Chez SodaStream, on ne bulle pas

La petite entreprise, moribonde il y a six ans, est aujourd’hui un leader mondial

sodastream (photo credit: (© SodaStream Global))
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(photo credit: (© SodaStream Global))

Lufgesheft. Expression yiddish moqueuse signifiant :“faire du commerce avec du vent”. SodaStream est une compagnie israélienne quifait littéralement commerce en vendant des bulles d’air. Mais rien de dérisoireici, bien au contraire.

En 2006, Youval Cohen, associé d’un fonds d’investissement- capital israélien,Fortissimo Capital, contacte Daniel Birnbaum. Fortissimo est spécialisée dansle rachat de sociétés en faillite et leur remise sur pied. Elle vientd’acquérir une compagnie moribonde, Soda Club, qui vend de véritables reliques :des bouteilles pour préparer de l’eau gazeuse. A l’époque, Birnbaum dirige NikeIsraël depuis 2003. Cohen a besoin d’un PDG pour faire revivre Soda Club.Offrir le poste à Birnbaum est un coup de génie. Nike, une multinationale dusport, est une société des mieux gérées au monde. Sa stratégie : investirmassivement dans l’innovation, le design et le marketing, et délocaliser lereste. Le design et le marketing de la marque sont légendaires.
Étonnamment, Birnbaum accepte l’offre de Cohen. Aujourd’hui, SodaStream, la réincarnation de Soda Club, est un leader mondialsur le marché des boissons gazeuses faites maison. Ses produits sont vendusdans plus de 50 000 magasins, de 42 pays. En Suède, une famille sur 4 possèdeune machine SodaStream. Au plan mondial, les appareils de la firme produisentprès d’un milliard de litres de boisson pétillante par an.
La gloire du non high-tech

Ce qui représentemalgré tout moins d’1 % du total de soda fait maison consommé chaque année. Ennovembre 2010, SodaStream entre au Nasdaq. En un an, sa valeur marchande passeà 1,5 milliard de dollars, à des bénéfices de 33,2 millions de dollars. Desrevenus qui ont triplé depuis. La façon dont Birnbaum a transformé cettesociété défaillante, avec les outils appris chez Nike, en machine à succès estun véritable cas d’école. L’histoire de SodaStream est une leçon majeure pourtoutes les industries non high-tech israéliennes. Qu’elles produisent duplastique, du métal ou du bois, ces dernières n’attirent que peu d’attention.
Pourtant ce secteur traditionnel emploie quelque 200 000 personnes, soit 60 %de tous les travailleurs industriels. Mais pâtit d’une basse productivité - lamoitié de moins que chez ses concurrents américains - et de peu d’innovationavec, encore une fois, seule la moitié des efforts investis en recherche etdéveloppement par rapport aux Etats- Unis.
La moitié des entreprises traditionnelles israéliennes emploient 5 personnes oumoins. Exception faite des 300 usines des kibboutzim, avec une productionannuelle de 40 milliards de shekels, dont la moitié à l’export.
“J’ai dû entièrement changer l’ADN culturel de l’entreprise, ce qui esttoujours très difficile à faire”, explique Birnbaum à un groupe de gérantsd’industries traditionnelles du kibboutz au Technion, l’Institut israélien detechnologie à Haïfa.
Il explique avoir commencé par “le rêve”. “Il faut trouver “une grande cause”comme élément-clef du rêve”, continue-t-il. “Il faut d’avantage que le refraindu profit pour motiver”.
Pour SodaStream, cela été faire du bien à la société israélienne et à sestravailleurs, y compris les minorités, tout en protégeant l’environnement.
Faire le “buzz” à peu de frais

