Un bébé à 60 ans

L’hôpital Kaplan de Rehovot a permis à une sexagénaire de mettre son premier enfant au monde. Rencontre avec le médecin à l’origine de cette prouesse

Une équipe médicale du centre Kaplan (photo credit: DR)
Une équipe médicale du centre Kaplan
(photo credit: DR)
La nouvelle a fait la une des médias. Début août, une femme de 60 ans a accouché à l’hôpital Kaplan de Rehovot. Ce n’était pas sa première grossesse, mais c’est la première fois que celle-ci était menée à son terme. Le Dr Ilya Barr, spécialiste israélien de la fertilité, qui possède plusieurs cliniques dans le pays, est le médecin qui l’a aidée à tomber enceinte et à mener sa grossesse à son terme. Il a répondu à nos questions.
Une femme comme les autres
« C’est une femme comme les autres », confie le Dr Barr, sympathique médecin à l’accent roumain. « En bonne santé dans tous les sens du terme, mis à part le fait qu’elle n’arrivait pas à tomber enceinte. Elle s’est adressée à nous à l’âge de 53 ans, après des années de traitements sans succès dans d’autres cliniques. Nous l’avons aidée à tomber enceinte à deux reprises, mais malheureusement, ces grossesses se sont terminées par des fausses couches précoces. » Des avortements causés à chaque fois par une grosseur dans l’utérus qui a entraîné le décollement du placenta de la paroi utérine. Le Dr Barr a alors discuté avec les chirurgiens concernés de la possibilité d’éliminer chirurgicalement l’excroissance. Face au risque élevé, certains penchaient tout bonnement pour une hystérectomie. « Une procédure normale, dans la plupart des cas », fait remarquer le médecin. « Cependant, nous avons tout de même choisi d’opérer la tumeur et nous avons pu la retirer sans causer de dommage à l’utérus. »
Toutes les grossesses de cette femme ont été le résultat de fécondations in vitro, la seule voie possible, compte tenu de son âge. La patiente a également eu recours au don d’ovules. Les femmes, en effet, naissent avec une réserve d’ovocytes non renouvelable. A partir d’un certain âge, ceux-ci se détériorent et ne sont plus viables ou disparaissent tout simplement. Cette patiente avait largement dépassé l’âge de conserver des ovocytes sains. Elle a donc bénéficié de dons d’ovules anonymes.
« Compte tenu des traitements, des fausses couches, des décisions à prendre et à appliquer, il nous a fallu un bon nombre d’années avant de réussir. Normalement, nous n’encourageons pas les femmes âgées de plus de 43 ans à tenter l’expérience de la grossesse, comme le préconise l’Association israélienne de la fertilité. Cependant, cette patiente était déjà en cours de traitement, et elle était tombée enceinte à plusieurs reprises, un facteur qui jouait en sa faveur. Nous avons procédé à des examens de santé approfondis jusqu’à la cartographie génétique, et avons réévalué son état lors de chaque traitement. » La cartographie génétique est une sorte de carte d’identité physiologique qui révèle quels sont les risques encourus par le patient de développer des pathologies liées à l’âge, comme l’hypertension artérielle, les maladies cardiaques, ou les cancers de différents types, comme l’explique le Dr Barr. « Nous pouvons ainsi conseiller la personne, ou le couple, en fonction des risques. Ils peuvent alors fonder leur décision de tenter une naissance à un âge avancé en toute connaissance de cause. »
Question d’éthique
« Ce qui m’amène à la question que tout le monde se pose », poursuit Barr. « Est-il juste d’aider une femme à porter un enfant à cet âge ? Je réponds par l’affirmative. 60 ans aujourd’hui, c’est comme 40 hier. Notre espérance de vie a augmenté de six heures par tranches de 48 heures. L’Israélienne d’aujourd’hui peut espérer vivre 84 ans, alors qu’il y a 60 ans, son espérance de vie était seulement de 48 ans. Enfin nous ne vivons pas seulement plus longtemps, nous vivons également plus sainement. »
« Ainsi, les problèmes de santé liés au grand âge, qui étaient presque inévitables autrefois, deviennent moins fréquents. La plupart d’entre nous sommes conscients de la nécessité de maintenir une bonne hygiène de vie, grâce à une alimentation équilibrée et une activité physique. De plus, nous bénéficions d’excellents soins médicaux lorsque des pathologies surgissent. Nous pouvons détecter les problèmes de santé à un stade précoce et sommes capables de prévenir les maux qui auparavant nous affectaient dès l’âge de 50 ou 60 ans », affirme le médecin.
