Scénarios pour l’après janvier

Après les craintes de septembre, les angoisses de janvier. Quelle attitude adopteront les Palestiniens si Israël ne remet pas de propositions détaillées au Quartet avant l’échéance du 26 janvier ?

Fin janvier, fin septembre : mêmes combats, mêmes enjeux, mêmes angoisses ?Souvenez-vous de ce fameux mois de septembre 2011, de nos peurs collectives. Cemois où l’Autorité palestinienne déposait sa candidature d’adhésion aux Nationsunies. Ce mois censé provoquer un tsunami diplomatique, selon les prédictionsdu ministre de la Défense, Ehoud Barak. Même son de cloche du côté du ministredes Affaires étrangères Avigdor Lieberman, qui affirmait alors que lesPalestiniens avaient l’intention de déclencher en septembre “les piresviolences et des effusions de sang que nous n’ayons jamais vus.”

Et septembre est arrivé. Sans tsunami diplomatique ni troisième Intifada.Aujourd’hui, tous les yeux sont tournés vers la fin du mois de janvier. Le 26pour être plus précis. Le terme de la période de 90 jours accordée par leQuartet (Etats-Unis, UE, Russie et ONU) à Israël et aux Palestiniens pourremettre des propositions détaillées sur le tracé des frontières et la sécuritéen vue d’un règlement de paix.
Le principal émissaire du Quartet, Tony Blair, accompagné de hautsreprésentants du groupe pour la paix au Proche-Orient, s’était rendu àJérusalem le 26 octobre dernier. Objectif : prendre part à des rencontresséparées avec Palestiniens et Israéliens, afin de relancer les négociationsdirectes entre les différentes parties. Déjà, le 23 septembre, quelques heuresaprès le dépôt d’une demande d’adhésion d’un Etat de Palestine à l’ONU, leQuartet avait proposé en vain un plan de relance de ces négociations, au pointmort depuis septembre 2010. Selon le plan du Quartet, Palestiniens etIsraéliens devaient se rencontrer dans un délai de 30 jours (jusqu’au 23octobre) et s’entendre sur un but commun : parvenir à un accord avant fin 2012.
Le Quartet a également demandé aux deux parties de remettre des propositionsdétaillées sur le tracé des frontières et la sécurité d’ici trois mois.Jusqu’au 26 janvier. Que s’est-il donc passé ? Eh bien, on pouvait s’y attendre.Les deux parties ont adopté la proposition pour une seule raison : ne pas êtrequi a dit non au Quartet.
La composition du Quartet, atout pour les uns, handicap pour les autres

Pourtant, les Palestiniens ont continué à s’accrocher inlassablement à leursexigences et continué à conditionner la reprise des pourparlers au gel desconstructions israéliennes au-delà de la Ligne verte. Conséquence : la premièreréunion prévue dans les 30 jours pour convenir d’un calendrier de négociationn’a jamais eu lieu. Au lieu de cela, les représentants du Quartet se sontrendus à Jérusalem le 26 octobre pour tenir des rencontres séparées avec lesdeux parties. Des réunions à l’issue desquelles les déclarations suivantes ontété publiées : “Les deux parties ont déclaré être prêtes à discuter avec leQuartet, sur la base de sa déclaration du 23 septembre, pour surmonter lesobstacles actuels et reprendre les négociations bilatérales directes sans délaiou conditions. Les parties ont convenu avec le Quartet de fournir despropositions globales sur le tracé des frontières et la sécurité dans les troismois à venir dans le cadre d’un engagement commun de reprise des négociationsdirectes en vue de la conclusion d’un accord d’ici la fin de l’année 2012”.

Et c’est là que les ennuis ont débuté. Les Palestiniens ont décidéd’interpréter cette déclaration en leur faveur et en fonction de leursintérêts. Selon eux, le texte impose aux deux parties de remettre, chacune deleur côté, des propositions sur les frontières et la sécurité au nouvel arbitreautoproclamé de la partie : le Quartet. Exit l’arbitrage unique des Etats-Unis!

 Le Quartet examinerait alors chacune des deux propositions etdéciderait par la suite. Une aubaine pour les Palestiniens puisque lacomposition du Quartet joue largement en leur faveur.

En effet, le groupe se compose des Etats-Unis, de la Russie, de l’ONU et del’UE. En d’autres termes, trois voix acquises à la cause palestinienne contreun seul soutien en faveur d’Israël.

Israël, pour sa part, est arrivé à une conclusion différente à la lecture decette déclaration, après consultation avec .
Questions d’interprétation

De son côté, Jérusalem n’a pas interprété cette dernière comme un appel àremettre des propositions concrètes à un médiateur. Mais comme des propositionsà mettre en avant au terme de 90 jours d’intenses négociations directes.L’argument israélien est clair : vous ne pouvez venir avec des propositionsavant de débuter des pourparlers. Sinon, pourquoi négocier ?

Car seules des tractations permettraient à Israël d’évaluer les garanties desécurité qu’il peut obtenir. Condition sine qua non pour que l’Etat juif puissedéterminer par la suite les concessions territoriales auxquelles il accepterade se soumettre.

