Entreprises en crise

Les petits commerces de Jérusalem sont sur la ligne de front et la baisse de leur fréquentation fait craindre le pire aux propriétaires

Commerce en berne à  Jérusalem (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM)
Commerce en berne à Jérusalem
(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM)
Jérusalem en a vu d’autres. Mais les cicatrices des deux premières Intifadas sont à peine estompées que la capitale est de nouveau plongée dans une vague de violence. Même si la ville garde en souvenir des moments bien plus sombres, les attentats de ces dernières semaines ont eu des effets certains sur sa vitalité, qui mettront sans doute du temps à se dissiper. Quatre Israéliens ont payé le prix fort en y laissant leur vie, et des dizaines d’autres sont encore hospitalisés. Il y a aussi ceux, qui, dans une moindre mesure et un silence presque total, doivent assumer les conséquences économiques des derniers événements.
« C’est simple, les gens sortent beaucoup moins », confie Ben, qui tient un stand de falafels du côté de l’avenue King George. Depuis le début de la vague de terreur, sa clientèle a considérablement chuté et les affaires s’en sont ressenties. « Plus d’une fois, j’ai dû dire à mes employés de rentrer chez eux, parce qu’il n’y avait personne ! », regrette-t-il. « Maintenant, cela commence à aller un peu mieux, mais nous restons loin du chiffre que nous faisions avant toute cette histoire… »
Quand on connaît l’animation du marché Mahané Yehouda le vendredi matin, quand on a fréquenté les bars et les restaurants de ce chouk le samedi soir au milieu des noctambules qui s’y pressent, on n’a nul besoin de statistiques pour sentir que, depuis quelques semaines, la capitale s’est mise en veilleuse. Même constatation pour qui se promène le soir dans une rue Ben Yehouda étrangement déserte… Dans les boutiques de souvenirs, les commerçants peuvent lire tranquillement leur journal sans craindre d’être dérangés par des acheteurs. Au coin, une serveuse est aux petits soins avec ses deux uniques clients, tandis que son collègue du restaurant voisin joue sur son téléphone, assis devant l’entrée. Un peu plus loin, le libraire s’est finalement résolu à fermer deux heures plus tôt que d’habitude.
Le tourisme en berne
Bien des raisons expliquent cette baisse d’activité patente. Le tourisme, tout d’abord, a nettement décliné : de nombreuses visites guidées dans la capitale ont été annulées, causant un manque à gagner pour les restaurants, les musées et autres attractions de la ville. Et si l’on croise encore des touristes étrangers dans les rues de Jérusalem, ils devraient se raréfier dans les jours, voire les semaines à venir, si l’on en croit les prévisions de la municipalité. Avec une telle morosité en toile de fond, les petits commerces sont les plus touchés. A la moindre tension politique, au moindre attentat, ils se trouvent en première ligne. Cela a été le cas l’an dernier, durant l’opération Bordure protectrice, où la forte baisse du tourisme – 25 à 35 % de visiteurs étrangers en moins – a fait chuter leurs bénéfices de 15 %, et ce, jusqu’au mois d’octobre, soit bien après la fin des hostilités.
Le tourisme mis à part, c’est de la sensible désertion de la clientèle locale que souffrent surtout les commerçants. Pour Ruthie, qui tient une boutique d’artisanat et de céramique dans le quartier de Nahalat Shiva, ce n’est pas seulement la prudence qui retient les gens chez eux, mais une sensation de malaise général qui s’est emparée de la ville et risque de persister, selon elle, bien après la fin des violences actuelles. « Ce n’est pas tant la peur d’être attaqués dans la rue lorsqu’ils marchent, qu’une lassitude générale à devoir toujours faire face à des crises, sans avoir l’impression d’en voir le bout… », déplore-t-elle. La boutique coopérative de Ruthie vend des objets en céramique fabriqués par onze artistes locaux. Sachant que l’art est le premier luxe auquel on renonce quand il s’agit de se serrer la ceinture, le magasin risque de compter parmi les