Lors de sapremière semaine dans l’entreprise, Birnbaum s’est attaché à identifier sesconsommateurs.
Il s’est aperçu que l’image de marque de la firme était terrible, “comme cettevieille Susita”, se rappelle-t-il, faisant référence à une voiture israéliennedes années 1960, à la carrosserie tremblotante. Et de casser cette image grâcenotamment à un design coloré et élégant pour donner au produit une apparenceplus moderne.
16 % des revenus de l’entreprise vont au marketing. Ce qui est relativementpeu, comparé, par exemple, aux 25 % du géant alimentaire Strauss Elite. Commentalors avoir grandi aussi vite avec aussi peu de publicité ? La stratégieconsiste à créer un “buzz” à peu de frais. Birnbaum fait ainsi appel à desagences de relations publiques, plutôt que de publicité, dont le travailconsiste à générer une publicité gratuite.
Un exemple : le Salon international de la maison et de ses produits à Chicagoen 2010. SodaStream y crée “La Cage”, une poubelle de recyclage contenant 10657 cannettes et bouteilles, soit la quantité utilisée par une familleaméricaine moyenne en cinq ans. Birnbaum se fait tirer le portrait, unebouteille de SodaStream - capable à elle seule de remplacer tous ces produitsjetables et polluants - à la main, devant “La Cage” en compagnie de l’actriceoscarisée et chantre de l’écologie, Susan Sarandon. “Le taux de recyclage auxEtats-Unis est de moins de 35 %. Des nouvelles inquiétantes, pour le moins”, adéclaré l’actrice. “En particulier, quand on pense que 141 milliards debouteilles et de cannettes sont fabriquées chaque année”.
Birnbaum a, d’autre part, rapidement compris que SodaStream ne pouvaituniquement s’appuyer sur ses ventes d’appareils à faire l’eau gazeuse. Car ils’agit d’une acquisition unique dans le temps. C’est pourquoi la compagnies’est également lancée dans les parfums pour boissons et les cartouches de CO2.
Le message de SodaStream : “Nous avons bon goût, nous sommes bons pour la santéet nos produits sont sympas”.
Pour faire passer l’idée, SodaStream a transformé ses consommateurs en agentsde vente. Conséquence : quelque 30 % des ventes se font grâce au bouche àoreille. Dans ce marketing innovant, des clips vidéo sont diffusés sur lespoints de vente. Un distributeur a même persuadé un magasin de téléviseurs deprojeter 2 minutes 50 de film sur ses appareils.
Le plus large employeur de Palestiniens de Judée-Samarie

Les leçons pourles autres entreprises israéliennes, autres que high-tech, sont claires : l’âgede votre produit n’a aucune importance. La première version des fabricantsmaison d’eau gazeuse date de 1903. Pour conquérir les marchés mondiaux, tout cequ’il vous faut, c’est un produit bien dessiné, à l’allure moderne et propre.Soyez aussi innovants dans le marketing que dans la production. Ayez unevision, motivez vos équipes, et par-dessus tout, soyez loyaux à votre pays.
Comme l’a écrit Clyde Prestowitz, ancien négociateur commercial en chefaméricain : “Une entreprise a des obligations envers la société et legouvernement qui lui ont donné naissance. A chaque fois que c’est possible,produisez local. Faites bénéficier vos employés de votre succès et non vosactionnaires.
SodaStream est implantée dans de nombreux pays, mais ses plus grands locaux setrouvent près de Jérusalem, à Mishor Adoumim, une implantation de Judée etSamarie.
Ce qui a donné lieu à des protestations propalestiniennes, bien que la firmesoit le plus large employeur de Palestiniens dans la région, pourvoyantassurance médicale, avantages sociaux et salaires aux normes israéliennes à desmilliers de résidents locaux.
Le gouvernement a récemment accordé à SodaStream une subvention de 25 millionsde shekels pour construire une nouvelle usine dans la Zone industrielle Idan duNéguev, ce qui couvre 20 % du coût de 130 millions de shekels au total.
500 travailleurs seront employés, la plupart des Bédouins, venant s’ajouter aux1 100 employés de SodaStream en Israël.
Birnbaum s’est rendu récemment à Milan pour présenter deux nouveaux produitslors d’un salon de design. “Nous sommes présents dans 42 pays maintenant. Nousvoulons un SodaStream dans chaque cuisine”, affirme le PDG avec une passionpresque évangélique. “Nous cherchons à créer un sens plus grand que les simplesventes. Un objectif plus ambitieux : les gens vont acheter SodaStream parcequ’ils se sentent responsables du monde et de l’environnement.
Il ne s’agit pas que d’argent. Et grâce à cela, nous travaillons désormais avecles meilleurs designers dont on ne pouvait même pas rêver il y a deux ans. Nousvoulons persuader tout le monde qu’il y a une manière plus intelligente defaire des bulles que de les acheter”.