Déroute à Gaza

Isolé sur tous les fronts, le Hamas n’a jamais été en si piètre position, et l’affrontement actuel n’est pas là pour améliorer les choses.

Garde palestinien (photo credit: MOHAMMED SALEM)
Garde palestinien
(photo credit: MOHAMMED SALEM)
«Cherchez maintenant ce grand libérateur, vous le trouverez aveugle à Gaza », disait Samson de lui-même en se lamentant sur la trahison de Dalila dans le texte de John Milton, Samson agoniste.
Cette semaine, un autre prisonnier aveugle est apparu à Gaza, mais cette fois, il s’agit du philistin, et son aveuglement n’a rien de physique : il est stratégique, militaire et politique.
Vingt-sept ans après sa création à la suite de la première intifada, le Hamas se retrouve depuis une semaine, dans sa confrontation avec Tsahal, dans la pire situation qu’il n’ait jamais connue sur le plan stratégique.
Tout commence lorsqu’en 2012, il perd son allié syrien, qui l’a accueilli sur son territoire, en pariant sur la défaite du président Assad dans la guerre civile qui déchire le pays. Assad expulse alors le Hamas de Damas et s’applique à multiplier les preuves que le moment n’est pas encore venu de prononcer son éloge funèbre et que le Hamas a commis une grave erreur en misant sur le mauvais cheval. Et l’entraînement des rebelles syriens dans les camps du Hamas achève de sceller cette inimitié.
Outre la Syrie, le Hamas perd aussi son sponsor iranien, avec ses versements de capitaux et ses acheminements d’armes vers Gaza, ainsi que l’appui du Hezbollah, resté étonnamment silencieux depuis le début de l’opération, alors que la bande de Gaza était à feu et à sang.
Non content de perdre la Syrie, le Hamas s’est aussi mis l’Egypte à dos. Enfant naturel des Frères musulmans égyptiens, il entretenait avec l’ex-président Mohamed Morsi des relations stratégiques qui ne tenaient en rien de l’opportunisme. Cette alliance, contrairement à celles qui le liaient à la Syrie ou à l’Iran, était aussi naturelle et logique que celle entre la Corée du Nord et la Chine, et l’on ne peut pas lui reprocher de l’avoir cultivée. Le seul problème est que Morsi n’a plus sa place au pouvoir et que ses successeurs considèrent les Frères musulmans comme une menace.
En toute logique, c’est également ainsi qu’ils voient le Hamas, sans parler de sa collaboration avec les terroristes islamistes qui opèrent dans le Sinaï.
Désormais, le ressentiment que l’Egypte voue au Hamas est partagé par l’Arabie Saoudite, le Koweït et les Emirats Arabes Unis, qui exècrent tout ce qui ressemble à une menace contre les régimes bien établis du monde arabe.
Enfin, le Hamas est parvenu à réduire à néant l’harmonie naissante avec l’Autorité palestinienne quelques semaines à peine après l’annonce en fanfare d’un gouvernement d’union nationale avec le Fatah.
Fini l’effet de surprise
En somme, le Hamas s’est isolé de façon hermétique et tout le monde le fuit : les monarchies comme les républiques, les sunnites comme les chiites, les Iraniens comme les Américains… Et le monde le voit aujourd’hui comme faisant partie intégrante de cette Internationale islamiste qui sème le désordre du Nigeria à la Chine occidentale, en passant par l’Irak.
Même la Turquie, sa dernière alliée, ne s’est guère fait entendre cette semaine alors que l’aviation israélienne pilonnait des cibles à Gaza.
Certes, cet isolement est en partie le fruit de circonstances que le Hamas ne maîtrise pas. Toutefois, l’organisation ne peut s’en prendre qu’à elle-même, car cette situation résulte d’un manque de souplesse et d’habileté politique, deux qualités indispensables pour diriger une nation, comme elle aspire à le faire.
Depuis mardi dernier, les options militaires adoptées par le Hamas souffrent du même manque de vision stratégique que sa diplomatie.
Voilà bien longtemps que les attaques de roquettes ne bénéficient plus de leur avantage initial : l’effet de surprise. Tout le monde les attendait, en particulier Tsahal. Les centaines de missiles envoyés au cours des premiers jours, interceptés les uns après les autres et donc globalement inefficaces, ont laissé l’impression que le Mouvement islamique manquait d’imagination et de véritable assurance et qu’il gaspillait un attirail militaire qu’il aura bien du mal à renflouer au nez et à la barbe du nouveau gouvernement égyptien.
