Blessures invisibles

NATAL vient en aide aux victimes de troubles de stress post-traumatique. Plus qu’un travail, une mission pour la directrice de l’association

Thérapie par la peinture (photo credit: DR)
Thérapie par la peinture
(photo credit: DR)
Orly Gal dirige l’association NATAL, le Centre de traumatologie d’Israël pour les victimes d’actes de terreur et de guerre. Chaque jour, ce bâtiment situé au cœur de Tel-Aviv, sur la très animée rue Ibn Gvirol, ouvre ses portes aux victimes de traumatismes, proposant soutien professionnel et services thérapeutiques.
A 9 h 30, un mardi matin, le centre n’affiche pas encore complet. Un groupe de personnes âgées est studieusement attablé autour d’activités artistiques et autres travaux manuels, tandis que d’une autre pièce, on peut entendre les douces consignes d’un instructeur de Feldenkrais. Un peu plus loin, les psychologues sont assis dans leurs cabinets, dans l’attente de leurs premiers patients de la journée. Un calme trompeur car, dans une heure, le bâtiment sera en pleine effervescence. D’autant qu’en cette matinée de début novembre, les équipes préparent l’événement annuel de l’association « Courir en couleur ». A cette occasion, des milliers de victimes de traumatisme, travailleurs sociaux, personnalités publiques et célébrités traversent le parc Hayarkon au pas de course, aspergés de poudres colorées pour symboliser la « transparence » de ces invisibles blessures internes que constituent les troubles de stress post-traumatique (TSPT), survenus à la suite d’actes de terreur ou de guerre.
De l’aide pour tous
Orly Gal dirige l’association depuis dix ans. Après son service militaire en tant qu’adjointe du porte-parole de Tsahal, elle cherchait « un endroit doté d’une mission », explique-t-elle. Elle rencontre alors la fondatrice et présidente de NATAL, Judith Recanati, pour qui cette ONG est l’œuvre d’une vie : « Nous avons l’habitude de dire que Judith a trois filles et un fils. NATAL est son fils. »
L’association est installée dans le bâtiment historique que le ministère de la Défense a occupé pendant 50 ans. Et ce choix n’a rien d’un hasard. « C’est là qu’en 1973, beaucoup de familles endeuillées ou dont les fils étaient prisonniers de guerre, venaient pour les identifier sur des photos », raconte-t-elle. « Si seulement les murs pouvaient parler… »
Judith Recanati a racheté et rénové le bâtiment pour le transformer en centre de traumatologie. Aujourd’hui, des intervenants du monde entier viennent y observer le modèle unique que constitue NATAL. Parmi les services proposés : une ligne d’assistance téléphonique confidentielle qui permet aux volontaires de rapidement identifier si leur interlocuteur souffre de post-traumatisme. Pour certains, une conversation hebdomadaire de 25 minutes pendant deux à trois ans peut suffire à les guérir. Pour d’autres, l’aide par téléphone ne suffit pas, ils seront alors orientés vers le département clinique. Et si les patients ne sont pas en mesure de quitter leur domicile, alors ce sont les thérapeutes qui se déplacent, sur une base hebdomadaire.
« Le département clinique couvre tout le pays », note Gal. « Nous avons 120 thérapeutes à travers Israël, tous des professionnels expérimentés. Nous proposons un traitement pluridisciplinaire, adapté à chacun, puisque chaque patient est différent. » Au menu : thérapie de couple, de groupe ou par le mouvement. « Il est important d’entamer un traitement au cours de la première année qui suit l’événement traumatique », souligne Gal, « plus tôt le patient est traité, plus vite il pourra reprendre une vie normale. »
Depuis début octobre et la vague de terreur qui se manifeste par des attaques quasi quotidiennes, NATAL a enregistré une hausse de 40 % d’appels téléphoniques. Beaucoup proviennent de Jérusalem. Sans compter les personnes traumatisées par le passé et qui peuvent avoir besoin d’aide quand leurs anciennes expériences remontent à la surface. En cette période de crise, l’association répond également aux demandes des municipalités. Et s’emploie aussi à « aider les aidants », assistant les équipes de secours ou la police, dépêchant des unités mobiles à Jérusalem et ailleurs.
Si Tsahal prend en charge les militaires jusqu’à leur dernier jour de service, ils peuvent accéder aux services de NATAL dès leur démobilisation. Le personnel de l’ONG va parfois à la recherche d’anciens soldats sur les campus, qu’ils sont nombreux à fréquenter à leur retour de voyage post-militaire. « La plupart ne font pas le lien entre leurs expériences passées et ce qui leur arrive maintenant », explique Gal. « Ils sont comme une bouteille thermos tombée par terre, dont le verre est brisé à l’intérieur, mais qui, de l’extérieur, semble en parfait état. »
Prévenir et guérir
Parmi les symptômes traumatiques, les plus fréquents sont les flash-back, le sentiment d’agression, l’incapacité à maintenir des relations sentimentales ou encore la difficulté à se concentrer. En ce qui concerne les enfants, ils deviennent incontinents et veulent dormir avec leurs parents. Certaines personnes atteintes de stress post-traumatique chronique sont dans l’incapacité de travailler. Le bâtiment met à leur disposition un espace où ils peuvent s’investir dans des activités manuelles au sein d’une communauté de victimes qui vivent des situations similaires. Et Gal de souligner que l’association se revendique apolitique, prenant le soin de s’adresser à ses interlocuteurs dans différentes langues : anglais, arabe, amharique, français, espagnol et russe.
Autre point fort de NATAL : la prévention. « Au lendemain des conflits, les gens oublient », précise Gal. « C’est alors le moment pour nous de soutenir les victimes. Car pour elles, la guerre commence. »
NATAL œuvre ainsi dans les écoles, fournissant aux enseignants les outils pour identifier les symptômes de TSPT chez leurs élèves, qui peuvent parfois être confondus avec de la paresse. Et chaque jeudi, elle accueille des officiers de Tsahal pour les aider à savoir faire face à un traumatisme, par le biais de groupes de soutien, et d’un travail avec les familles qui ont perdu des enfants lors de conflits armés ou d’incidents terroristes.
Enfin, le bâtiment abrite un centre de témoignage, calqué sur le projet de témoignages filmés de rescapés de la Shoah de Steven Spielberg. Plus de 100 prisonniers de guerre ont déjà témoigné devant une caméra. Un DVD de l’enregistrement leur est ensuite remis : certains font le choix de le montrer de leur vivant à leurs familles pour qu’elles puissent comprendre ce qui leur est arrivé, tandis que d’autres laissent des directives testamentaires. « C’est incroyable ce que cela peut provoquer de raconter son histoire devant une caméra », explique Gal.
Pour mesurer l’efficacité de son travail, NATAL a créé un département de recherche qui évalue tous ses projets. « Nous vérifions tout, tout le temps, voilà pourquoi nous avons construit un département de recherche et d’évaluation. Nous choisissons les meilleurs professionnels dans leur domaine. Nous apprenons en permanence, corrigeons nos erreurs et cherchons à nous améliorer. » Mais le meilleur résultat, ponctue-t-elle, c’est quand des victimes de TSPT n’ont plus besoin de l’aide de NATAL au terme d’un traitement. « Parce que, grâce à nous, ils ont appris à prendre soin d’eux-mêmes. » 
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