Début décembre, les Palestiniens remettaient au Quartet un ensemble depropositions et se plaignaient tapageusement de l’absence de réciprocité, côtéIsraélien.
L’Etat hébreu, en effet, ne se soumettra aucunement à cette mascarade, commel’avait expliqué un haut responsable israélien courant décembre, dans unentretien accordé au Jerusalem Post. Israël n’a absolument aucune intention demener d’intenses pourparlers indirects avec les Palestiniens. Si ces dernierssont disposés à entendre la proposition israélienne, ils devront revenir à latable des négociations directes et discuter face-à-face.
Les Palestiniens, estime-t-on à Jérusalem, attendront patiemment l’échéance du26 janvier, fin du délai imparti pour la relance des pourparlers de paix.Israël ne répondra pas et ils auront alors les mains libres pour revoir leurtactique. Se tourneront-ils de nouveau vers l’ONU ? Auront-ils recours à laviolence ? Selon de hauts responsables gouvernementaux, les Palestinienseux-mêmes ne sont toujours pas tombés d’accord sur la prochaine tactique àadopter.
La fin des caprices ?

L’échéance du 26 janvier a également servi un autre objectif : l’Autoritépalestinienne a pu mettre en suspens son stratagème onusien, au moins de façonprovisoire. Et l’ajournement de la demande d’adhésion des Palestiniens à l’ONUest précisément à l’origine de la décision du gouvernement de débloquer, finnovembre, 100 millions de dollars de fonds destinés à l’Autorité palestinienne.Le versement de ces revenus, provenant des taxes douanières et de la TVAprélevées sur les marchandises destinées aux Palestiniens transitant par lesports et aéroports israéliens, avait été suspendu début novembre en guise derétorsion à l’adhésion des Palestiniens à l’Unesco. La décision du cabinetrestreint du Premier ministre de dégeler ces fonds repose, selon des sources àJérusalem, sur deux considérations.

La première, l’échec des aventures onusiennes des Palestiniens. En effet,l’Autorité palestinienne a pris conscience qu’elle ne serait pas en mesure deréunir les neuf voix sur les quinze nécessaires pour que le Conseil de sécuritépuisse formuler une recommandation positive. Dès lors, les Etats-Unis n’aurontmême pas à user de leur droit de veto pour bloquer l’initiative palestinienne.Difficile donc, désormais, de se positionner en victime des Etats-Unis etd’Israël, seuls opposants à la reconnaissance d’un Etat palestinien que lemonde entier soutiendrait. Une énorme victoire morale pour l’Etat hébreu.
Secundo, après l’adhésion de la en tant qu’Etat membre à l’Unesco, lesPalestiniens ont commencé à ressentir le contrecoup de cette victoire. Leurscaprices, avaient-ils été prévenus, pourraient gravement paralyser le systèmede l’ONU. Et pour cause. Deux lois américaines interdisent le financement d’uneagence spécialisée des Nations unies qui accepterait les Palestiniens en tantqu’Etat membre à part entière en l’absence d’accord de paix avec Israël.Conséquence : les Etats-Unis, dont la contribution financière à l’Unescoreprésente 22 % du budget de l’organisation, ont annoncé lundi 31 octobrequ’ils suspendaient leurs versements.
Une perspective peu glorieuse pour des organisations comme l’Organisation pourl’alimentation et l’agriculture, qui, en 2010, a perçu 25 % du montant de sonbudget des États-Unis. contribue également à hauteur de 23 % du budget del’Organisation internationale du Travail, idem pour l’Organisation Mondiale dela Santé (23 %) ou l’Organisation météorologique mondiale (21 %).
Même perspective côté Américains qui, sous l’administration Obama, a misl’accent sur les vertus du multilatéralisme. Et les Palestiniens, selonplusieurs sources à Jérusalem, ont pris la décision de ne pas chercherl’affrontement avec les Etats-Unis sur la question.
Les subtilités rhétoriques du Quartet

Par ailleurs, début novembre, les Palestiniensfont part de leur intention de renoncer à leurs ambitions onusiennes. Uneattitude qui a décidé le Premier ministre Binyamin Netanyahou à libérer lesfonds dus à l’AP. Mais, prévient-il, la mise en veille des projets de l’APn’est que temporaire. Un répit qui pourrait arriver à son terme dès le 26janvier, suite au refus d’Israël de fournir des propositions concrètes sans unretour des Palestiniens à la table des négociations directes. Un prétexte quel’AP pourrait utiliser pour se tourner de nouveau vers les Nations unies.

Les déclarations du Quartet sont soigneusement élaborées et rédigéesastucieusement en des termes largement sujets à interprétation. Chaque partiepeut y lire ce qu’elle souhaite. Une technique charitablement dénommée“ambiguïté créative”. Si cette approche constitue un jeu dangereux, carl’ambiguïté devra à un moment donné être clarifiée et des décisions prises,elle permet néanmoins de gagner du temps. Un temps précieux qui arrive à pointnommé puisque ni Israël, ni les Etats-Unis, ni l’Union européenne, nil’Autorité palestinienne ne souhaitent voir le dossier israélo-palestiniens’enliser. Et encore moins à une période où l’Egypte fait le choix de l’Islampolitique, où la Syrie est au bord de l’éclatement, où l’Iran reste un énormepoint d’interrogation, où le président américain Barack Obama doit composeravec les échéances présidentielles de 2012 et où l’UE reste empêtrée dans ungouffre économique.

Dans un contexte plus tumultueux quejamais, la relance des pourparlers de paix israélo-palestiniens pourraientsouffler un grand bol d’air et d’espoir. Grâce à “l’ambiguïté créative” et auxnouvelles échéances accordées, le Quartet a réussi à colmater la brèche depuisseptembre, créant une perception de mouvement en , même si seuls les plus naïfscontinuent de croire en une issue positive concrète. Rien de plus qu’un nouveaumouvement immobile, un éternel surplace.

Mais avant d’adopter une attitude moqueuse et résolumentdédaigneuse, souvenez-vous que réussir à nager surplace dans des eauxdéchaînées n’est pas un mince exploit. Bien mieux que la noyade en définitive.