Une menace stratégique imminente

Las de l’impasse du conflit israélo-palestinien, les citoyens s’inquiètent de leur avenir économique.

0711JFR10 521 (photo credit: Marc Israël Sellem)
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(photo credit: Marc Israël Sellem)

Après sa défaite électorale en 1945, Winston Churchill a raconté qu’un de ses amis avait appris les résultats alors qu’il se trouvait au Zagreb. Une femme locale lui a lancé avec un vrai accent de tristesse : “Pauvre M. Churchill, il va sûrement être fusillé.”
Cette brave dame n’avait bien sûr aucune idée de la façon dont fonctionne la démocratie.
Mais même si elles n’exécutent pas les politiciens, les démocraties peuvent tomber malades.
La politique israélienne, par exemple, a souffert ces dernières générations de deux maladies : la territoir-ite et la tribal-ite.
La première, nous en sommes enfin guéris, et la seconde a été retirée du côté russe de notre corps. Mais a repris de plus belle à un autre endroit.
Depuis près d’un demi-siècle, nos énergies politiques sont gaspillées par le débat territorial futile entre “la terre contre la paix” et le “Grand Israël”. Inspiré de mouvements crédules qui ne se sont jamais présentés aux élections - La Paix maintenant et le Goush Emounim - le système politique cultive l’illusion que le dilemme territorial est au coeur de notre avenir. Entre le courant des implantations et celui des accords d’Oslo, chacun a connu son heure de gloire, mais aucun n’a rempli son contrat. C’est pourquoi les travaillistes évitent à présent de discuter du conflit, tandis que ce sont les dirigeants du Likoud qui ont évacué la bande de Gaza et accepté la solution de deux Etats pour deux peuples.
Déçues et épuisées comme deux boxeurs après 16 rounds peu concluants, les deux écoles ont perdu quelque part l’attention du public sur la question palestinienne. Mais les citoyens ont appris que ces politiciens, qui se sont révélés incapables de mettre fin au conflit, sont ceux qui décident de l’emploi, des prix, de la fiscalité et de l’épargne. Dans l’Israël post-Intifada, il s’agit d’une véritable révélation.
C’est ainsi que nous avons fini par nous retrouver avec des élections dont le principal sujet est le panier de la ménagère, pour la première fois depuis la grande récession de 1965. Mieux encore, le débat est dirigé par deux idéologues économiques : le néoconservateur Binyamin Netanyahou et la néo-socialiste Shelly Yacimovich, qui, s’ils représentent des vues opposées, parlent honnêtement, en toute connaissance de cause et avec un certain respect envers l’adversaire.
Après des décennies de démagogie inepte, une vraie bouffée d’air frais.
Les Russes débarrassés du concept de tribu 
Pour ce qui est de notre autre maladie, la tribal-ite, la bonne nouvelle est que, pour la première fois depuis 1996, aucun parti “russe” ne se présente aux élections.
Avigdor Liberman, troublante combinaison d’un look Bluto-le-marin et d’un discours Docteur Folamour, fait beaucoup grincer des dents, et son dossier sur d’autres fronts mérite un examen exhaustif. Mais vu sous le prisme tribal, il vient de rendre au rêve sioniste un immense service.
Avec la fusion Likoud-Israël Beiteinou, l’électorat russe a rejoint pour de bon la vie politique. Certes, les russophones israéliens ont toujours leurs problèmes - qui n’en a pas ? Mais les politiciens ne les voient plus comme un réservoir électoral, pour la simple raison qu’ils ne se sentent plus le besoin d’appartenir à une tribu. Dans le pays depuis près d’un quart de siècle, ils ont pour la majorité appris l’hébreu, envoyé leurs enfants servir dans l’armée israélienne, fréquenter les universités israéliennes et rejoindre l’arène du marché du travail et du monde des affaires - pour le meilleur et pour le pire.
Hélas, tous ces progrès sont quelque peu contrecarrés par un individu, déjà attelé à insuffler une réaction politique de grande envergure. J’ai nommé Arieh Deri.
Les partisans du vieux-nouveau Shas interrogent : “Qu’est-ce que vous attendez de Rav Arieh ? Certes, il a eu des démêlés avec la justice, mais Liberman aussi. Seulement, comme le ministre des Affaires étrangères est originaire de Kishinev, et l’ancien ministre de l’Intérieur de Meknès ; le système israélien choisit naturellement de s’en prendre au ‘Marocain’”.
Ce n’est que pure diffamation. Liberman n’a été inculpé pour quelque crime que ce soit, et encore moins condamné. Deri a été reconnu coupable - de corruption. Deri doit donc être comparé non pas à Liberman, mais à l’ancien ministre des Finances Avraham Hirchson, qui purge une peine pour détournement de fonds. L’Israélien moyen aurait fulminé de voir cet Ashkénaze pur-sang faire son retour en politique, tout comme il enrage devant le come-back de Deri.
Deri n’a jamais admis ses crimes, a encore moins présenté d’excuses, et insinue à ses électeurs que la justice l’a maltraité et lui a collé une étiquette. C’est le message qu’il véhiculera sur la scène politique, soutenu par une brochette de rabbins.
C’est dans ce contexte général anarchique que Deri est entré dans la salle d’urgence, ses gants de chirurgien dissimulant à peine les gros doigts avec lesquels il va traiter son patient atteint de tribal-ite aiguë sur la table d’opération. “Je ne viens pas de Césarée”, a asséné un Deri moralisateur à la télévision cette semaine, dans une allusion à peine voilée à Netanyahou, avant de qualifier cette élection de “piqûre des nantis aux démunis”, ajoutant que les dirigeants actuels ignorent ce qu’est la pauvreté, et n’ont jamais vu un parent couper un oeuf en deux, pour pouvoir nourrir chacun de ses nombreux enfants.
Eh bien l’aveugle, c’est Deri, et ce qu’il ne voit pas, c’est les parents européens arrivés ici sans le sou, traumatisés et orphelins, qui ont eu une vie ascétique, et dépensé leurs revenus modestes, et non pas pour le type de luxe que lui sait apprécier, mais pour une bonne éducation laïque dont il prive des milliers d’enfants le matin, tout en dénonçant la pauvreté qui en découle le soir.
A présent, le débat économique sain qui nous attend cet hiver risque d’être détourné et avili par le populisme fiscal, la démagogie sociale et l’incitation tribale de ce criminel condamné. Pire encore, au lendemain des élections, notre homme projette d’être au coeur de nos vies, de jouer au médiateur entre les parties, de concocter les factures, canaliser les budgets, briefer les journalistes, nommer les ministres, les directeurs et les conseillers. En bref, nous dire ce qui compte, qui compte, où aller et quoi faire.
Il est donc de notre devoir civique de dire à celui qui a l’intention de voter Shas qu’il s’apprête à asséner un coup stratégique à l’Etat juif. Personne ne demande aux électeurs du Shas de voter Meretz. Ils peuvent opter pour le Likoud, le Parti travailliste, Habayit Hayehoudi ou, s’ils tiennent vraiment à rester ultra-orthodoxes, qu’ils reviennent aux sources et rejoignent le Judaïsme unifié de la Torah. Voilà un parti qui se trompe peut-être sur beaucoup de choses, mais dont les députés ne sont pas des criminels et se gardent, le coeur rempli de haine et les poches pleines de pots-de-vin, de critiquer la majorité de contribuables et de travailleurs respectueux des lois.