pas de système leur permettant de surveiller le temps d’attente, et l’appareil permettant de contrôler l’acheminement des colis, en plus d’être obsolète, était beaucoup trop basé sur les ressources humaines, alors que l’entreprise connaissait des vagues de licenciement successives depuis 2006.
La révolution digitale
L’enquête s’est soldée par la mise en place d’un comité public qui a proposé une série de recommandations. La plus significative d’entre elles était un appel à modifier la licence qui définit le mandat de l’IPC, ainsi que les tarifs pour les lettres et les colis. Le ministère des Communications a ainsi admis que ces prix ne reflétaient plus le coût réel de la distribution du courrier, un fait dont la Compagnie postale se plaignait depuis bien longtemps. En avril 2015, les ministères des Finances et des Communications ont accepté l’ensemble des recommandations du comité, les tarifs ont été augmentés, et la licence de l’IPC modifiée pour s’adapter aux nouveaux services mis en place.
La première de ces améliorations a été le développement d’un système pour surveiller les temps d’attente. Initialement, de tels appareils n’existaient que dans 50 bureaux de poste, mais depuis 2014, ils ont été installés dans 400 agences et aident la compagnie à remplir son objectif : une attente qui n’excède pas dix minutes. Et alors que le nombre de boîte aux lettres dans le pays a baissé de 4 000 à 2 500, l’IPC s’est employée à multiplier les points de distribution du courrier qui sont passés de 700 à 1 000. Elle a ainsi conclu des accords, notamment avec Office Depot, qui délivre désormais les lettres et les colis dans ses nombreux points de vente. Les heures d’ouverture des bureaux de poste ont également été augmentées : trois jours par semaine, ces derniers ouvriront de 8 heures du matin à 8 heures le soir.
Par le biais des outils digitaux, l’IPC vise aussi à améliorer les délais d’acheminement des lettres et colis. Une application vient d’être lancée permettant aux utilisateurs d’être informés de l’arrivée de leur paquet. Pour ce qui est des colis perdus, le ministère des Communications veut contraindre la compagnie à mettre en place une traçabilité des envois. Chaque paquet possédera bientôt un code de traçabilité imprimé, qui permettra de le suivre de son lieu d’expédition à son adresse de destination, en passant par le bureau de poste qui le réceptionne. L’IPC s’efforce également d’accroître la distribution de courrier à domicile : ce sera le cas de 90 % des colis d’ici 2018. En outre, la compagnie ouvrira bientôt un entrepôt de 18 000 m2 à Modiin, dédié à la réception et au tri des paquets, ce qui permettra aussi, selon elle, d’écourter les délais de livraison. En 2015, 40 millions de colis sont entrés dans le pays, dont 11 millions distribués entre les mois de novembre et décembre.
Cette volonté de distribuer les paquets plus efficacement et de résoudre les problèmes de délais est toutefois contradictoire avec une autre réforme mise en place : celle des licenciements massifs, ou ce que la compagnie nomme « départs en retraite consentis », la décision de partir, indique l’IPC, étant prise par les employés eux-mêmes. Celle-ci espère d’ici les prochaines années réduire ses effectifs de 6 700 à 5 500 employés. Le ministère des Finances a consenti à allouer 500 millions de shekels pour financer ces départs en retraite. Bien qu’il semble incohérent de pouvoir fournir de meilleurs services avec moins de personnel, l’IPC compte sur l’appui de ses sous-traitants pour réaliser ses ambitions. L’avantage de ces partenaires indépendants étant qu’ils coûtent beaucoup moins cher à l’entreprise qu’un salarié. Les départs en retraite et les autres réformes semblent porter leurs fruits : l’année dernière, l’IPC a vu ses revenus augmenter de 4 %.
Reste à voir si la Poste réussira à aller au bout des réformes engagées et si celles-ci lui permettront de redorer son blason auprès du public. Se montrer à la fois efficace et compétitif sur le marché florissant des colis est le prochain grand challenge de la compagnie. Qu’on se le dise : les colis ont désormais de grandes chances d’arriver à bon port. Et même dans les temps, pour les plus chanceux.
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