Les mariées de l’Histoire

Le musée de Beit Hatfoutsot propose un mariage de tradition et renouveau avec son exposition du moment : « Vive la mariée ».

P23 JFR 370 (photo credit: Sasha Flit)
P23 JFR 370
(photo credit: Sasha Flit)

Chaquemariée se prépare d’arrache-pied pour être prête le jour J. Mais les étudiantesde mode à l’Académie Shenkar d’ingénierie et de design ont, elles, travaillénuit et jour, pour des robes qui ne seront même pas les leurs. Une nouvelleexposition a vu le jour au musée de Beit Hatfoutsot, sur le campus del’université de Tel-Aviv, mercredi 18 septembre. Sous son titre à rallonge :Vive la mariée, les robes qui ont brodé l’histoire du peuple juif, se cachent13 collections réalisées par 14 étudiantes en dernière année, à partir de leurvaste héritage culturel.

Le projet a été initié par la directrice de l’association les Amis israéliensdu Beit Hatfoutsot, Irit Admoni Perlman, son président Guideon Hamburger et sonmembre du conseil Motty Reif, en coopération avec le département de mode deShenkar. Le résultat ? Un ensemble de merveilleuses robes de mariées, brodéesmain et inspirées par les collections d’objets présentées au Beit Hatfoutsot.
Le musée rassemble en effet des objets représentant traditions et pratiquesreligieuses des communautés juives du monde entier. Les étudiantes s’y sontrendues à maintes reprises pour observer les articles exposés et trouver desidées pour leurs projets de fin d’année.
Au bout du compte, leur travail s’est fait l’écho de leur histoire personnelle,plongeant certaines étudiantes au cœur de leurs racines culturelles.
A elles deux, Shani Dahan et Shani Zimmerman, ont, par exemple, décidé de créerun ensemble trois pièces : une robe de mariée, une robe vêtue par la fiancéepour la cérémonie du « henné » et un costume pour le marié. Sur les 13 travauxprésentés, il est le seul à être composé de plusieurs pièces. Il plonge au cœurdes racines familiales de Dahan. « Mon projet repose sur le passé familial »,explique-t-elle. « Nous sommes Marocains d’un côté et Algériens de l’autre.L’idée était de creuser notre histoire et de rechercher des costumestraditionnels de ces régions ».
Quand l’oud fait la robe

L’idée de l’exposition remonte un peu. « J’ai contactéShenkar il y a plus d’un an », explique Admoni Perlman. « A ma grande joie,l’école s’est montrée partante et les résultats sont somptueux. Le travail a eulieu dans le cadre d’un cours de haute couture. Car quand vous apprenez lahaute couture, vous faites des robes du soir ou de mariée », commente-t-elle. «On s’est dit que les étudiantes viendraient au musée, contempleraient nosmaquettes de synagogues et choisiraient quelque chose qui a trait au passé deleurs parents. Tous les visiteurs du Beit Hatfoutsot sont touchés par cesmaquettes », continue-t-elle.

Ces édifices miniatures, symboles de la diversité ethnique du judaïsme, ont belet bien été le moteur du projet, tout en menant les jeunes femmes vers desdirections inattendues. « Oui, cela a commencé par les synagogues, mais, en finde compte, la source d’inspiration a produit des résultats très différents »,ajoute la directrice. « Par exemple, une des étudiantes, dont la famille estoriginaire d’Europe de l’Est, a observé une maquette d’une synagogue de là-baset s’est retrouvée attirée par l’histoire du Dibbouk (cet esprit qui habite lecorps d’une personne vivante) ».
« Une autre, dont le grand-père était musicien, a fait des recherches sur lamusique à partir de nos archives. Et découvert que son arrière-grand-père étaitun joueur d’oud. Elle s’est donc appuyée sur cette esthétique de l’oud et de lacithare pour créer sa robe ». L’étudiante en question, Adi Bakshi, dont lafamille est arrivée en Israël d’Irak, explique : « C’est la famille de monpère, et cette musique qui accompagnait toutes les célébrations de lacommunauté chez les Juifs d’Irak qui ont été ma source d’inspiration. Tandisque je créais la robe, j’ai observé le détail des instruments de musique, telque le travail délicat du bois qui s’entremêle aux cordes d’argent. J’airetrouvé les mêmes éléments décoratifs sur les amulettes et les Hamsa (mains deFatma), qu’on utilisait à Bagdad pour se protéger du mauvais œil ».
Un voyage dans le passé