L’assaut avorté contre le kibboutz Zikim mardi dernier, où des plongeurs palestiniens ont été repérés, puis tués, alors qu’ils sortaient de l’eau, était certes audacieux, mais soulignait la transparence du Hamas, de même que l’explosion inopinée d’un tunnel rempli de munitions. L’assassinat ciblé, mené peu avant le raid par Tsahal qui a abattu le commandant de ce commando naval du Hamas, a prouvé que l’armée israélienne possède une bien meilleure connaissance intrinsèque de l’organisation qu’on pourrait le croire.
La politique de l’islamisme
En vérité, le combat dans lequel s’est lancé le Hamas suscite une question simple : que cherche l’organisation ? Si l’idée était de perturber en profondeur la vie quotidienne des Israéliens, c’est un coup d’épée dans l’eau. Certes, les petites entreprises subissent quelques dommages et certains événements publics ont été annulés, mais, dans l’ensemble, nous sommes loin du Blitz sur Londres en 1940. Les gens vont travailler, les plages sont toujours pleines, le shekel est plus fort que jamais et, après trois jours de déclin modéré, l’Index 100 à la bourse de Tel-Aviv a repris mercredi dernier sa courbe ascendante.
Selon toute évidence, il y a, dans la conduite du Hamas, plus de spontanéité que de préméditation, signe sans doute d’une certaine frustration face à de trop nombreuses impasses politiques.
Depuis sa création, le Hamas s’efforce de gagner un maximum de puissance tout en assumant un minimum de responsabilités.
C’était déjà dans cette optique que le cheikh Ahmed Yassin ne s’était pas présenté contre Yasser Arafat aux éléctions présidentielles de 1996. Sa stratégie consistait à laisser le Fatah ployer sous le poids des difficultés quotidiennes ; ce dernier devait s’échiner à nourrir, à faire travailler et à loger des millions de Palestiniens, tandis que le Hamas gardait le beau rôle en proposant toutes sortes de services sociaux à une population de plus en plus déçue par l’Autorité palestinienne.
Telle a été la politique de l’islamisme à travers tout le Moyen-Orient. Elle a bien fonctionné, jusqu’au jour où ce pouvoir informel s’est mué en pouvoir formel, et où il est devenu impossible de fuir les responsabilités.
C’est ce qui s’est produit en Egypte, où les islamistes soudain propulsés au pouvoir se sont trouvés incapables de faire face aux imprévus et de gérer les difficultés économiques. Morsi s’échinait à rédiger une constitution dictatoriale alors qu’au-dehors, les files d’attente s’allongeaient devant les stations essence et la nourriture se faisait rare. S’il s’était plutôt penché sur l’art de diriger un pays, sans doute aurait-il commencé par réduire les dépenses exorbitantes de l’Egypte en subventions sur les denrées alimentaires et l’essence, et aurait-il ainsi libéré des fonds publics et les forces du marché.
C’est précisément ce qu’a fait la semaine dernière Abdel Fattah al-Sissi, l’actuel président égyptien, prouvant, quel que soit le résultat de ces mesures, son désir de sortir son pays du marasme.
La tentation du pouvoir
Contrairement à ses mentors égyptiens, le Hamas est parvenu à allier pouvoir maximal et responsabilités minimales pendant des années. Tout en se gardant bien de concourir pour les élections présidentielles, il présentait des candidats aux élections locales et tenait un tiers des municipalités d’Arafat avec des maires qui, à la question de savoir pourquoi la situation était si mauvaise, s’empressaient de montrer du doigt le Fatah au pouvoir.
A la mort d’Arafat, en 2005, le Hamas ne s’est plus contenté de se dérober : il a boycotté les élections qui ont conduit Mahmoud Abbas au poste de président. Une façon de miner l’autorité de ce dernier avant même son arrivée au pouvoir. Ainsi la population regardait-elle son nouveau leader prendre ses fonctions clopin-clopant, tandis que le Hamas préparait les élections législatives de l’année suivante. Résultat : 74 sièges remportés par l’organisation, contre 45 seulement pour le Fatah.
Dès lors, le Hamas ne résiste plus à la tentation du pouvoir. Un an plus tard, il arrache par la force la bande de Gaza au Fatah. Le moment de gouverner est arrivé, et dans ce domaine, le Hamas ne se révèle pas plus doué que Morsi au Caire.
