La chemita : restaurer les traditions

Purement théorique pendant plus de 2000 ans d’exil, la chemita est redevenue effective avec le retour d’Israël sur sa terre. Conséquences pour les agriculteurs et pour le consommateur

La chemita : restaurer les traditions (photo credit: REUTERS)
La chemita : restaurer les traditions
(photo credit: REUTERS)
Myriam Claveau
La mitsva de la chemita est clairement énoncée dans la Torah : « Six années tu ensemenceras ton champ, six années tu travailleras ta vigne, et tu en recueilleras le produit ; mais la septième année, un chômage absolu sera accordé à la terre, un shabbat en l’honneur de l’Eternel » (Lévitique XXV). Son but : rappeler à chacun que Dieu est le seul véritable propriétaire de la terre.
La septième année est donc désignée comme le « shabbat de la terre », son repos : il est interdit de cueillir et de planter, le champ est laissé en jachère à disposition des plus pauvres.
Une pratique encouragée par l’Etat
Bien que certains détails des lois de chemita demeurent inapplicables, cette mitsva est largement respectée à travers le pays.
Face à cette réalité, on s’interroge : Israël est-il un Etat laïc ou religieux ? Et dans quelle mesure est-il un Etat juif ? Cette problématique délicate se trouve au cœur de nombreux débats politiques et sociaux du pays, et pose également la question existentielle des liens du peuple juif avec sa terre : si l’Etat d’Israël se présente comme un Etat laïc dont la langue est l’hébreu, alors le lien « mystique » avec la terre ne peut être invoqué. Il perd sa légitimité à aspirer à des frontières données il y a 3000 ans par Dieu à Avraham. La bataille pour parvenir à la reconnaissance internationale des frontières actuelles, voire plus grandes, de l’Etat d’Israël serait donc perdue d’avance. Si en revanche Israël se définit comme un Etat juif, le lien entre le peuple et la terre est intrinsèque, et les règles de la chemita doivent alors être prises plus au sérieux. On ne peut pas laisser de côté les commandements plus difficiles à appliquer.
La question se posait également à l’époque du Goush Katif, et fait toujours débat pour les régions d’Eilat, ou d’une partie du Golan : ces exploitations agricoles sont-elles soumises à la chemita ? Selon le Rav Cherki, dès lors que le peuple juif a repris possession de ces terres, les règles de sainteté doivent s’y appliquer sans distinction. Le « Grand Israël » dans son intégralité qui est concerné par ces lois. Mais d’autres considèrent que les frontières d’Israël sont celles de l’époque du Second Temple, et que les lois de jachère ne s’appliquent pas au-delà.
Dans sa définition moderne, Israël se veut un Etat juif et démocratique, dont les citoyens, juifs ou non, bénéficient des mêmes droits juridiques.
La chemita n’est pas imposée, et ne pourrait le devenir que si une loi en ce sens était votée démocratiquement à la Knesset. Néanmoins, plus de 90 % des agriculteurs israéliens choisissent de respecter les lois de jachère. Il faut dire qu’il existe, à leur intention, des aides étatiques particulières pour compenser ces années de repos pour la terre, et ce depuis la création de l’Etat. Ainsi, Naftali Bennett, ministre de l’Economie et des Affaires religieuses, a approuvé dernièrement un budget de 45 millions de shekels pour soutenir les cultivateurs qui respecteront la chemita à la lettre, tandis qu’une enveloppe supplémentaire de 20 millions de shekels sera accordée à ceux qui ne tireront pas profit de leurs arbres fruitiers. Le ministre de l’Agriculture et celui des Finances s’apprêtent également à travailler main dans la main pour débloquer des subventions dans ce but.
Manger des fruits et de légumes
Plusieurs alternatives s’offrent aux consommateurs concernant l’achat des fruits et des légumes pendant l’année de chemita :
Heter Mehira
C’est le Rav Kook, premier Grand Rabbin d’Israël, qui a mis en place le système du Heter Mehira : il consiste à vendre la terre aux non-juifs, avec une clause de restitution à la fin de l’année. Ce qui permet de continuer à travailler la terre sans enfreindre les lois de la chemita. Il s’agit de la solution la plus couramment employée dans le pays.
Otzar Beit Din
Les fruits et légumes sont distribués aux consommateurs par l’intermédiaire d’un Beit Din, et doivent être consommés suivant des conditions très strictes, regroupées sous le terme de Kdouchat chviit : leur gaspillage est interdit, et l’on ne jette les épluchures qu’une fois pourries ; le fruit doit être mangé tel quel, on ne pourra pas le cuire par exemple ; enfin, le vin fait à partir de raisin récolté l’année de jachère, ne peut être renversé.
Matsa Menoutak
Il s’agit des cultures hors-sol qui se poursuivent même pendant l’année chabbatique, puisque les légumes sont plantés dans des pots ou des serres.
Les produits des non-juifs
Si un terrain appartient à non-juif, il n’est pas soumis aux lois de la chemita. De nombreux fruits et légumes proviennent donc des villages arabes ou bien de l’étranger.
Selon le Rav Oury Cherki, l’option du Heter Mehira doit être privilégiée : « Cette solution est préférable. On entend souvent que les gens plus stricts ne doivent pas opter pour cette solution, or c’est totalement faux. Le consommateur ne peut pas se montrer plus rigoureux au dépend de l’implantation juive en Israël. Le seul qui puisse être plus strict est l’agriculteur. »
Si la pratique est régulièrement appliquée, cette année, pour la première fois, un Guer Tochav – un non-juif respectueux des 7 lois noa’hides – a accepté d’acheter les terres des agriculteurs juifs selon les conditions du Heter Mehira. La transaction effectuée avec le Tribunal suprême du Grand Rabbinat d’Israël a eu lieu le 17 septembre dernier.
Et pour le porte-monnaie ?
Quelles sont les conséquences du respect de la chemita sur le coût des fruits et des légumes ? Tout dépend de leur provenance. Les cultures issues du Heter Mehira constituent plus de 80 % du marché israélien, sans incidence sur le coût. Les denrées produites selon le Otzar Beit Din affichent une hausse de 5 % par rapport aux prix du marché. Quant aux fruits et légumes qui proviennent des cultures hors-sol, ils se vendent entre 10 et 15 % plus cher.
Parmi les consommateurs, ce sont les religieux orthodoxes qui déboursent le plus : ils s’approvisionnent exclusivement en produits importés, ou bien auprès des producteurs non juifs du pays. Il faut noter que certaines associations telles que Otzar Haaretz, qui achètent en gros des produits plus chers auprès des producteurs, s’organisent néanmoins pour les revendre à prix fixe aux consommateurs.
Ariel Porat est un ancien agriculteur du Goush Katif. Il possède désormais une pépinière dans le sud, à Shtil Neto, où il cultive des plants de légumes et d’herbes aromatiques. Il bénéficie d’une cacherout particulière pendant l’année de chemita, explique-t-il, et vend alors essentiellement aux non-juifs ou à l’étranger. Les agriculteurs hors-sol constituent une partie de sa clientèle. Son activité n’est donc pas particulièrement affectée par les années chabbatiques.
Pour ce qui est des conséquences de la guerre sur l’année de chemita à venir, Ariel Porat affirme qu’elles demeurent minimes et se résument à un léger retard dans le travail, notamment pour les agriculteurs hors-sol. Pour les autres, qui travaillent dans le cadre du Heter Mehira, la situation est restée quasiment normale.
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