« En fait, il s’agissait de créer du neuf à partir duvieux », observe Neta Harel, conservatrice adjointe de l’exposition. « Lesétudiantes ont plongé dans leurs passés et en sont revenues avecd’extraordinaires découvertes. L’une d’entre elle est allée voir sa grand-mère,qui a ressorti son propre trousseau et toutes sortes d’objets qu’elle n’avaitpas revu depuis des années. Cela a été un voyage dans le passé pour tout lemonde ».

Dahan et Zimmerman se sont elles aussi livrées à quelques fouilles familiales.« Ma grand-mère a ouvert un coffre avec plein d’anciens objets et nous avonsretrouvé un costume qui a servi pendant plusieurs générations pour la cérémoniedu pidyon haben (rachat du premier-né à Dieu) », se remémore Dahan. « Cela nousa fourni un point de départ, en nous donnant des idées pour les matières etpour la fabrication des vêtements ».
Opter pour une manufacture traditionnelle, continue Dahan, c’était se lancerdans de longs travaux d’aiguille, et une attention forcenée aux détails. « On abossé jour et nuit. Par exemple, pour notre galabiyeh (costume égyptientraditionnel), j’ai créé une nouvelle technique de couture. A chaque fois queje piquais l’aiguille dans le tissu, je devais être sûre à 100 % que c’était àla bonne place. Il n’y avait aucune marge d’erreur, aucun moyen de faire marchearrière si je m’étais trompée ».
L’esprit de Léa

De son côté, Mor Kfir s’est inspirée d’une figure démoniaquetrop peu connue. « Ma robe de mariée a été créée à partir du personnagemythologique de Léa, tel qu’il a été joué par la légendaire actrice HannaRovina dans la pièce Le Dibbouk, sur la scène du théâtre Habimah en 1928 »,explique la jeune femme. « J’aime la littérature et le théâtre, et en allant àBeit Hatfoutsot, la première chose qui m’a frappée, c’est l’atmosphère mystiquequi émanait des maquettes de synagogues, comme si je ressentais les spectres deces temples d’hier. J’ai immédiatement pensé à la synagogue Vielle-Nouvelle dePrague. Plus tard, lorsque nous nous sommes rendus au musée d’Israël, je mesuis de plus en plus immergée dans la tradition juive. Cela m’a semblé plusnaturel que de creuser dans mon propre passé familial ».

Au final : une robe de mariée toute en légèreté, à la taille Empire, avec unjeu de transparence entre la matière blanche et le corsage plus ajusté. « Jesuis allée aux archives d’Habimah et y ai vu de magnifiques photos d’HannaRovina dans la pièce. C’était très inspirant », s’émeut Kfir.
Pour sa robe de mariée, Hadar Brin s’est inspirée de l’histoire de sonarrière-grand-père qui a caché une mezouza dans un mur intérieur de sa maisonde Lodz en Pologne, pendant la Shoah. Chose incroyable, la mezouza a par lasuite été retrouvée et ramenée en Israël.
De son côté, Yaël Geisler s’est inspirée du trousseau que sa grand-mère, née àIzmir en Turquie, a laissé à ses filles. Un large coffre qui contenait desnappes, des serviettes, du linge et de l’argenterie. « Pendant que je créais marobe, je me suis concentrée sur la richesse de cette vaisselle d’or etd’argent, qui se retrouve dans les broderies des vêtements de cérémonie »,explique Geisler. « La robe est taillée dans du satin de soie et décorée d’unefine dentelle dorée ainsi que de motifs orientaux brodés à la main. Cetrousseau laissé par ma grand-mère est le témoignage d’une existence perdue àjamais ».

 

Vive la mariée,les robes qui ont brodé l’histoire du peuple juif.

Pour plus derenseignements : 03-745-7808 ou www.bh.org.il