Coexistence festive à Haïfa

A Haïfa, la coexistence religieuse s’exprime dans le discours des chefs de communauté. Mais aussi – et surtout – dans les rues de la ville du Nord pendant le Festival des Festivals

La façade du centre arabo-juif Beit HaGefen, à l'origine du Festival (photo credit: HELOISE FAYET)
La façade du centre arabo-juif Beit HaGefen, à l'origine du Festival
(photo credit: HELOISE FAYET)
Première visite de la journée : la mosquée Mahmoud, sur le mont Carmel. C’est là que s’est implantée la communauté ahmadie à son arrivée à Haïfa en 1928. L’ahmadisme est une branche de l’islam sunnite, née au XIXe siècle au Penjab (Pakistan). Son fondateur, Mirza Ghûlam Ahmad, déclare être le prophète attendu par les musulmans, mais il est considéré comme apostat par les autorités religieuses musulmanes, chiites comme sunnites. Les ahmadis ont donc été déclarés non-musulmans par l’Organisation de la conférence islamique en 1973, qui leur a interdit le pèlerinage à La Mecque. Leur communauté est persécutée dans de nombreux pays, notamment au Pakistan où des attentats contre deux de leurs mosquées ont fait 80 morts en 2010.
Les ahmadis portent une vision pacifiste de l’islam, basée sur une interprétation littérale du Coran. Mouad Oudeh a à cœur de rappeler le véritable sens du mot djihad : propager la foi musulmane, non par les armes comme le font Daesh ou d’autres groupes terroristes, mais par la discussion, avec le Livre saint comme seul outil. Il insiste également sur le message d’humilité et d’amour du Coran, où Mahomet préconise par exemple de traiter son ennemi comme son plus proche ami.
La communauté ahmadie ne fait pas que prôner le vivre-ensemble : elle coexiste pacifiquement avec les juifs dans le quartier de Kababir, un village rattaché à la juridiction municipale.
Quand on lui demande ce qu’Haïfa a de si particulier, Mouad Oudeh évoque immédiatement la bonne entente religieuse entre les multiples communautés de la ville. Photo à l’appui : la veille, une rencontre était organisée à la mairie entre les différents chefs de communauté à l’occasion de l’ouverture du Festival. Pour Oudeh, Haïfa, constitue une ville à part en Israël ; qui représente la normalité : « C’est le fonctionnement dans le reste du pays qui est anormal ».
Un modèle pour tout le Moyen-Orient
Même son de cloche du côté des melkites. Ces catholiques d’Orient appartiennent à l’Eglise grecque-catholique melkite, fruit d’un rattachement de certains chrétiens orthodoxes à l’Eglise catholique en 1724. Un changement d’obédience dont la cause est le mécontentement des fidèles, qui ne pouvaient devenir prêtres ni même comprendre le service, en grec, alors que les ouailles parlaient l’arabe. L’Eglise melkite garde, en raison de cette évolution tardive, des attributs typiquement orthodoxes. On le remarque notamment dans la décoration de ses églises, très portées sur les dorures, dans la présence d’icônes ou la tenue des prêtres.
Après avoir résumé l’histoire mouvementée de son Eglise (la deuxième d’Orient en termes de fidèles), Jamal Shehade s’attarde sur les actions de son obédience à Haïfa (par exemple la prise en charge de repris de justice à leur sortie de prison) et le sens que revêt pour lui le Festival des Festivals. Cette tradition lui rappelle à quel point la coexistence religieuse était naturelle, il n’y a encore pas si longtemps : les chrétiens jeûnaient pendant le Ramadan, les musulmans aidaient les chrétiens à décorer les arbres de Noël. Le Festival constitue ainsi une façon de relancer ce dialogue entre les communautés, loin de toute considération politique.
Pour Shehade, « chaque occasion de rassembler les individus, de leur permettre de discuter, d’échanger et d’apprendre à se connaître est une occasion d’abattre les murs et de faire un pas vers la paix », et le Festival est l’un de ces moments privilégiés. Comme Mouad Oudeh, il insiste sur la situation unique d’Haïfa, qui devrait, pour lui, servir « de modèle et d’exemple non seulement en Israël, mais pour tout le Moyen-Orient ».
Dans la ville portuaire, chaque communauté a son quartier, mais les fidèles se respectent et ne s’ignorent pas : tous prennent les transports en commun, achètent dans les magasins des autres, travaillent et vivent ensemble. Certes, ont rappelé nos hôtes, la ville n’est pas épargnée par les tensions qui agitent le pays, mais chacun semble faire de son mieux pour que la situation ne dégénère pas et que la ville continue d’être un emblème du vivre-ensemble.
La ville du dialogue
Manifestation festive de cette coexistence religieuse à Haïfa, le Festival des Festivals est unique en son genre. Créé en 1993, il réunissait à l’époque Noël, le Ramadan et Hanoucca, trois fêtes des principales communautés religieuses de la ville. Au fil des ans et des cycles lunaires, le Ramadan fait le tour du calendrier et ne tombe pas tous les ans en décembre, mais l’esprit de fête demeure : les principaux événements ont d’ailleurs lieu à Wadi Nisnas, le quartier arabe – musulman et chrétien – de Haïfa.
Chaque week-end du mois décembre, touristes et habitants (plus de 200 000 visiteurs selon l’office du tourisme) envahissent les ruelles animées du souk, goûtent les soufganiyot, admirent les sapins de Noël et choisissent leurs cadeaux sur les étals désordonnés. Des groupes de musique ajoutent au brouhaha ambiant et, l’après-midi, une parade d’enfants défile en fanfare. Les familles sont les bienvenues dans les rues de la ville : craies et ateliers de maquillage sont à la disposition des plus jeunes, et les stands de friandises dégoulinantes de miel ravissent les papilles des enfants fatigués.
Les musées et centres communautaires ouvrent également leurs portes le samedi avec des tarifs spéciaux : l’occasion de découvrir la grande et diverse collection du musée d’Art de Haïfa, ou des initiatives interreligieuses et interculturelles au centre arabo-juif Beit HaGefen, qui abrite aussi une foire aux antiquités très réputée. Dans la cour ensoleillée du musée, des groupes de parole en hébreu, en arabe ou en anglais se forment : touristes et résidents échangent dans l’écoute et la bonne humeur sur la paix, la coexistence et le vivre-ensemble. Certains propos sont enregistrés et diffusés ensuite dans le musée, à côté d’autres installations de l’exposition (intitulée « Sagesse collective »), comme un chariot promené par son créateur qui capte les bruits de la ville. Assurément, Haïfa est la ville du dialogue !
Les festivités s’étendent jusqu’au quartier de la Colonie allemande, construit par la même société des Templiers que celle de Jérusalem. La nuit, l’avenue Ben Gourion scintille de mille lumières, tels les Champs-Elysées israéliens ; même le vendredi soir, les terrasses ne désemplissent pas et une ligne de bus continue à circuler. Un gigantesque sapin orne la place centrale de l’avenue ; les entrées des restaurants sont gardées par des Pères Noël et des bonshommes de neige gonflables.
Sur les hauteurs de la ville, les jardins bahaïs veillent sur les festivités et certains musées du Carmel accueillent également des événements du festival : concerts de musique de chambre au musée Tikotin d’art japonais ou musique liturgique à la Hecht House.
Enfin, des visites guidées de la ville pour découvrir les nombreuses fresques ou graffitis qui ornent ses murs sont organisées chaque week-end par le centre Beit HaGefen : une occasion de changer des circuits traditionnels, et de connaître un peu mieux le street art, discipline rare en Israël.
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