Tout comme celle de l’AP, l’économie du Hamas reposait sur un secteur public pléthorique, en grande partie alimenté par des fonds étrangers. Pour l’AP, ces fonds arrivaient d’Occident, tandis que le financement du Hamas provenait de sources moyen-orientales, perdues depuis, en passant par des tunnels que l’Egypte post-islamique a démolis.
Le Hamas a besoin d’argent
Voilà pourquoi, en avril dernier, le Hamas a jugé bon de se rapprocher de l’AP ; un moyen pour lui de payer les 42 000 fonctionnaires qui ne percevaient plus de salaire depuis 7 mois. Mais cet espoir s’est vite évanoui quand on a vu que l’argent n’arrivait pas et que les banques fermaient les unes après les autres pour éviter les assauts de clients mécontents.
L’échec du Hamas à passer de la dissidence à la gouvernance devenait aveuglant…
L’enlèvement et le meurtre de Naftali Fraenkel, Gil-Ad Shaer et Eyal Yifrah ont souligné davantage encore l’incapacité du mouvement d’abandonner son âme de dissident.
Tandis qu’Abbas, son allié sur le papier, condamnait l’enlèvement et lançait ses services de sécurité aux côtés d’Israël à la recherche des coupables, le Hamas n’a pas résisté à l’envie de renverser le seau qu’il venait tout juste de remplir : en félicitant les auteurs de l’enlèvement et en attaquant avec virulence le président de l’AP, il a privé ses employés des salaires qu’il venait d’obtenir pour eux. Et le budget de 4,6 milliards de dollars du Hamas a plongé, avec 1,3 milliard de dollars de déficit. Quant au taux de chômage, qui atteignait l’an dernier 38,5 %, il a continué à s’accroître.
Le Hamas a donc besoin d’argent. Il en doit à ses fonctionnaires, dont la colère enfle lorsqu’ils voient les 70 000 employés de l’AP dans la bande de Gaza continuer à percevoir chaque mois leur traitement alors qu’ils ne travaillent pas.
Tout aurait été différent si le Hamas s’était employé, au cours de ses sept ans au pouvoir, à ouvrir Gaza au commerce et à l’investissement, à créer de vrais emplois et à construire une véritable cité-Etat. Avec son emplacement en bord de mer et sa population réduite, c’était tout à fait réalisable. Hélas, non seulement sur les plans diplomatique et militaire, le Hamas s’est également montré aveugle sur l’aspect économique en négligeant de développer de nouveaux secteurs, hormis la contrebande, le creusement de tunnels et la production de missiles.
Faire en sorte que Gaza s’occupe
de ses affaires…
Aux yeux d’Israël, tout cela relève de la politique arabo-arabe.
Oui, dans un monde idéal, Israël aiderait Gaza à créer des emplois et à faire fructifier son économie. Israël a déjà été là-bas et, neuf ans après avoir quitté les lieux, il ne se fait aucune illusion sur le poids qu’il peut avoir sur ce qui s’y passe.
Voilà pourquoi le Premier ministre Binyamin Netanyahou et le ministre de la Défense Moshé Yaalon ont évité la semaine dernière de citer l’éradication du Hamas parmi les objectifs de l’opération Bordure protectrice.
En fait, le but d’Israël est assez modeste : faire en sorte que Gaza s’occupe de ses affaires. C’est ce qui se passait jusqu’à récemment, et c’est ce qui se passera encore bientôt : ses maux économiques chroniques recevront un nouveau traitement symptomatique ponctuel, comme celui administré le mois dernier par le Qatar, qui a promis 60 millions de dollars pour rémunérer les fonctionnaires du Hamas. Autre substitut potentiel aux financeurs perdus, la Turquie, même si Ankara va sans doute éprouver quelques réticences à mécontenter Le Caire…
Comme tout traitement symptomatique, un pansement de ce genre ne sera pas efficace très longtemps. Pour qu’une opération chirurgicale en bonne et due forme soit pratiquée, il faudrait qu’un vrai chirurgien se présente dans la bande de Gaza et retire la tumeur au cerveau. Reste à savoir qui sera à la fois capable et désireux de pratiquer cette chirurgie…
Certainement pas Israël, mais peut-être quelqu’un en Egypte, en Judée-Samarie ou à Gaza même, une personne que sept ans d’intimité avec le Hamas auront laissée aussi déçue que Samson avec Dalila.
© Reproduction interdite - Droits réservés Jerusalem Post