Sur la question de l’avenir de l’enfant, le Dr Barr possède également des positions bien tranchées. « Depuis que la nouvelle de cette naissance a fait le tour des médias, les journalistes ne cessent de me harceler sur cette question : “Qu’arrivera-t-il lorsque la petite fille aura 10 ans et que sa mère en aura 70, l’âge d’être sa grand-mère ? Pensez-vous que ce soit juste ?” Je leur réponds que les couples dans la vingtaine, avec leurs soucis de carrière et les incertitudes quant à leur avenir ne font pas forcément de meilleurs parents que les couples qui ont déjà réglé ces problèmes depuis longtemps… Regardez qui élève effectivement les enfants des jeunes couples. Le plus souvent, ce sont les baby-sitters ou la crèche, les institutrices de maternelle, puis l’école. Nous savons que l’influence la plus importante sur le nourrisson provient de son environnement. Et qui procure le meilleur environnement ? Les baby-sitters payées à l’heure ou la maman plus âgée qui prend le temps d’élever elle-même son enfant ? Pour moi la réponse est claire. Les enfants élevés par des parents plus âgés bénéficient d’un environnement plus formateur que ceux nés de couples plus jeunes. »
« Donc, si vous me demandez s’il est légitime pour une femme d’avoir un premier enfant à 40 ans, je réponds oui sans hésiter. Les professionnels devraient accepter cela. Mais les changements de mentalité chez les scientifiques et les médecins sont toujours très lents. Cela a toujours été le cas depuis l’époque lointaine où ceux qui prétendaient que la terre était ronde étaient mis à mort. Il y a eu un changement radical dans le monde de la biologie depuis la découverte du gène humain, mais malgré les percées incroyables dans ce domaine, de nombreux professionnels affichent une attitude conservatrice, et refusent d’accepter que des femmes avancées en âge puissent avoir des enfants. »
Une joie sans bornes
Qu’en est-il de la nouvelle maman, dont l’identité n’a pas été dévoilée dans le souci de préserver son intimité ? Tout ce que le médecin accepte de révéler est qu’elle est mariée et bénéficie également d’un solide soutien familial et social. La seule déclaration qu’elle ait faite à la presse a été pour exprimer sa gratitude envers l’équipe du Centre hospitalier Kaplan pour son professionnalisme.
L’heureuse maman a accouché par césarienne. Bien qu’elle soit en bonne santé et qu’elle ait exercé son métier presque jusqu’au terme de sa grossesse, quelques inquiétudes ont surgi au cours des dernières semaines dues à la montée de sa tension artérielle. Dès lors, l’équipe médicale a redoublé de vigilance en raison des risques de pré-éclampsie, une complication de la grossesse caractérisée par une tension élevée et des œdèmes, qui peut également provoquer des convulsions et parfois déboucher sur un coma. Etant donné le risque élevé de pré-éclampsie chez les femmes âgées, l’équipe avait donc décidé que le plus sûr pour la patiente serait d’accoucher par césarienne. La nouvelle maman et son bébé ont quitté l’hôpital après un délai post-opératoire normal, et toutes deux se portent bien.
Quelles sont les impressions du médecin après cet heureux dénouement ? « Cela a été un cheminement long et difficile, mais tous les efforts – de la maman, de mon équipe, des chirurgiens et des sages-femmes – valaient la peine. Etre témoin de sa joie est la récompense la plus précieuse. Les êtres humains ont un besoin biologique inné de transmettre leurs gènes, mais le bonheur d’une femme qui donne la vie est absolument unique. »
10 000 bébés éprouvettes
La publicité faite autour de cette naissance va-t-elle inciter plus de femmes âgées à se lancer dans l’aventure d’une première grossesse ? Apparemment non. « Je ne m’attends pas à plus d’une ou deux dans l’année qui vient. Comme je le disais précédemment, nous n’encourageons pas les premières grossesses tardives. Tel est le message que je voudrais faire passer aux femmes : ayez votre premier enfant avant 35 ans, en accord avec le rythme biologique. Même si ce n’est pas pratique en termes de finances et de carrière, commencez quand vous êtes encore jeune. Il est vrai que l’on vit plus longtemps aujourd’hui, mais la fécondité diminue avec l’âge. Il est dommage de retarder le moment de fonder une famille jusqu’à être contraint d’avoir recours à ces procédures compliquées. »
Qui sont ces femmes qui cherchent à avoir leur premier enfant à un âge plus avancé ? Elles sont pour la plupart, selon le Dr Barr, au début ou au milieu de la quarantaine. « Nous voyons beaucoup de femmes de carrière qui ont repoussé le moment d’avoir des enfants jusqu’au bout, de célibataires aussi qui ne se voient pas fonder une famille nucléaire mais souhaitent avoir un enfant avant que leur horloge biologique ne les lâche. Nous avons également aidé des couples plus âgés qui ont perdu un enfant dans un accident ou autre événement traumatique à concevoir de nouveau. »
La plupart des patients du Dr Barr sont juifs. Généralement, les Arabes israéliens ont des enfants relativement tôt, au début de leur mariage, affirme le médecin. Sans compter que le recours aux dons d’ovules ou de sperme est interdit par l’islam. « Nous avons eu quelques couples arabes laïques qui cherchaient un traitement contre la stérilité, mais très peu. Je me suis occupé d’un couple arabe dont la femme était née sans ovocytes. Elle est tombée enceinte après la première intervention. Ils ont laissé du sperme congelé, des ovocytes et des embryons au laboratoire. Je leur ai alors demandé s’ils souhaitaient tenter une autre grossesse. Le couple a répondu qu’ils avaient décidé d’y renoncer, pour des raisons religieuses, vu qu’ils avaient déjà un enfant. »
Selon le Dr Barr, peu de couples viennent de l’étranger pour suivre en Israël un traitement pour la fertilité. Ceux qui le font sont russes, pour la plupart. Alors que ces traitements sont aujourd’hui largement répandus dans le monde et affichent le même taux de réussite qu’en Israël, l’avantage ici est qu’ils sont en partie subventionnés par l’Etat.
Combien de bébés le Dr Barr et son équipe ont-ils aidé à venir au monde ? « Il y a 10 ans, nous avons fait le calcul et étions arrivés à un chiffre tournant autour de 7 000 naissances. Depuis, nous avons arrêté de compter. Aujourd’hui, cela doit se situer autour de 10 000 j’imagine », affirme l’obstétricien. Et un de plus.
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