commerces les plus durement touchés si la situation ne s’améliore pas. Il y a un ou deux mois, pendant la période des fêtes, elle vendait une dizaine d’articles par jour ; aujourd’hui, elle en écoule un ou deux à peine, tout juste de quoi garder la tête hors de l’eau… Tout à coup, son visage s’illumine : quelqu’un vient d’entrer dans sa boutique. Elle s’empresse de rejoindre ce client potentiel et l’accompagne tandis qu’il passe en revue les étagères pour trouver un cadeau à offrir. Il fait finalement son choix et Ruthie se réjouit : elle vient de réaliser sa première vente de la journée. Il est 18 heures.
Coup de pouce
La municipalité prévoit-elle de mettre en œuvre des mesures concrètes pour alléger le poids de cette crise ? Ruthie s’en réjouirait. Car il y aurait des choses à faire, dit-elle. Et d’évoquer par exemple l’initiative de l’association Eden, une société basée à Jérusalem qui œuvre pour le développement des petits commerces. « Cet été, Eden a sponsorisé le projet qui consistait à coiffer une zone de Nahalat Shiva de parasols multicolores. Une idée qui a attiré des milliers de gens dans la rue. Même les Israéliens sont venus des quatre coins du pays pour voir ça ! » Avec cette motivation et cette créativité qui la caractérise, l’association est parvenue à lutter contre la relative torpeur qui s’était emparée du quartier depuis la baisse du tourisme due à l’opération Bordure protectrice. Des initiatives similaires feraient de nouveau le plus grand bien à l’activité locale.
Dans un souci de venir en aide aux petits commerces, la municipalité s’est associée à une ONG, le MATI (Centre pour la promotion de la création d’entreprise). Objectif : trouver des moyens rapides et efficaces de contrer la récession locale. « Une multitude de sociétés nous ont déjà contactés », explique Golan Tobi, le président de l’organisation. « Nous proposons des cours de marketing, de gestion et beaucoup d’autres activités encore. Le but est de fournir des outils aux petites entreprises qui créent des emplois pour les habitants de la ville. »
Mais pour certains, ces mesures ne suffiront pas. Ruthie aimerait, par exemple, que les petits commerces soient dispensés de payer l’arnona (taxes municipales), dans la mesure où tout le monde a intérêt à voir leur activité redémarrer. Il est absurde, estime-t-elle, que les autorités fassent la sourde oreille face à la détresse des petits commerçants et maintiennent les taxes à leur maximum dans des périodes si difficiles.
L’Eatifada
Et puis il y a les initiatives spontanées et indépendantes des habitants de la ville. De nombreux Hiérosoloymitains, répondant à l’appel de leurs commerçants de quartier, se font désormais un devoir – que certains qualifieraient de patriotique – de fréquenter leurs bars et restaurants favoris, en signe de soutien. Ainsi, la campagne en ligne Eatifada, jeu de mots culinaire sur « intifada », « eat » signifiant « manger » en anglais, s’est fixé pour objectif de repeupler les restaurants de la ville. L’idée est née sur Facebook. Là, les internautes sont invités à poster des photos d’eux attablés dans tel ou tel établissement de la capitale. Et d’inviter leurs amis à les imiter et même à commander un repas encore plus cher. Un simple selfie fera office de preuve. La campagne, lancée il y a une vingtaine de jours, a déjà rassemblé plus de 1 000 membres sur le réseau social, explique son instigateur Eitan Morgenstern.
Outre le considérable coup de pouce ainsi apporté aux commerces locaux, la publicité créée autour d’Eatifada a entraîné une prise de conscience au sein du public. Les périodes les plus difficiles font ainsi ressortir les meilleurs côtés de la société israélienne : solidarité, cohésion, résilience. Eternellement au cœur du conflit, Jérusalem se trouve une fois de plus face à un défi, mais elle tiendra bon et demeurera un centre culturel vivant, sûr et ouvert à tous. « Nous avons vu pire », proclame Ruthie, « et nous continuerons à vivre normalement, quoi qu’il arrive. »
 
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